«Je n'ai pas assisté à l'assaut. Je dormais tranquillement quand mon camarade me réveille et m'annonce que nous sommes pris par des pirates.» Ce sont là les tout premiers propos de âmi Mohamed Aït Ramdane, 55 ans, machiniste sur le MV Blida. Ce dernier, rappelons-le, a été victime avec ses compagnons, le 1er janvier 2011, d'un acte de piraterie en haute mer alors que le navire sur lequel ils se trouvaient se dirigeait vers le port de Mombasa au Kenya. L'équipage comptait vingt-sept membres, dont dix-sept de nationalité algérienne. Malgré la fatigue et l'affaiblissement apparents, âmi Mohamed est sorti de son silence et a bien voulu accorder un entretien chez lui, entouré de sa femme et de ses enfants, à une poignée de titres de la presse écrite. La Nouvelle République en faisait partie. «Seulement les titres qui nous ont aidés en parlant de notre calvaire», dira Faouzi, son fils. Les yeux souriants, mais le regard vide, âmi Mohamed a essayé tant bien que mal de rassembler des bribes de sa mémoire pour conter son périple et celui de ses camarades, détenus en otage pendant dix longs et interminables mois. Il raconte que le 1er janvier à 14h20, le MV Blida, chargé de marchandises, a été intercepté non loin des côtes d'Oman par des pirates, qui squattaient un bateau tunisien, le Hannibal. «Notre capitaine a essayé de manœuvrer doucement pour éviter le Hannibal, mais les pirates à bord de chaloupes ont investi le MV Blida. Ils étaient près d'une trentaine.» Il poursuit : «Ils étaient munis d'armes à feu, tiraient à tout bout de champ pour nous faire peur, nous bousculaient, et nous menaçaient ; ils ont arrêté les machines pour brouiller les pistes et pour qu'on ne puisse pas donner l'alerte.» Le quinquagénaire s'est rappelé qu'un hélicoptère a survolé le navire le jour même de l'attaque, se doutant que quelque chose n'allait pas, mais vite reparti, après être induit en erreur par les fausses informations données par les pirates. «Cela a été un vrai choc pour nous. Nous avions très peur», dit-il encore sous le choc. D'après ses propos, le MV Blida a continué à naviguer en direction d'un port où il a accosté. «On changeait souvent de port, à cause des zones de mouillages», explique-t-il. Le port où nous nous trouvions était sous le contrôle des pirates, à leur tête un dénommé «Ahmed grade», qui commandait entouré de ses fils. Âmi Mohamed affirme que le plus vieux des pirates dépassait à peine la quarantaine et le plus jeune avait quatorze ans, parlant beaucoup l'anglais et peu l'arabe. «La ville proche de nous était Hobyo ; nous étions enfermés. Nous n'avions même pas le droit d'être sur la passerelle. Ils nous traitaient selon leur humeur, la plupart du temps très mal, en nous provoquant, nous frappant, nous ligotant et nous empêchant de dormir. Ce qui n'est pas mal si on ne nous affamait pas», avance-t-il. Le stock du MV Blida a été liquidé après vingt jours de séquestration. Les marins se nourrissaient selon le bon vouloir de leurs geôliers. «On nous ramenait de l'eau dans des bidons de gasoil, qu'on purifiait à l'aide de chlore pour pourvoir la boire. C'est un miracle qu'on soit toujours en vie.» «Nous avions une canette de coca qui faisait office de casserole, où l'on réchauffait du lait, du café ou du thé, quand on daignait nous en donner», ajoute-t-il. Concernant ce qui se passait hors de leur bateau, notamment la couverture médiatique de leur kidnapping, le marin révèle qu'ils n'étaient au courant de rien. «Les seules informations que nous recevions sont celles que nous donnaient nos familles quand les pirates nous permettaient de les appeler une fois par mois», dit-il, en mentionnant la présence de chalutiers pakistanais et iraniens qui ont subi le même sort du MV Blida et dont l'équipage est retenu depuis presque deux ans. L'équipage en question a rejoint les marins sur le MV Blida les deux derniers mois. «Rachid, un pirate chargé de nous surveiller, allumait parfois une petite radio, et la mettait sur la chaîne BBC, mais dès qu'on s'approchait, il changeait de chaîne.» Pour ce qui est des soins, surtout pour ceux qui souffraient de maladies chroniques, notre marin assure que le médecin prescrivait les médicaments par téléphone. Une lueur d'espoir est apparue au début du mois d'octobre. «On commençait à vivre avec les rumeurs. Mahmoud, l'affréteur jordanien, négociait notre libération, on sentait que le dénouement approchait.»«Le 3 novembre, non sans un grand étonnement mêlé à un bonheur inouï, les pirates nous annoncent que nous sommes libres. On s'est dirigés vers Mombasa, sous une escorte espagnole et celle de l'armée kenyane. Là, nous avons été reçus par les officiels du Kenya et des représentants de notre pays. La suite, vous la connaissez.» Concernant un éventuel paiement de rançon pour leur libération, M. Aït Ramdane dira : «Je ne suis au courant de rien. Cela reste un secret.» A ce propos, l'épouse du marin nous a affirmés que selon les dires des autres marins, les pirates avaient marre des otages et voulaient en finir vu la lenteur des négociations et la détermination de l'Algérie à ne pas verser de rançon. Les autorités algériennes ont eu les pirates à l'usure.