La guerre d'Algérie longtemps escamotée par les autorités française a été meurtrière, totale et parfois particulièrement barbare. Marine, aviation, infanterie, légions étrangères, parachutistes, chasseurs alpins, gendarmerie, police, appelés du service militaire, réservistes, services de renseignements et barbouzes de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) avaient pour mission de maintenir l'ordre colonial, de pacifier le pays contre des insurgés qu'on appela avec dérision les fellagha, nom donné aux insurgés qui ne tarderont pas à être qualifiés de terroristes. La réalité est dissimulée à l'opinion publique tant nationale qu'internationale, pour occulter les horreurs que commettent certains régiments de l'armée régulière usant d'exécutions sommaires, et surtout de la torture. Les premières années de la guerre seront à l'avantage de l'Armée de libération nationale qui est devenue experte en guérilla rurale. L'organisation politique du FLN avait fait de ce parti un symbole de liberté au plan internationale et nationale pour balayer les thèses françaises d'une intégration à la Soustelle. L'image de la France se salit. Les chefs du FLN sont accueillis et respectés dans les pays socialistes, dans les pays arabes, dans les capitales du Tiers-Monde, à la conférence de Bandung en 1955, ainsi qu'à l'ONU et aux Etats-Unis par le jeune sénateur qui deviendra le président des Américains, John Kennedy. La question algérienne s'internationalise avec les attentats d'Alger, avec la grève des 8 jours largement observée par les Algériens pour légitimer les actions du FLN. L'enjeu était de permettre à l'ALN, coupée de ses bases logistiques, de reconstituer ses forces, et mettre un terme à la propagande des dirigeants de la IVe République. Avec l'arrivée de de Gaulle au pouvoir, les Français misent toujours sur une victoire militaire, les parachutistes ont tous les pouvoirs, et les pieds-noirs conservent l'espoir que l'Algérie sera éternellement française. Mis à part quelques intellectuels s'offusquant que la torture continue à être pratiquée, et de quelques centaines de sympathisants pour la cause nationale pour la plupart communistes, le reste de l'opinion ne comprend pas que les autochtones revendiquent non plus les mêmes droits, mais l'indépendance. L'année 1954 C'est essentiellement par la presse que la population avait appris l'insurrection. Le 1er novembre, jour férié, on n'avait pas beaucoup écouté la radio mais le 2 novembre, tout le monde fut au courant. Tous les journaux titrèrent sur l'insurrection. Peu de texte, mais des photos parlantes, une carte impressionnante des lieux où s'étaient produits les attentats et les noms en caractère gras des sept morts (deux civils européens, trois militaires européens, deux civils musulmans) alertèrent l'opinion publique. Pour dire vrai, les Européens ne s'affolèrent pas et si les éditions se vendirent mieux que d'habitude, c'était en raison de ce super fait divers que l'on annonçait à grand fracas. Les Algérois n'avaient rien entendu des bombes qui avaient explosé aux quatre coins de leur ville. Seuls les voisins des points stratégiques visés avaient entendu l'explosion d'un vague pétard. Ce ne pouvait être bien grave. En revanche, la simultanéité des attentats montrait clairement que cette manifestation était bien coordonnée, donc qu'il fallait se méfier. Mais ce n'était pas suffisant pour engendrer la panique. La population, ce 2 novembre 1954, fut loin de mesurer l'importance de ce qui se passait. Et puis la violence, le risque étaient monnaie courante dans le folklore pied-noir. Après les attentats meurtriers du 1er novembre 1954, plus connus sous le vocable de «Toussaint rouge» par les Français, allait se développer durant 8 ans une guerre pas comme les autres, entre deux armées et deux populations. La population algérienne qui a été spoliée de ses meilleures terres dès le début de l'invasion française sera de nouveau déracinée par l'administration coloniale pour être parquée et encadrée dans des camps de fortune, pour l'empêcher de ravitailler les insurgés en provisions alimentaires, en armes, en hommes, et en argent. 2 350 000 Algériens vivent dans des conditions lamentables dans plus de 2 000 «centres de regroupent». 5 000 000 vivent dans des bidonvilles sous le contrôle des SAS. De 1954 à 1957 les troupes de l'Armée de libération nationale causent l'essentiel des pertes subies par les différents corps de l'armée française, ce qui oblige Paris à instaurer l'état d'urgence dans une partie de l'Algérie le 1er avril 1955. Les occupants peuvent désormais contrôler par des laissez-passer la circulation des personnes, suspendre le cas échéant les déplacements, limiter drastiquement les libertés de la presse, arrêter sur simple présomption, emprisonner indéfiniment les suspects. C'est à cette date que sera décidée l'envoi de renfort prit dans les contingents des appelés. 