En 2012, le grand événement planétaire de l'année sera Rio + 20. Rio, parce que c'est dans cette ville que s'est tenue la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED), en juin 1992, et 20, parce que, en juin prochain, 20 ans se seront écoulés depuis. En juin 2012, l'ONU tiendra une nouvelle conférence à Rio pour célébrer l'événement et faire le point. Avant Rio, (-20), c'était Stockholm, en juin 1972 : la première Conférence des Nations unies sur l'environnement. La délégation algérienne était dirigée par le secrétaire d'Etat au Plan (Abdallah Khodja), il n'y avait pas de ministère chargé de l'Environnement (il faudra attendre avril 1977 pour voir la notion de «protection de l'environnement» figurer explicitement dans l'intitulé d'un ministère chargé également de l'Hydraulique et de la Mise en valeur des terres). Dans sa déclaration, le représentant algérien à la Conférence de Stockholm affirmait : «Les problèmes d'environnement en Algérie procèdent directement pour la plupart de l'état de sous-développement dans lequel s'est retrouvé le pays du fait de l'exploitation coloniale». La déclaration finale de la Conférence de Stokholm, reconnaissant ce fait, proclamait que «les pays en voie de développement doivent orienter leurs efforts vers le développement, en tenant compte de leurs priorités et de la nécessité de préserver et d'améliorer l'environnement». La Conférence demandait naïvement aux pays industrialisés de «s'efforcer de réduire l'écart entre eux et les pays en voie de développement». A cette époque, l'Algérie était engagée dans un effort de développement national qui sera fortement contrarié dès la fin des années 1970 puis dans les années 1980. Quand arrivent juin 1992 et la Conférence de Rio, l'Algérie est dans une phase de reflux qui durera toute une décennie. Notre pays sera représenté à Rio par le ministre des Affaires étrangères qui sera rapporteur général de la Conférence. Au plan institutionnel, la protection de l'environnement, au sens général, est alors rattachée au secrétariat d'Etat à la Recherche et à la Technologie. Le développement durable à l'horizon En 1992, la formule qui domine les esprits est : développement durable. L'Algérie l'adopte très vite comme en attestent les propos du président Mohamed Boudiaf dans une déclaration lue devant la presse internationale, en février 1992 : « L'Etat doit veiller à la protection de l'environnement pour garantir un développement dura-ble». Développement durable, ces mots reviendront dans tous les discours, tous les documents, toutes les interventions qui avaient un rapport avec l'environnement. La définition consacrée est celle fixée en 1987 par la Commission Brundtland (Commission mondiale sur l'environnement et le développement). Elle sera débitée en toute occasion par les écologistes: «un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs». Le plus dur, chez nous, ce fut la traduction de développement durable en arabe, le choix a été long à faire entre moustadama et moustadima. Le plus «branché» consistait à le dire en anglais : sustainable development, d'où le «soutenable» que l'on peut coller à développement sans être accusé d'hérésie. Parce que l'écologie com- mençait à ressembler à une religion avec sa profession de foi, une citation reprise du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry : «Nous n'héritons pas de la terre de nos parents (ou de nos ancêtres), nous l'empruntons à nos enfants». Penser aux générations futures et aux autres dans l'ambiance d'égoïsme qui baigne un monde soumis dans les années 1990 aux dogmes du marché, quelle noble intention ! Puis vint l'économie verte 2012 : aujourd'hui, être à la mode, c'est parler en termes d'économie verte. On doit s'y mettre, voire s'y soumettre. Le document de référence, en la matière, est celui du PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) publié en 2011 sous le titre «Vers une économie verte : Pour un développement durable et une éradication de la pauvreté». Selon le PNUE, l'économie verte est un moyen de réaliser le développement durable et d'éradiquer la pauvreté. Le système économique actuel qui domine le monde, conduit à l'épuisement des ressources naturelles et à l'aggravation des inégalités sociales entre les pays et à l'intérieur de chaque pays. Ce système a pour nom capitalisme, et pour moteur la recherche du profit pour le profit et non pas la satisfaction des besoins de la société. Il cultive le superflu. Exem- ple : à quoi servira la tour que construit l'Arabie Saoudite (plus d'un kilomètre de hauteur et d'un coût de près de 900 millions d'euros) ou ces constructions-gadgets de Dubaï destinées à satisfaire les caprices des plus riches, alors que des populations, un peu partout dans le monde, souffrent de la faim ? Il n'y a pas que ça. Les dépenses engagées par ce système dans la lutte contre la pauvreté dans le monde, sont dérisoires par rapport aux dépenses militaires destinées à préparer les pays de l'OTAN à mener des guerres contre les pays «récalcitrants». Le coût de la