Il est toujours intéressant de rencontrer ce grand monsieur du football algérien, Rabah Madjer. Avec lui, le seul langage est celui de la franchise. Il ne va pas par 36 chemins pour dire ce qu'il pense. Dans cet entretien, il évoque la situation du football national sans oublier d'autres volets aussi important comme l'anecdote qu'il vécu au Maroc ou encore ses prétentions… LNR : On vous voit souvent à Alger. Vous faites la navette ? Rabah Madjer : J'aime mon pays et j'adore passer de bons moments en Algérie. A chaque fois que l'occasion se présente, je fais une virée au bled. Le Ramadan, cette fois c'est en Algérie ? Je suis justement ici pour ça. Commençons par la formation, c'est une bonne chose, mais il y a par la suite de la déperdition, n'est-ce pas ? Je suis souvent surpris de lire à travers la presse qu'il n'y a pas de formation. Je suis désolé mais il y a deux genres. Il y a celle qui se fait dans les clubs et l'autre en sélection. Je m'explique, les clubs travaillent dans des conditions difficiles avec différents problèmes liés à l'argent, à l'outil de travail… puis lorsque le joueur arrive en Equipe nationale, il faut qu'il y ait un suivi. Le sélectionneur national doit être le patron de tous les entraîneurs des autres catégories. Ce que je vous dis là, je l'ai dit au ministre de la Jeunesse et des Sports, Hachemi Djiar. C'est cela le projet dont j'ai parlé. J'entends souvent dire que nous n'avons pas de directeur technique national. Il faut arrêter de dire n'importe quoi. Que fait le DTN ? Qu'a-t-il fait jusqu'à aujourd'hui ? Le véritable travail que l'on peut faire, c'est avec le sélectionneur de l'Equipe A qui doit être en même temps responsable de tous les entraîneurs des différentes équipes nationales, des minimes jusqu'aux olympiques. Il faut aussi programmer des réunions mensuelles où chaque entraîneur apporte des idées pour qu'il y ait de l'entraide et ce, dans l'intérêt du football national. C'est comme ça que le joueur arrivera formé en sélection A. Il doit faire ses classes de la catégorie des minimes jusqu'à celle des seniors. Le meilleur DTN, c'est le sélectionneur des A. Vous avez rencontré le ministre de la Jeunesse et des Sports ? Cela fait 5 ans que j'ai fait un plan de redressement avec le ministre de la Jeunesse et des Sports, Hachemi Djiar. J'ai même revu le ministre après le match contre le Maroc à Marrakech et je l'ai relancé. Dans les clubs, les entraîneurs préparent les joueurs à leur manière. Cependant, il y en a une autre pour préparer les joueurs qui sont sélectionnés en Equipe nationale. Il y a un suivi qui doit se faire de bas en haut. Qu'on le veuille ou pas, on se concentre plus sur l'EN A. Souvent, on remarque des joueurs en sélection minime, on ne les retrouve plus en cadets et vice-versa. Aujourd'hui, il y a de la déperdition, car la sélection nationale est formée par des joueurs évoluant à l'étranger. Il n'y a pas de politique en EN A. Un paravent barre la route aux joueurs locaux. C'est pour cela que je dis que le football doit revenir aux footballeurs, qu'on le veuille ou pas. Comme l'EN U 17 qui n'existe plus ? Tout à fait. Et l'équipe A', où en est-elle ? Je vais vous raconter une anecdote. Cela s'est passé lors du match Maroc – Algérie à Marrakech. Le MJS m'a demandé de l'accompagner pour aller saluer les joueurs algériens dans les vestiaires. Une fois sur place, la sélection n'était pas encore arrivée. Je suis tout de même rentré dans les vestiaires et j'ai vu les équipements bien préparés. Il y avait le staff médical, administratif et le garde matériel. J'ai demandé aux membres de ce dernier si l'EN allait jouer en vert. On m'a répondu par l'affirmative. J'ai alors tiqué. Et j'ai prié Dieu de nous épargner une cuisante défaite. On m'a alors dit : ‘'mais pourquoi ce pessimisme'' et là j'ai rétorqué en disant : ‘'nous n'avons jamais vu au monde une équipe évoluer tout en vert, surtout en nocturne. Le joueur ne peut pas distinguer son camarade sur