Il y a 55 ans, jour pour jour, une féroce répression fut mise en branle pour soumettre à jamais la population musulmane d'Alger en démantelant, croyait-on à Paris, le réseau de poseurs de bombes de la Casbah. Exécutions sommaires, torture, viols et punitions collectives deviennent monnaie courante. « La bataille d'Alger » venait de commencer. 1957. La guerre d'Algérie, qualifiée par les gouvernants et autres politiques français « d'événements d'Algérie » jusqu'au 18 octobre 1999, a atteint son paroxysme. L'indépendance de ce pays musulman conquis à la pointe du glaive est à portée de la main. Les musulmans savent désormais qu'ils ont atteint, sous la conduite du Front de Libération Nationale et de l'Armée de Libération Nationale, le point de non-retour. Comme la violence appelle la violence, les Européens établis en Algérie ou natifs de ce beau pays, insouciants durant plus d'un demi-siècle, soit depuis la fin de l'insurrection des Ouled Sidi Cheikh, se retrouvent dans une spirale infernale. Ils allaient goûter à une moindre mesure à ce qu'ont enduré les ancêtres de nos braves Moudjahidine, ces révoltés de 1954
Sept millions de morts avant le déclenchement de la Guerre de libération Nationale Ces ancêtres victimes du général Bugeaud d'abord et de son génocide puis de Massu et Bigeard ensuite pour ne citer que ceux-là méritent bien honneurs et respect éternels. « Nous tirons peu de coups de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes ; l'ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux, disait-il ». Dixit Bugeaud. Et dans un discours devant la Chambre, un certain 24 janvier 1845, il déclarait : « J'entrerai dans vos montagnes; je brûlerai vos villages et vos moissons; je couperai vos arbres fruitiers, et alors ne vous en prenez qu'à vous seuls. » Venus, en ethnocides, les Français ne pouvaient s'imaginer que la mémoire violentée ne peut disparaître et que la liberté ne s'offre pas, elle se conquiert. Peut-on balayer d'un revers de la main une haine incrustée en nous, autochtones, jusqu'à la fin des temps ? Sept millions de morts avant le déclenchement de la Guerre de libération Nationale. Les décomptes sont français, en témoigne « Histoire d'un parjure » de Michel Habard. Croyant dur comme fer que l'Algérie allait connaître le sort de l'Amérique des conquistadors ou la Réunion et la Guadeloupe, le 7 janvier 1957, deux ans, deux mois et six jours après le déclenchement de la Révolution, le général Jacques Massu se vit confier les pleins pouvoirs de police sur Alger. Le Grand Alger que l'on disait à cette époque. Une ville de près d'un million d'habitants. Massu sera assisté des colonels Marcel Bigeard, Yves Godard et Roger Trinquier. Il avait sous la main pas moins de 8.000 hommes, soit toute la dixième division parachutiste. « Il a pour mission de mettre fin au terrorisme dans l'agglomération et va s'acquitter de sa tâche avec un zèle redoutable malgré les réticences de beaucoup de ses subordonnés dont le colonel Yves Godard, écrit André Larané. » André Larané use encore du terme terrorisme pour désigner la lutte d'un peuple et d'une nation. En fait, c'était le djihad généralisé. Et c'en est un pour mille et une raisons. L'on se demande encore, pourquoi lit-on « la lutte de l'Emir Abdelkader », alors que dans les manuscrits de l'époque de ce valeureux guerrier l'on traitait de grand djihad ? C'était clair comme de l'eau de roche que l'affrontement était entre chrétiens et musulmans. On ne peut cacher le soleil avec un tamis.
