Des milliers d'islamistes ont manifesté à Tunis, réclamant l'application de la charia et l'instauration d'un Etat islamique. De l'autre côté, plusieurs milliers de citoyens ont répliqué contre cet état de fait, demandant un état civil et démocrate, rejetant l'intégrisme et la théocratie. «La Jazira la Qatar, chaâb tounes chaâb horr». C'est par ces slogans que les démocrates ont accueilli les journalistes d'Al Jazeera et de la télévision du Qatar qui ont été chassés par les manifestants. A Tunis et à l'appel de plusieurs organisations islamiques, plus de dix mille Tunisiens se sont réassemblés, réclamant aux autorités l'application de la charia dans le pays. «Le peuple veut un Etat islamique» ; «Le peuple veut l'application de la charia», ont-ils scandé. «Les musulmans appartiennent à une seule nation et la charia les réunit» ; «Celui qui aime Dieu aime sa charia», pouvait-on lire sur des banderoles brandies par des partisans du parti non légalisé Hizb Ettahrir. Ces derniers ont indiqué que seul l'islam garantit les libertés et les droits fondamentaux des êtres humains. «Les Tunisiens qui s'opposent à l'application de la charia dans la future Constitution doivent savoir que seul l'islam garantit les libertés et les droits fondamentaux des êtres humains», a déclaré un islamiste à la presse. A Monastir et à l'appel de plus de 50 partis politiques, des milliers de Tunisiens se sont réunis pour resserrer les rangs de l'opposition et contrer la troïka conduite par le parti islamiste Ennahda. Organisé par l'Association nationale de la pensée bourguibienne, ce rassemblement qui accueille également quelque 525 associations tunisiennes a été marqué par la participation de l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, qui avait dirigé durant dix mois le deuxième gouvernement intérimaire après la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Dans un discours devant plusieurs milliers de personnes, M. Essebsi a préconisé un référendum pour «trancher en cas de besoin la question de l'application de la charia comme principale source de législation dans la future Constitution», pomme de discorde entre les islamistes et les modernistes. «Nous avons convenu lors de la passation du pouvoir que la rédaction de la Constitution et l'organisation des prochaines élections devraient se limiter à un délai d'un an, malheureusement on constate que le gouvernement n'est pas pressé de tenir ses promesses quatre mois après son accession au pouvoir», a-t-il indiqué. «La légitimité seule ne suffit pas, il faut faire preuve de compétence et de capacité pour gérer le pays», a estimé de son côté le président historique du Parti démocrate progressiste (PDP), Ahmed Néjib Chebbi. Intitulée «A l'appel de la nation», cette rencontre est «une occasion pour réunir les partis politiques et les représentants de la société civile qui soutiennent la pensée réformiste bourguibienne et qui sont attachés aux valeurs de la modération et de la tolérance», a déclaré à la presse Kassem Makhlouf, porte-parole de l'Association. Face à la montée des islamistes qui réclament l'application de la charia comme source principale de législation dans le futur texte fondamental du pays, l'opposition qui exige un Etat civil et moderniste, tente d'unir ses rangs dans une large coalition. Plusieurs formations politiques libérales et de gauche ont déjà annoncé leur projet de fusion telles que le mouvement Ettajdid, le Parti du travail tunisien et les Indépendants du pôle moderniste. D'autres, appartenant à la mouvance progressiste et centriste, sont en cours de finalisation comme le Parti démocrate progressiste (PDP), Afek Tounes (les perspectives de la Tunisie) et le parti républicain. Regroupant 11 formations politiques, le Parti national tunisien a appelé aussi à une coalition des partis «destouriens», qui se réclament de l'héritage de Bourguiba mais qui ont été également des membres du parti dissous de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Disciple de l'ancien président Habib Bourguiba, Essebsi avait lancé à la fin janvier, un message solennel à l'ensemble des forces évoquant une «régression» et pointant «l'apparition de formes extrémistes violentes menaçant les libertés publiques et privées». Rejetant la violence, il avait appelé à se rassembler autour d'une «alternative». Les journalistes d'Al-Jazeera ont été attaqués par les manifestants démocrates. «La Jazira la Qatar, chaâb tounes chaâb horr» (Appel de la nation, ni Al Jazira ni Qatar, le peuple tunisien est libre), criaient-ils notamment avant d'agresser physiquement l'équipe de la chaîne. Lotfi Hajji et son équipe ont pu cependant faire leur travail après une intervention énergique de Caïd Essebsi qui a rappelé les éléments surchauffés à l'ordre.