De retour au pays après un bref séjour en terre tunisienne, les rares touristes algériens sont unanimes pour affirmer que la situation sécuritaire a atteint un point de non-retour. Plusieurs nouveaux mariés qui, faute de visa pour d'autres destinations, la Syrie étant à feu et à sang, se rabattent sur la Tunisie voisine pour leur voyage de noces, mais ils n'y ont pas séjourné longtemps. Ils ont dû plier rapidement bagage, l'ambiance socio-économique étant délétère avec une hausse sensible de la délinquance. Interrogés, plusieurs de ces touristes algériens ont affirmé que la Tunisie vit une situation similaire à celle de notre pays du début des années 1990. Les gérants d'hôtels et de restaurants versent dans le pessimisme et appréhendent énormément l'avenir de leur pays. Leur position est corroborée par la situation dans les régions connues pour être à fort potentiel touristique où la sécurité des biens et des personnes relève de l'aléatoire. Le sentiment de frustration et d'appréhension est lisible dans le comportement des animateurs des places commerçantes. A l'exemple de Bab Essouika, lieu incontournable pour les visiteurs étrangers où les propos désabusés des commerçants et le regard torve des animateurs du marché informel aux alentours de l'avenue Bourguiba et de la gare indiquent la désillusion des lendemains de la révolution d'il y a deux années. Mais il n'y a pas que les touristes algériens qui parlent de cette autre Tunisie où il ne fait plus bon vivre. Les ressortissants tunisiens qui résident à Annaba sont du même avis et ressentent un sentiment de frustration. Pour eux, même si la Tunisie n'a pas connu d'arrêt du processus électoral avec l'émergence des islamistes au pouvoir, la situation est à haut risque. «On avait cru que la situation allait s'améliorer après l'élection de l'Assemblée constituante, mais c'est le contraire qui s'est produit avec des islamistes plus violents et plus agressifs, un chômage chronique de la population en âge de travailler et une délinquance en forte hausse sur l'ensemble du territoire», déplore un des ressortissants tunisiens en activité dans une entreprise du bâtiment à Annaba. Pour d'autres, les espoirs nourris par la révolution du jasmin et les promesses électorales de justice et de liberté pour tous ainsi que l'amélioration des conditions de vie des citoyens ont été déçus. Une année après les élections d'octobre 2011, la désillusion caractérise les propos des uns et des autres Tunisiens en Algérie. Il est question de tromperie employée par les politiciens anciens et nouveaux avec en arrière fond des calculs partisans et la prédominance de l'intérêt politique tant au sein des élus de l'Assemblée nationale que chez les membres du gouvernement. C'est pourquoi, désabusés, certains de nos interlocuteurs tunisiens affirment que l'Assemblée constituante n'est pas crédible et que la tension est partout tant dans les esprits que dans les cœurs. Nos mêmes interlocuteurs n'accordent pas d'intérêt aux prochaines élections où ils prédisent une confrontation animée et des débats houleux sans pour autant atteindre un quelconque consensus à même de rassurer les citoyens quant à leur avenir. De là à dire que les risques d'une tragédie similaire à celle vécue par les Algériens durant toute une décennie sont latents en Tunisie, il n'y a qu'un pas. Des ressortissants tunisiens installés à Annaba l'ont franchi. Ils citent en référence les menaces quotidiennement adressées par la mouvance salafiste djihadiste aux gérants des différents établissements du secteur touristique et les comportements très incorrects dont ont été victimes des touristes de toutes les nationalités et religions. La liste des hôtels, cabarets et bars visités et, sous la menace, interdits d'activité est longue. Le dernier exemple en date porte sur l'assaut mené par ces mêmes salafistes contre l'hôtel Horchani à Sidi Bouzid. Il s'agit du dernier point de vente légal d'alcool après la fermeture de tous les bars dont les gérants avaient été quotidiennement intimidés. Les équipements de l'hôtel avaient été dégradés sous les yeux d'une trentaine de clients attablés qui, tétanisés par la peur, avaient eu droit à une leçon de morale. Le meneur du groupe d'assaillants salafistes est un jeune du groupe Jound Assad Ibn Al-Fourat. Il avait été condamné par la justice de Zine El Abbedine Benali, le président déchu, à une peine de prison à perpétuité pour son implication dans un accrochage avec l'armée tunisienne à Soliman. Amnistié après la victoire de la révolution du jasmin, il a bénéficié d'un élargissement, ce qui lui a permis de reprendre rapidement ses activités. Il a été libéré au lendemain de la révolution dans le cadre de l'amnistie générale. Donc dire que cela ne va pas à nos frontières est n'est pas excessif. La sécurité des biens et des personnes n'est pas assurée. Particulièrement sur les routes où se multiplient les barrages confectionnés par des groupes de délinquants qui n'hésitent pas à dépouiller en les brutalisant leurs victimes, même étrangères.