Il est 16h. De nombreux clients attendent l'ouverture des hammams. Les caissiers ou les gérants viennent ôter le morceau d'étoffe suspendu à la porte d'entrée, un bout de tissu accroché le matin pour signaler que le hammam est réservé aux femmes. Les habitués, accompagnés de leurs enfants, des garçons bien sûr, de leurs voisins ou amis, se bousculent pour occuper les meilleures places tant au niveau de la salle des vestiaires équipée de chaises et de bancs posés sur des estrades qu'à l'intérieur de la salle d'eau. Tous les murs sont tapissés d'une faïence d'importation. On se déshabille rapidement pendant qu'un employé distribue des sortes de pagne que l'on met autour des hanches pour ceux qui n'ont pas de maillot de bain. Cet employé, d'ailleurs non assuré social, lancera à notre adresse en nous voyant examiner le pagne : «Il est propre et rincé à l'eau javellisée». Des propos confirmés par le caissier qui n'est autre que le gérant de ce bain. De nombreux clients portent des shorts qu'ils ramènent de chez eux. Les vêtements sont accrochés à des porte-manteaux, alors que les sacs et les cabas sont rangés sur des étagères. Dans la salle d'eau, chaude et humide, de petites cuvettes en granito munies de deux robinets, déversant de l'eau chaude et l'eau froide, sont scellés le long des murs. Des tabourets en plastique ont remplacé les bûches en bois. Le centre de la salle est composé d'une dalle surélevée et recouverte d'une plaque de marbre qui dégage de la chaleur. Certains clients prennent place dessus pour transpirer davantage. Le «moutchou», un homme qui aide les clients à la toilette, notamment les obèses ou les personnes âgées pour de 60 ou 100 DA, repère sa clientèle. On parle assez fort pour se faire entendre. Un brouhaha. Le vacarme et le bruit de l'eau qui coule se mélangent aux cris des enfants ne supportant pas l'eau chaude. On discute des législatives, du prix de la pomme de terre et de la Syrie tout en se décrassant avec un gant de toilette. «El Kiasse» ou le masseur offre également ses services aux clients. «Sans diplôme, mais de par son expérience, il égale le kiné». Une dizaine de hammams pour tout Tissemsilt chef-lieu de wilaya. Dans un coin de cette salle, un jeune savonne un octogénaire allongé à même le sol. «C'est mon grand-père», dit le jeune homme. Un autre homme âgé ne supportant pas l'humidité et la chaleur de la salle, sort dans le vestibule où l'atmosphère est moins suffocante. On en profite alors pour lui poser quelques questions sur le hammam. «Le bain maure est plutôt un bain turc. Ce sont les Espagnols qui l'ont surnommé «Mauro», qui veut dire en français «maure», dit notre interlocuteur en signalant qu'à Tissemsilt, il n'existait des établissements de ce genre . Les bains maures comme celui de Baya, Kaci, Sougueria et d'autres fonctionnent toujours selon les horaires suivantes, pour les femmes, de 8h à 15h et de 16h à 20h pour les hommes. «Le hammam était un lieu de relaxation où les gens venaient se faire masser après une semaine de dur labeur». A propos d'hygiène, notre interlocuteur soulignera que la science et la technologie ont bousculé les us et coutumes des populations. «Les murs sont tapissés de faïence, le parterre recouvert d'une dalle de sol antidérapante et la salle d'attente équipée de chaises et de bancs alors qu'avant, les clients, une fois leur bain terminé, sortaient drapés de serviettes déjà utilisées», explique-t-il en avouant que les clients pouvaient «ramasser» des poux ou contracter des dermatoses. De de nos jours, chaque client ramène sa propre serviette, son shampooing, son savon et son gant de toilette. Le respect des règles d'hygiène, des équipes y est d'actualité ! «Pour qu'une personne travaille dans ces lieux, il faut qu'elle subisse une visite médicale et présenter des certificats médicaux en médecine générale et en physiologie». «Ce qui n'est pas toujours le cas», affirme le gérant d'une douche, sachant que les travailleurs occasionnels ne sont pas déclarés à la Cnas. «Ce sont des personnes qui travaillent pendant un ou deux mois puis quittent dès qu'ils trouvent un autre emploi plus rémunérateur. Dans certains établissements, les boîtes à pharmacie étaient vides ou inexistantes, de même que les extincteurs avaient la date de péremption dépassée. Quant à l'utilisation des serviettes par la clientèle, la réglementation est claire, le client ne doit pas utiliser la serviette d'un autre client à moins que celle-ci soit lavée, indique un client. «Les établissement qui proposent des serviettes à leur clientèle doivent les laver avec une eau javellisée et séchée à l'air libre», insiste-t-il. Par ailleurs, un gérant d'une douche, signalera en nous montrant une serviette prête à l'emploi : «Sans les serviettes, on reste au chômage. Croyez-moi, je lave ces serviettes comme je lave les miennes», insiste-t-il. Un gérant d'un bain au centre-ville de Tissemsilt , nous fait visiter les lieux. «J'ai suivi les conseils de la commission d'hygiène et j'ai enlevé les serviettes. Le client vient avec son propre shampooing, sa serviette, son savon et sa lame jetable, affirme-t-il. «Les murs sont couverts d'une faïence espagnole de qualité, les portiques sont en aluminium et tout l'équipement modernisé», en plus d'un couloir de repos avec des chaises relaxantes pour éviter aux clients un choc thermal dû à la vapeur. C'est un bain aux normes internationales», déclare-t-il. Au volet santé et selon notre source, cet établissement ne présente aucun danger pour la santé du citoyen. En matière de prévention, selon nos informations, les membres de la commission d'hygiène ont sensibilisé les gérants des douches et des bains maures sur l'aération des lieux, l'installation de portiques afin de permettre l'évacuation des personnes qui s'évanouissent dans leur bain. Signalons l'esprit de concurrence chez les propriétaires de ces établissements qui rénovent leurs structures, car la clientèle préfère fréquenter les lieux propres et sécurisés. Quoi qu'on dise, le temps qui passe ne change en rien la vocation des bains maures aux yeux des femmes, pour qui, ces espaces restent des lieux de rencontres par excellence. «C'est dans le bain que j'ai aperçu ma bru pour la première fois», dit Hadja Bakhta, une grand-mère. Elle avouera que c'est ici dans ce lieu, qu'une maman recherche une fille pour son fils car elle a tout le loisir de bien observer les formes, les cheveux et le visage sans maquillage de sa future belle-fille. Cette grand-mère de 78 ans ajoute qu'elle n'a contracté aucune maladie au bain qu'elle fréquente régulièrement au moins une fois par quinzaine depuis qu'elle était fillette. K. M. 30 ans, ingénieur hydraulicienne, confirme les propos de la vieille femme. «Nous avons une baignoire à la maison, mais le bain maure est indispensable chaque semaine. On y vient pour transpirer et se relaxer», ajoute-t-elle.