guerre en Libye se compte en milliards d'euros auxquels il faut ajouter les dégâts matériels et les pertes humaines classées comme dégâts collatéraux. Le pétrole pollue mais pour se l'approprier, les pays occidentaux font la guerre. Dans ce contexte, l'économie verte est présentée comme la solution miracle. Selon le PNUE, c'est «une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l'équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources». Et pour y aller, rien de plus facile. Il suffit, toujours selon le PNUE, d'adopter des politiques publiques intelligentes, autrement dit : abandonner l'actuelle économie polluante et inefficace au profit d'une nouvelle économie verte. Explicitement, le PNUE recommande de développer l'économie, créer des emplois décents et accélérer le progrès social tout en adaptant l'empreinte écologique de l'humanité aux capacités de la planète. Qui est contre ? Personne. Et qui travaille pour ? Personne. Quand, récemment, la directrice générale du FMI a lancé son avertissement sur le danger qui menace l'économie mondiale, elle ne pensait pas à son manque de verdissement, au sens du PNUE, mais au taux de croissance qui serait revu à la baisse. L'économie verte reste du domaine de la théorie. L'économie verte, le monde développé n'y va pas, il s'en éloigne. Les grands décideurs du monde ne veulent pas écouter les avertissements des experts, des scientifiques et des représentants des organisations sociales sur l'abîme vers lequel va la planète en l'absence d'un changement radical de la politique économique des pays développés. Le temps des négociateurs professionnels Les rencontres internationales sur les questions d'environnement (changement climatique, biodiversité et leur parent pauvre, la désertification) sont l'occasion pour les pays développés de démontrer leur mépris pour l'intérêt de la planète et de tout ce qui la peuple. On en a la preuve dans les conférences qui discutent du réchauffement climatique. Elles se focalisent non pas sur les causes (liées aux exigences du capitalisme et à sa recherche effrénée du gain) pour les éliminer mais sur les effets pour les atténuer. Dans une de ces conférences, à Cancun, les pays développés ont pris des engagements de réduction d'émissions de gaz à effet de serre pour la période 2012-2020. Les experts ont établi que ces engagements conduisent à une augmentation de la température globale d'environ 4 °C, ou plus. Or, tous admettent qu'une élévation de la température mondiale de 2°C serait une menace pour la survie dans certaines parties du monde. Seul résultat concret de ces conférences internationales sur le changement climatique, elles ont donné naissance à une nouvelle «race» : les négociateurs professionnels, com-me les appelle Claude-Marie Vadrot, journaliste français, spécialiste des questions environnementales. «Ils vont, écrit-il, de con- férences en conférences et prient pour garder leur boulot le plus longtemps possible. En quittant Durban, ils n'avaient aucune inquiétude sur la survie de leurs fonctions». Ils pensent déjà à Doha, au Qatar, où se tiendra la prochaine conférence sur le changement climatique. Les contestataires et les ONG qui ont pris l'habitude de faire de longs déplacements pour aller perturber ces réunions en tentant de faire entendre la voix de la planète, auront des difficultés à mettre les pieds à Qatar où, comme le fait observer Claude-Marie Vadrot, aucun hôtel n'est à un prix abordable et où, surtout, la police est efficace, car dispensée de la con-trainte du respect des droits de l'homme, inconnus dans ce pays tout comme la démocratie et la liberté d'expression. Et l'Algérie ? En Algérie, pour avoir la preuve que l'on s'éloigne de l'économie verte, il suffit d'observer autour de soi comment la consommation évolue. Evidemment, aucune comparaison avec l'époque lointaine lorsqu'on faisait de l'économie verte sans le savoir. Quand, par exemple, les bouteilles de lait et de limonade étaient en verre, pas en plastique. Il y avait ce que l'on appelle la consigne, on rendait les bouteilles au magasin, sinon, il fallait payer pour avoir une autre bouteille. Elles retournaient à l'usine pour être lavées, stérilisées et remplies à nouveau. Les mêmes bouteilles étaient réutilisées. C'était la récupération. Il n'y avait ni tasses ni bouteilles en plastique à jeter (n'importe où) à chaque fois qu'on voulait prendre de l'eau ou boire un café. Ne parlons pas des autres emballages. Les importations de voitures ont explosé ces dernières années, elles encombrent et polluent nos villes. Les pics de consommation électrique sont passés de l'hiver à l'été à cause des climatiseurs, il y en a plein les façades des habitations, elles côtoient les paraboles. Et encore, en matière de climatiseurs, nous sommes loin de la moyenne des pays développés. Seules notes d'optimisme : le programme de développement des énergies renouvelables et la démarche d'économie d'énergie et d'efficience énergétique ; le train électrique, le métro, le tramway qui montrent la voie du futur.