200 000 soldats appelés débarquent en janvier 1956 en Algérie en renfort des effectifs déjà opérationnels, ils seront 400 000 à la fin de l'année, et 450 000 en 1957. Le service militaire est rallongé à 27 mois. Les militaires de carrière, les spahis et les harkis verront leurs effectifs augmenter considérablement. La guerre atteint son paroxysme de terreur et de violences le 20 août 1955 lorsqu'un soulèvement de paysans est réprimé de manière sauvage par des bombardements par avions et artillerie. Près de Batna, non loin de là, à Tizint, village situé à 70 kilomètres de Khenchela, des légionnaires ouvrent le feu sur des civils invalides qui discutaient, huit furent tués sur le coup, deux blessés graves furent achevés ; dix-sept personnes dont une petite fille furent abattues, selon ce que rapporte d'après les faits qu'il a constaté sur place Jean Daniel dans l'Express, ajoutant qu'en cette période «trois jours avant Noël, la région de Batna a subi une opération en règle de ratissage. Bombardement par avions et artillerie et incendie massif ont entièrement rasé un douar. En Kabylie, au douar Irdjama dans la commune mixte de Taher, un caïd impopulaire dont les abus et la corruption avaient été dénoncés depuis des années, c'est-à-dire bien avant que la rébellion ne commence, a été abattu par les maquisards. Soixante-cinq maisons ont été incendiées. La population est passée presque entièrement au maquis». Les tueries dans le Constantinois en ce 20 et 21 août 1955 constitueront le point culminant de la barbarie dont feront encore preuve les autorités coloniales. D'après les rapports faits par l'administration des éléments algériens sous le contrôle du FLN s'en sont aveuglément pris aux Européens, notamment à Philippeville (Skikda) et El Halia. «71 civils européens et des dizaines de musulmans profrançais sont massacrés à la hache et au couteau. La répression fera officiellement 1 273 victimes, bien plus en réalité. Soustelle donne carte blanche à l'armée. Dans l'Est, la psychose devient permanente. Pour les Européens, chaque musulman est un égorgeur potentiel, et tous les Français deviennent des ratonneurs par le droit à la légitime défense. L'escalade de la guerre totale est sur des pentes de plus en plus raides ; elle se poursuivra jusqu'à l'indépendance. Au début de l'année 1956, la France se trouve engagée dans une forme nouvelle de conflit sur le territoire algérien : la guérilla. Conscient des capacités nécessaires pour mener cette nouvelle sorte de guerre et voyant les possibilités que peuvent apporter les hélicoptères dans ces engagements d'un nouveau type, le général de Maricourt, commandant de l'Air en Algérie, propose un nouveau concept d'action pour les troupes aériennes qu'il résume par la formule : «Il est plus facile à un oiseau de marcher qu'à un serpent de voler.» Il s'agit d'armer les hélicoptères qui auront à transporter des hommes capables d'interventions rapides. Ces combattants seront des aviateurs et des commandos destinés à être transportés par hélicoptères et à combattre au sol après le travail fait par l'aviation de chasse et les bombardiers. Selon Guy Pervilé, les effectifs ne furent pas tous employés de la même façon. Leur grande majorité fut affectée à des missions statiques de «quadrillage», destinées à assurer la sécurité des personnes et des biens dans l'Algérie utile, avec le renfort des «unités territoriales» recrutées parmi les réservistes français d'Algérie et de plusieurs catégories de «supplétifs» musulmans (harkis, goumiers, groupes mobiles de protection rurale, moghaznis des Sections administratives spécialisées, groupes d'autodéfense des villages). Pendant ce temps, les troupes d'intervention (légionnaires, parachutistes, commandos de l'air et de la marine...) devaient traquer les unités «rebelles» dans leurs bastions montagneux, déclarés «zones interdites». L'aviation fournit ses moyens de transports, trois «groupes d'appui tactique» (avions de liaison, de reconnaissance et d'appui aux troupes terrestres), et deux groupes d'hélicoptères (le troisième étant rattaché à l'«aviation légère de l'armée de terre»). Elle s'illustra surtout le 22 octobre 1956 en interceptant l'avion marocain transportant les chefs de la délégation extérieure du FLN (Ben Bella, Khider, Aït Ahmed et Boudiaf) qui négociaient secrètement avec le président du Conseil Guy Mollet. De son côté, la marine surveillait les côtes, et réussit le 16 octobre 1956 l'arraisonnement du navire égyptien Athos, chargé d'armes destinées aux bases marocaines de l'ALN. L'expédition franco-britannique sur le canal de Suez, préparée après la nationalisation du canal par l'Egypte (26 juillet 1956) et déclenchée au début de novembre, immobilisa pendant plusieurs mois 30 000 hommes des troupes d'intervention, sans atteindre son but politique : le renversement du colonel Nasser, protecteur du FLN. Malgré ce déploiement de forces et ces coups d'audace, le FLN et l'ALN réussirent à compléter leur implantation dans tout le territoire algérien et à porter la guérilla dans toutes les grandes villes, y compris Alger, par des attentats sélectifs ou aveugles. Le nombre total d'actions « terroristes » répertorié par le 2e bureau de l'armée française atteignit son maximum en janvier 1957. Les membres du «Comité d'organisation et d'exécution» siégeant clandestinement à Alger crurent pouvoir mobiliser toute la population algérienne par une grève insurrectionnelle de 8 jours à partir du 27 janvier 1957 pour démontrer la représentativité du FLN à l'ouverture de la session de l'ONU.