le terrain qui est de la même couleur que l'équipement. Résultat, une débâcle à Marrakech. Si je raconte cette anecdote pour la première fois, c'est pour vous dire que celui qui n'a pas vécu le football, ne sait pas que l'on ne doit pas jouer tout en vert le soir. Le garde matériel est revenu à la charge pour me dire que le choix avait été fait la veille par les Marocains, qui avaient choisi le blanc lors de la réunion technique, alors que nous, nous avions présenté un équipement vert et un autre blanc. Regardez Gerets. Lui, il connaît le sujet. J'ai alors dit mais vous saviez que les Marocains allaient évoluer en blanc, pourquoi n'avez-vous pas présenté un équipement en rouge et vert, par exemple ? Il y a alors beaucoup de choses à revoir ? Rabah Madjer : Et comment ! Il y a des astuces que seuls les footballeurs connaissent. Un autre exemple. Lorsque notre sélection doit disputer un match en République centrafricaine connue pour sa chaleur et son taux d'humidité élevé, on ne laisse pas les joueurs dans leurs chambres climatisées la journée pour aller ensuite jouer un match. Cela n'est pas bon. Cela fait partie de la préparation d'un match que de brancher la climatisation le soir seulement pour bien dormir et récupérer et pour s'habituer au climat. Malheureusement, celui qui n'a pas un vécu footballistique ne peut pas réfléchir de la sorte. Je parle en connaissance de cause, car nous avons vécu cela avec Mekhloufi. Il y a beaucoup de choses de ce genre à revoir, surtout pour les joueurs qui viennent de l'étranger. Ils ne connaissent pas l'humidité, la chaleur. On leur fait jouer directement un match sensible sans les mettre dans les conditions. Un match amical doit se jouer contre une équipe africaine, c'est logique ! Lorsqu'on prépare une rencontre officielle contre la Tanzanie, on va se préparer, par exemple, au Kenya avec un match amical. Vous tirez la sonnette d'alarme Bien sûr et je l'ai toujours fait. Même avec la venue du nouveau sélectionneur ? Je ne le connais pas, mais j'ai beaucoup de respect pour lui. Le problème,ça n'a jamais l'entraîneur... C'est une politique qui ne permet pas aux joueurs qui opèrent à l'étranger d'évoluer comme il se doit en sélection, car ils ne jouent pas beaucoup entre eux, vu qu'il n'y a pas assez de stages. Cela n'est pas possible. En plus, ils évoluent en Europe pour ensuite aller en Afrique. Notre force durant les années 1980, c'étaient les regroupement que l'on effectuait en Algérie et même dans certains pays africains avec des matchs amicaux avec les conditions que tout le monde connaît. ça commence mal alors pour Halilhodzic qui a programmé un stage à Paris Je ne comprends vraiment rien. Je suis fatigué. Pourquoi un stage à Paris ? Je ne comprends pas ce choix ? Si je vais en Tanzanie, la logique veut que j'aille dans un pays limitrophe quelques jours avant le match. On ne peut pas aller dans le Sud algérien, par exemple... Rabah Madjer : Le Sud, c'est sec, donc difficile. On a besoin de jouer là où il y a de l'humidité. On a vécu ce problème en Centrafrique. Aujourd'hui, on a les moyens, alors qu'on le veuille ou pas, pour une bonne préparation, on doit aller travailler dans un pays limitrophe pour l'adaptation de manière générale. Sincèrement, je ne vois pas où est l'intérêt d'aller se préparer en France pour jouer ensuite en Afrique. LNR : Joueurs locaux ou expatriés, entraîneur local ou importé. Vous remettez en cause une politique ? Rabah Madjer : Je suis en train de parler pour expliquer certaines choses. J'essaie d'aider à ma manière. Il y a un débat auquel je dois prendre part. C'est une vision. A mon tour de vous poser une question. L'entraîneur étranger a-t-il une baguette magique ? Je ne le pense pas. Le football est-il une science exacte ? Cela n'a jamais été le cas. Le nouvel entraîneur qui a à charge la sélection peut gagner des matches, mais il peut en perdre aussi, tout comme un entraîneur local. Mais vu le sondage, le peuple et certains