Le titre du roman en dit long sur le contenu. D'aveux et de nostalgie, par ses deux termes d'un grand poids sémantique, donne un avant-goût des thèmes principaux autour desquels s'est construite l'œuvre littéraire. On peut parler de roman historique à la première personne. Dès le départ et sur fond de décor traditionnel, on prend les lecteurs à témoin des situations très complexes à caractère social, historique et politique. Cela correspond donc à une combinaison de thèmes en rapport avec un vécu étalé sur des décennies. Lorsqu'on lit les premières pages, on a l'impression de voir se côtoyer des générations opposées par leur regard sur le monde, la culture, les perspectives d'avenir. En parlant des aînés, l'auteur dit que leur imaginaire est façonné par les histoires. Et par rapport aux Arabes des autres pays comme la Palestine, les vieux ont le sens de la fraternité et de la solidarité. Une manière originale de bâtir un roman C'est le train qui ouvre la porte de l'univers romanesque avec une note de personnification par l'emploi du verbe «éjecter». L'auteur procède par gradation. Dès les premières pages, le lecteur s'imprègne des particularités de la ville de Constantine : une horloge dont le verre est cassé et qui continue de trôner au point d'attirer des gens à la porte de sortie, la statue de Constantin dans sa tunique avec son épée, empereur romain, les 7 portes donnant accès à la ville ancienne, rappelant que le chiffre 7 est sacré chez les musulmans : 7 fois le tour de la Kaâba par les pèlerins, 7 cailloux qu'on jette à Satan, 7 jours et 7 nuits, etc. Tous les lieux chargés d'histoire, les souvenirs des évènements qui ont marqué notre pays sont normalement véhiculés par la mémoire. Et c'est cette mémoire qui est ici reconstituée avec beaucoup de talent parce que l'auteur a su alterner l'histoire, les problèmes de société avec tout ce qui relève des sentiments, carcans des traditions ancestrales. Kamel, le héros du roman, a bravé tous les interdits en poussant l'audace jusqu'à vouloir épouser une juive alors qu'il avait été lié à une fille de son pays. C'est une transgression grave par rapport aux convenances, un acte condamné par la religion. Mais, lui, ne l'entendait pas de cette oreille. Et partant de cette juive, il avait eu le courage de dire : «C'était un concentré de printemps divin dans le visage d'une femme. Elle lui avait même apporté la preuve qu'il fallait se méfier d'elle, d'autant qu'elle lui avait dit un non catégorique à sa convention à l'islam». «Maman, ce n'est pas de sa faute, dit Kamel, si elle est juive.» Et l'alternance fait que, comme technique romanesque, des sentiments personnalisés, ceux du fils et ceux de ses parents, l'auteur aborde des pans de notre histoire nationale : la connivence des juifs avec les colonialistes, les révolutionnaires algériens avant et pendant la guerre de libération qui ont donné leur vie pour que vive l'Algérie. C'est le cas de Reda Houhou, cité par l'auteur comme grand écrivain et grand militant de la cause nationale. Zhor Ounissi rappelle aussi le décret Crémieux de 1870 qui accorde aux juifs d'Algérie les mêmes droits que les Français. Un narrateur dans le roman ou le romancier et son double C'est Kamel qui joue ce rôle à la manière d'un autre qui parle à la première personne sous toutes ses formes comme s'il élaborait sous les yeux des lecteurs un roman autobiographique, surtout quand il donne son point de vue sur la manière de se comporter vis-à-vis d'autrui, de ses parents. Il dit : «C'est ma liberté, j'en fais ce que je veux, laissez-moi me rebeller, me révolter, faire ce que je veux, ne m'attachez pas à l'histoire et aux ancêtres, ni à ce qu'il adviendra de nous demain». Puis nous assistons à une description des lieux et de quelques faits marquants du passé qui nous mettent dans le bain de notre longue histoire nationale. «Me revoilà dans tes bras, ô ma ville scintillante», dit le héros, parlant comme quelqu'un qui revient d'un long exil, et cela est vrai d'après de nombreux détails du texte. La première personne, dominante dans le livre, est là pour intéresser le lecteur, le motiver pour une meilleure connaissance du passé. Le héros narrateur dans le roman raconte comme si tout est d'actualité, en citant des camarades, amis, compagnons tels Mehdi, Ali, Mourad, Zina, un médecin vivant humblement mais qui réussit, on ne sait comment, à obtenir un terrain avec sa seconde épouse. On retrouve Kamel et Sabrina, sa compagne pour la vie de couple, revenant d'un long séjour en France. Sa mère lui avait dit qu'elle grimperait jusqu'au sommet d'un pic de montagne pour déposer une ouâda à Sidi Ghorab si Kamal réussit à se débarrasser de la juive. Comme dans toutes les régions d'Algérie, les saints marabouts ont été vénérés parce qu'on les a considérés comme protecteurs des malades, des malheureux et fragilisés par les soucis d'une vie dure. Parmi les événements sanglants subis par les Algériens de la période, il y a celui du 8 mai 1945 auxquels ont pris part Mourad et Kamel. C'est une tragédie grave de notre histoire dont on ne parle pas assez. L'auteur semble bien se rappeler de la population constantinoise il y a plus de soixante ans, parce qu'elle se distingue par la diversité : Ammi Arab était venu de Kabylie, Ammi Ahmed, Ammi Hocine, le jeune Hamid aveugle, Rafik Hamama, un couple mal assorti, c'est la vie dans toute sa différence. Et parmi les lieux historiques, il faut citer les cimetières sur lesquels l'auteur insiste beaucoup parce que ses parents y sont enterrés. Et pour lui, ces moments de recueillement sont mémorables. Il y a aussi des maisons, des rues, puisque nous sommes à Constantine, qui ont servi de théâtres d'opération. Il faut rappeler l'école que Kamel a dû fréquenter, elle lui rappelle des moments inoubliables de l'enfance naïve et innocente. Et que d'autres souvenirs comme Rachid, un ami d'enfance, et une moudjahida à qui il offre un bouquet. Sa ville natale il l'a appelée : «Vous êtes mère, ma ville». Ce qui explique le panégyrique qu'il lui a consacré. Vers la fin du roman, des pages sont composées dans un langage qui frise l'ésotérisme. Cela traduit-il la volonté de relever le niveau de langue pour s'adresser à quelques destinataires intéressés mais virtuelles ? Et voilà un passage : «La danse est adoration, l'adoration est une humanité. La forêt a troqué l'intelligence contre la folie. La forêt est folle, la parole est maîtresse, tout dans la forêt est prêt à détruire la maison de la sagesse, de la raison et de la pensée.» Zhor Ounissi, D'aveux et de nostalgie, Editions Alpha 2011, 180 pages,traduit de l'arabe par Mehenna Hamadouche