Lorsque la peur change de camp à Alger Le 5 février 1956, Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO -Section française de l'Internationale ouvrière-, est à la tête du gouvernement français. Mitterrand, le futur président de la république française des pseudo-droits de l'homme de 1981 à 1995, s'est vu confier le portefeuille de la Justice. Il n'a que 39 ans. Impitoyable, il fait passer le 12 mars 1956 par la gauche, communistes et socialistes confondus, et un bon nombre d'élus de droite une loi sur les «pouvoirs spéciaux». Et cette loi fut à l'origine quelques mois plus tard de légalisation de la torture. « En Algérie même, Guy Mollet doit faire face à la montée de la violence aveugle. C'est ainsi que le 18 mai 1956, on découvre dans les gorges de Palestro les corps de 18 jeunes militaires horriblement mutilés et tués après être tombés dans une embuscade. » Nous lisons encore de telles aberrations chez ceux pour qui, le fléau Napoléon Bonaparte, incarne le génie du bien. L'on se demande ce que venaient chercher ces soldats européens en Afrique du nord et en Algérie en particulier. Européens, dis-je, car si nous comptons les légionnaires hongrois, russes, allemands, espagnols, maltais entre autres, on aurait compris que toute l'Europe nous en voulait. Et je passe pour « violence aveugle ». Il n'y a d'aveugle que le mauvais élève de Giap à Dien Bien Phu. La France. Le 30 septembre 1956, le Milk Bar et Cafétéria sont ciblés par les fidaïs. Les Européens tremblent. Et l'on se remémore, dans ce même contexte de tremblote, ces européens abandonnant rues, bars, bals et commerces à Aïn Tédelès pour se confiner chez eux à la seule rumeur de la présence dans les environs du valeureux Chahid des Hararta, Laâdjal Belatreche. La peur venait de changer de camp à Alger. Les attentats du Milk Bar et de la Cafétéria étaient une réponse du Moudjahid Yacef Saâdi aux services français, auteurs de l'attentat de la rue de Thèbes qui coûta la vie à 70 musulmans dont des enfants et des nourrissons. Les immeubles des 8, 9, 9 bis et 10 s'étaient effondrés sous la déflagration. La Casbah d'Alger et toute l'Algérie avec crié vengeance en ce 10 août 1956. Samia Lakhdari et sa mère à la Cafétéria et Zohra au Milk Bar venaient de réussir un coup médiatique sans précédent. Eh, oui, désormais les filles s'en mêlent e l'artificier Kouache n'a qu'à bien régler ses bombes à retardements.
La torture et les exécutions sommaires sont légalisées Ce lundi 7 janvier 1957, avec l'approbation du garde des Sceaux François Mitterrand, le préfet d'Alger fait appel à Massu et ses hommes. La brièveté du télégramme est effarante : « Article 1er. L'ensemble des pouvoirs de police, normalement dévolus à l'autorité civile, sont dévolus à l'autorité militaire. Article 2. Le général Massu est chargé de l'exécution du présent arrêté. Serge Barret, préfet d'Alger ».Désormais, tout est permis. La torture et les exécutions sommaires sont légalisées. La guillotine dans les prisons ne fait pas de différence. Même Fernand Yveton y passe pour soutien aux « terroristes », mais laissa derrière lui : «Dans la vie d'un homme, la mienne compte peu, ce qui compte, c'est l'Algérie, son avenir, et l'Algérie sera libre demain.» Le mathématicien, Maurice Audin aussi disparait à jamais. Il n'avait que 25 ans. En mars 1957, le général Jacques Pâris de la Bollardière demande à être relevé de ses fonctions. Il prenait ses distances avec l'état français et refusa de cautionner la torture et le crime d'Etat. Il fut sévèrement puni. C'est dire la violence de la chose sur ceux-là même qui combattirent les troupes nazies. Par contre, on y lit encore, et malheureusement : « Ces hommes, dont beaucoup ont précédemment combattu les Allemands et dénoncé la barbarie nazie, se justifient de leurs actes au nom de la nécessité. » La nécessité d'en finir avec tout un peuple avec une violence inouïe.
Larbi Ben M'hidi, première victime de la bataille d'Alger Le 25 février 1957, le Chahid et un des plus prestigieux chefs historiques du FLN, Larbi Ben M'hidi, est fait prisonnier puis fut déclaré suicidé. Le général Paul Aussaresses avait eu raison de lui en l'étranglant de ses propres mains avant de le pendre. Affaire classée à l'époque. Et puis vinrent les aveux d'Aussaresses en 2000. Des prisonniers passent de vie à trépas dans les centres de torture telle la villa Susini et puis sont jetés à la mer avec un boulet de béton aux pieds ; procédé appelé les «crevettes Bigeard», du nom du sinistre colonel qui planifiait, préparait et exécutait et menait les opérations de la sale guerre. La bataille d'Alger va-t-elle aboutir vers une paix ? Mais quelle paix, se demanderait tout Algérien musulman de l'époque ? Donner à son ennemi juré sa patrie et celle de ses vaillants aïeux ? Question de vaillance, les Français eux-mêmes témoignent sous les plumes de leurs maréchaux et généraux. Nous n'en citerons que quels exemples dont le général Changarnier qui laissa après lui: «les Hadjoutes avaient pu mettre en campagne et entretenir, pendant plusieurs années, de mille à mille huit cents cavaliers très courageux, qui avaient accompli des choses dont les cavaliers les plus célèbres de l'Europe se seraient honorés... » « Un fliti est un guerrier assis sur son sabre. » Et Flita pour Flita, citons les Hararta, cette tribu alliée au djihad de l'Emir Abdelkader et après lui à celui de Cheikh Bouamama. Ses féroces cavaliers étaient de tous les champs de bataille dont les défenses de Laghouat, Sétif, Constantine et la Kabylie et aussi durant le siège de l'insoumise Tlemcen sous les mains des Koulouglis, sans compter les guerres de l'eau et de l'expropriation. Ecrivains, journalistes, porteurs de valises, professeurs d'universités et autres intellectuels dénoncent les procédés indignes employés par la France officielle contre une population désarmée qui ne demande qu'un droit fondamental. L'indépendance. La découverte de caches et de bombes va-t-elle déboucher sur la fin d'une guerre qui dure depuis 1830 avec quelques semblants d'accalmie ?
Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, donne l'ordre de guillotiner les nationalistes condamnés Le quotidien français Le Monde publie le 21 juillet 1957 un rapport d'enquête accablant. La censure frappe fort et il est saisi. Tout le monde sait que les responsables politiques et de simples citoyens, de droite comme de gauche, sont bien informés de ce qui se passe en Algérie, mais préfèrent le silence devant les excès des militaires et des services. Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, donne l'ordre de guillotiner les nationalistes condamnés à mort par une justice aveugle au service d'un ministre franc-maçon. Une grève générale de huit jours à compter du 28 janvier 1957 a été ordonnée par le FLN alors que s'ouvre la onzième session des Nations Unies à New York. Les commerces sont forcés par les parachutistes de Bigeard. La Corniche d'Alger va en pâtir avec un attentat spectaculaire. Mais le 24 septembre 1957, Yacef Saâdi, alors âgé de 28 ans est arrêté par le colonel Yves Godard. Il n'avait que 28 et passait pour le maître d'œuvre des opérations contre l'occupant à Alger et ses environs. Le général Massu, après neuf mois de pleins pouvoirs pouvait se targuait d'avoir gagné la bataille d'Alger. Une bataille gagnée dans une guerre perdue d'avance. Le bilan fut de 3 024 disparitions de suspects y compris des Français de métropole qui soutenaient la cause algérienne. Combien a-t-elle fauché de vies ? Nul ne peut y répondre. La bataille d'Alger fut une victoire de courte durée, pour les militaires français et particulièrement pour le général Massu. Une victoire éphémère.
Abane Ramdane, écrivait : « Ainsi, avec la phase actuelle de lutte, nous entrons dans la période d'insécurité générale, prélude de l'insurrection générale qui nous débarrassera à jamais du colonialisme français. Toutes les batailles que mena Bonaparte et qui firent sa renommée sont moins célèbres que Waterloo qui fit de lui la risée de ses pairs. Les concepteurs de la bataille d'Alger contre un peuple déterminé avaient une courte mémoire. Si un Chinois est marqué par l'Empire du Soleil et un Russe par le IIIème Reich, pourquoi un Algérien devrait-il être condamné à l'oubli de ce qu'endurèrent ses ancêtres ? Et nous relevons l'ordonnance royale de 1834 fait de l'Algérie une possession française. Et là, sur 5000 maisons à Alger, 3000 confisquées, 900 démolies.Décret du 8 septembre 1830 : séquestration des biens habous -fondations religieuses- et de ceux de l'Etat algérien, soit la majorité des propriétés urbaines et une bonne partie de la Mitidja et des plaines côtières ; la loi de 1840 : expropriation forcée ; les lois de 1863 et 1887 : individualisation des propriétés collectives. En 1960, les Européens possédaient 90% des plaines d'Alger, d'Oran et de Bône, 95% des plantations de vignes et d'agrumes. Alger, comptait en 1865 seulement 12 mosquées, alors leur nombre était de 135 en 1830. A Oran, il ne restait qu'une seule mosquée. Profanation des cimetières, ossements envoyés à Marseille pour fabriquer du noir animal. En 1832, selon Hamdan Khodja, l'Algérie comptait 10 millions d'habitants. En 1872, lors du premier recensement complet de l'Algérie conquise, il n'en a été recensé que 2 100 000 musulmans. En 1954, ils étaient 8 500 000 musulmans. Alger comptait 100 000 habitants en 1730 ; 70 000 en 1727 ; 12 000 en 1833. A propos de cette fameuse bataille d'Alger, Abane Ramdane, ces jours-là, dans l'éditorial du troisième numéro d'El Moudjahid, écrivait : « Ainsi, avec la phase actuelle de lutte, nous entrons dans la période d'insécurité générale, prélude de l'insurrection générale qui nous débarrassera à jamais du colonialisme français. » Et Larbi Ben M'hidi répétait : « Mettez la révolution dans la rue, et vous la verrez reprise et portée par des millions d'hommes. » C'est dire que les méfaits coloniaux et la violence contre un peuple des plus pacifiques et des plus révoltés du monde ne peuvent être effacés des mémoires à coups de batailles et de lois scélérates. Sinon Genkhis Khan, Napoléon et Hitler auraient triomphé.