de nos responsables politiques sont contre la venue d'un sélectionneur étranger en EN. Ils sont pour une équipe formée de joueurs locaux renforcée par les meilleurs évoluant à l'extérieur. Vous parlez en connaissance de cause ? L'Algérie est une grande nation pour laquelle j'ai un grand respect. J'ai un grand respect pour les joueurs, les entraîneurs et les présidents de clubs qui font un très grand travail dans des conditions difficiles. Nous avons de bons joueurs. Cela dépend de la personne ou de l'entraîneur qui va les gérer. C'est très important ce que je vous dis là. L'Algérie a toujours formé des hommes. La preuve : les meilleurs résultats enregistrés par la sélection l'ont été grâce à des entraîneurs locaux, à commencer par Mekhloufi, Khalef, Kermali et Saâdane récemment. En plus, l'ossature de notre Equipe nationale a toujours été forte grâce à la présence des joueurs locaux. On peut revenir en arrière pour citer les Betrouni, Bachi, Draoui, Naïm, Zenir, Belloumi, Assad, Fergani… puis on leur injectait les Korichi, Mansouri, Maroc, Dahleb… En 1990, nous avons remporté la Coupe d'Afrique des nations avec l'art et la manière avec un grand monsieur que je respecte beaucoup, en l'occurrence Abdelhamid Kermali qui a aussi gagné la coupe afro-asiatique avec des joueurs locaux. Comment aujourd'hui nous raconte-t-on des ragots pour dire que l'Algérie n'a pas de compétence. C'est une insulte. L'histoire est là pour en témoigner et prouver le contraire. Vous insistez pour dire que l'Algérie a de bons joueurs ? Bien sûr. Je soutiens et le joueur et l'entraîneur local. Nous avons de grands monsieurs à ce niveau-là. Vous pensez qu'ils peuvent rivaliser avec les expatriés ? La politique actuelle de la fédération a donné un coup à la jeunesse algérienne. Nos joueurs ont plus besoin d'un travail psychologique pour revenir. Pourquoi ? Lorsque ces joueurs constatent que la politique de la FAF fait que la majorité des joueurs convoqués en sélection sont importés, les joueurs locaux sont découragés et ne se donnent plus à fond dans leurs clubs. Ils savent que même s'ils sont les meilleurs dans leurs équipes, ils ne seront pas appelés en sélection. Je veux ajouter une chose. Si notre EN joue mal, c'est parce qu'elle ne joue pas le football à l'algérienne, qui a été notre force. Aujourd'hui, nous avons importé un style qui ne correspond pas à notre football. Ce sont des joueurs qui viennent de l'étranger. Ils ont appris le football de là-bas, comme il leur a été enseigné, un football direct où il n'y a pas de création. El là, on finit par passer à côté. C'est grave que notre sélection ne marque plus de buts, ce qui était pourtant notre force avant. Aujourd'hui, j'ai mal lorsque je vois l'Equipe jouer. Ce n'est pas normal qu'une sélection n'arrive pas à garder la balle 4 secondes comme ce fut le cas à Marrakech. Il y a une politique qui a détruit l'Equipe nationale. Vous n'êtes pas tendre avec la FAF... : Vous me donnez l'occasion de préciser une chose. Pour ce qui est de la FAF, je ne suis pas contre des personnes mais contre une politique. Que cela soit clair. C'est une question d'idée, je ne partage pas celle de l'instance fédérale, voilà tout. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai pris du recul et je n'écarte pas l'éventualité de revenir aux affaires du football algérien pour remettre cette discipline sur les rails avec tous les acteurs de la balle ronde. Vous n'écartez donc pas un retour en sélection ? Actuellement, je ne suis pas preneur ni candidat à un quelconque poste à la FAF. Peut-être après le départ de l'actuel bureau. Plus tard, je répondrais avec plaisir à l'appel du cœur. Je suis toujours attaché à mon pays. En attendant, c'est à travers la presse que vous aidez le football national ? Bien sûr. J'essaie de prodiguer des conseils à chaque fois que c'est possible à travers les médias algériens. J'essaie d'aider à ma manière. Je ne suis pas en train de tirer sur la FAF. On a parlé