L'art premier africain se vend de mieux en mieux. Deux ventes aux enchères de collections privées à New York et à Paris l'ont démontré ces dernières semaines. Ce n'est qu'un bis repetita pour la société internationale de vente aux enchères, Sotheby's. Après New York ,le 13 mai dernier, la vente aux enchères de plusieurs collections privées d'art primitif, parmi lesquelles celle de Pierre Guerre, passionné d'art africain du XXe siècle, a battu de nouveaux records. Cette vente a eu lieu à Paris, à son prestigieux siège du Faubourg Saint-Honoré, le mercredi 15 juin dernier. Les acheteurs se sont bousculés pour tenter d'arracher l'un des 111 lots présentés. Très vite, les hôtesses de Sotheby's ont été dépassées. Il n'y avait plus suffisamment de catalogues, ni de chaises pour répondre à cet afflux de professionnels ou d'amateurs venus du monde entier. Parmi eux, Jean, un «petit» collectionneur. Il n'a eu qu'une trentaine de pièces. «J'espère pouvoir acheter une jolie pièce pour deux ou trois mille euros. Enfin, si les prix ne s'envolent pas...», explique-t-il, avant de replonger dans son catalogue. Jean précise qu'il n'a pas de préférence pour un pays ou une ethnie particulière. Il faut tout simplement que l'objet lui plaise d'un point de vue esthétique. Claude Henri, lui, est attaché à l'histoire de l'œuvre : «C'est le lien entre les objets et les cultures qui m'intéressent, pas simplement l'esthétique des objets. Ce qu'ils racontent et ce à quoi ils ont servi.» Bernard Dulon était lui aussi présent lors de cette vente. Expert en arts premiers, il possède également une galerie à Paris. Pour lui, cet engouement de plus en plus important du public et des passionnés d'art est une véritable reconnaissance du continent africain comme producteur d'art majeur. «Nous sommes en France. Il y a le Quai Branly et toute la politique menée par Jacques Chirac en la matière. Tout cela a porté les arts premiers», ajoute-t-il. Lorsque la vente commence, le silence se fait dans la salle. La commissaire priseur, concentrée, est attentive aux signes des acheteurs dans la salle, mais aussi des intermédiaires de Sotheby's qui, par téléphone, s'entretiennent avec d'autres acheteurs qui se trouvent pour la plupart à l'étranger. Les premiers lots s'arrachent à plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ce sont des objets du quotidien, des ornements, des cuillères, des figures de reliquaires du Gabon, un siège royal du Ghana, une poulie de métier à tisser de Côte d'Ivoire. Il y a aussi de nombreuses pièces originaires d'Océanie. Et les enchères s'envolent. Quatre lots avoisineront les 4 millions d'euros. Keita possède lui une galerie d'art africain à Bruxelles. Il est fasciné par cette flambée des prix : «C'est une bonne et une mauvaise nouvelle. Une mauvaise car je n'ai pas les moyens d'acheter des pièces à ces prix-là. Mais c'est aussi bon pour les affaires car cela montre que les gens sont prêts à payer plus cher pour obtenir des jolis objets». Les explications de cette hausse des prix sont multiples : la reconnaissance de l'art africain, la rareté des pièces extraordinaires et traçables, l'arrivée sur le marché de nouveaux acheteurs. Ce sont des collectionneurs d'art moderne, habitués à payer des centaines de milliers d'euros pour une œuvre. Or les tableaux ou sculptures d'art moderne sont de plus en plus chères. Et pour un prix plus «modeste», selon Bernard Dulon, une œuvre d'art africain peut leur apporter une émotion comparable et avoir une valeur historique tout aussi importante. Pour Georges, un collectionneur qui possède plusieurs centaines de pièces c'est un effet de rattrapage : «Les prix ne peuvent que grimper. C'est encore très au-dessous de sa valeur.» Jean, lui, est dépité : «Je suis un jeune collectionneur. Cela fait pourtant une vingtaine d'années que je m'intéresse à l'art africain. Mais il faut bien le dire, l'âge d'or est derrière nous. C'est aujourd'hui difficile de trouver de jolies pièces, pas chères.» Aucun des acheteurs rencontrés lors de cette vente ne se rend en Afrique pour chercher la perle rare. «Il n'y a plus rien, tout est ici en Europe», explique Jean. Georges est tout aussi catégorique : «L'Afrique a été pillée pendant des années. Et c'est un continent difficile. C'est difficile de connaître l'origine d'une pièce, d'être sûr de son authenticité. Je ne m'y risquerais pas.» Bernard Dulon explique : «Il y a les objets de surface et les objets d'archéologie. Les objets de surface sont rares car les cultures qui les ont produites sont mortes ou entrées en décadence il y a bien longtemps. Leurs objets n'ont pas été conservés. Car il n'y avait pas de politique de préservation. Les objets d'archéologie qui sont des objets enfouis. Et là, il y en a beaucoup. Mais ils ne sont ou ne seront pas destinés à la vente.» S'il est difficile de déterminer l'origine ou l'authenticité d'un objet d'art primitif – c'est une véritable enquête de police, dit Bernard Dulon – le trafic illicite d'objets culturels reste important. Selon l'Icom, la communauté muséale mondiale, une organisation de professionnels de musée et d'experts, c'est même la troisième activité criminelle mondiale après les ventes d'armes et de stupéfiants.