de vous à la JSK ? Je vais vous répéter ce que j'ai dis. S'il y a un projet sérieux avec des objectifs bien définis, pourquoi pas ? Lorsque vous parlez de projet, est-ce au niveau d'un club ou autre ? Je ne parle pas de la sélection. Un club alors ? Pourquoi pas ? S'il y a un bon projet et que je peux apporter un plus, cela m'intéresse. Et un projet propre à vous, cela ne vous intéresse pas ? Sincèrement, dans l'état actuel de notre football, non. Ce n'est pas le moment. Beaucoup de choses doivent changer. Un mot sur l'accession du NAHD en Ligue Une ? Je ne laisserais pas passer l'occasion pour féliciter le Milaha, mon club de toujours. J'espère qu'il va se maintenir et, pourquoi pas, gagner des titres. êtes-vous en contact avec les anciens du NAHD ? De temps en temps, je croise des amis du NAHD comme Manaâ. Cela doit faire longtemps que vous n'avez pas assisté à un match de votre ancienne équipe ? Cela fait une dizaine d'années que je n'ai pas vu un match de championnat d'Algérie. Vous avez transmis le «virus» du football à vos enfants, n'est-ce pas ? Tout à fait. Il y a Amir, l'aîné qui est âgé de 23 ans et Lotfi qui a 9 ans. Tous deux sont à Doha. Le petit est à Aspire Academy. Il est attaquant et marque beaucoup de buts. Vous êtes ambassadeur de l'UNESCO. Une nouvelle mission pour vous ? Dieu merci cela marche bien de ce côté-là. J'essaie d'être toujours disponible pour cette bonne cause. En principe, je serais à Paris en octobre prochain pour officialiser ma nomination avec l'UNESCO sur le plan administratif. L'Union africaine aussi fait appel à moi. Je me déplace beaucoup comme dernièrement au Ghana. Il y a aussi Lorius, une organisation de bienfaisance. Vous êtes convié à Monaco pour une importante cérémonie. De quoi s'agit-il au juste ? Effectivement. Un membre de la fondation Golden Foot, l'Italien Gio Franco, m'a appelé pour me faire part de leur choix quant à ma personne. Je suis invité pour le mois d'octobre 2011 à Monaco où je dois laisser l'empreinte de mon pied sur la corniche aux côtés des Pelé, Maradona, Platini… C'est un honneur pour moi et je suis très content. Vous êtes ambassadeur de l'UNESCO, l'UA et de Lorius. Peut-on vous voir dans un proche avenir à la tête de la FAF ? Bien sûr. Mon objectif est de donner au football algérien ce qui lui appartient, car il est en pleine crise. On doit travailler main dans la main. Si je suis président, c'est une éventualité que je n'écarte pas. Je travaillerais bien entendu avec les membres du bureau mais aussi avec les présidents de clubs, les entraîneurs, les joueurs ainsi qu'avec tous les acteurs du football national. J'essaierais de trouver des solutions avec tout ce beau monde dans l'intérêt de la discipline pour la servir. Il ne s'agit pas pour moi d'investir pour une éventuelle intégration de la CAF ou de la FIFA. Je n'ai pas besoin de cela. Si j'aspire à diriger la FAF, c'est pour régler des problèmes. Mon souhait et mon objectif est de redonner confiance à tout ce qui est local. Cela ne veut pas dire que je ferme la porte aux joueurs qui évoluent hors d'Algérie, mais il faut qu'ils soient bons. On peut faire du positif, sortir de la crise et ne plus marginaliser tout ce qui est local. Il faut le mettre dans le bain et donner des opportunités aux entraîneurs. Les solutions, c'est avec les présidents qu'on va les trouver. Il faut s'entourer de gens de haut niveau pour travailler ensemble. Une chose est sûre, je ne déciderais pas seul. Que pensez-vous des dernières déclarations du président du RND ? J'étais très heureux de l'entendre dire qu'il nous soutenait. Cela nous a encouragés en tant que produit local. Vous voyez, il y a des gens qui ne sont pas d'accord avec l'actuelle fédération. On croit savoir que votre fille a décroché son bac. Un message spécial ? Effectivement. Je profite de l'occasion pour féliciter ma fille Amira Asma qui a décroché son bac avec mention. C'est le 3e de la famille. Il reste le petit Lotfi inchallah.