Quelle est la place de l'Algérie face aux nouvelles mutations géostratégiques mondiales, problématique qui engage la sécurité nationale ? Tel est l'objet de cette présente contribution en trois parties complémentaires. L'Algérie en 2013 a-t-elle une économie ? Les pouvoirs successifs ont-ils construit un Etat de droit depuis l'indépendance politique ? Quelle est l'efficacité de la diplomatie algérienne face aux conflits régionaux, notamment au Mali, au moment où les transnationales à travers leurs réseaux tendent à uniformiser les relations internationales ? La gouvernance bonne ou mauvaise prend sa source de l'esprit des lois et non des fantaisies chatouilleuses. Le passage de l'Etat de «soutien» à l'Etat de droit est de mon point de vue, un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la nation et l'Etat. Dès lors, la question centrale qui se pose est la suivante : est-ce que les pouvoirs politiques algériens successifs ont-ils édifié un Etat et qu'est-ce qu'un Etat tenant compte de l'influence de l'internationalisation (la mondialisation) et des équipements anthropologiques qui peuvent modeler comme système politique inhérent à chaque situation socio-anthropologique ? En Algérie, l'Etat reste une entité assabienne qui périclite, comme le signifie Ibn Khaldoun, quand son âge politique tire à sa fin, dont la cause fondamentale est l'immoralité (corruption) qui tend à dominer toutes les structures de tout pouvoir. Aussi, la refondation de «l'Etat algérien» passe nécessairement par la refondation de son esprit (philosophie) et de ses lois (règles) pour qu'elles deviennent un Etat de droit. La refondation de l'Etat ne doit pas être comprise comme une négation de notre identité mais comme une nécessité que les mutations et les enjeux d'aujourd'hui imposent, dépassant et de loin l'aspect technique de la politique et touchant en réalité le fondement de la République. Aussi, dans le cadre de cette refondation politique, l'Algérie ne peut revenir à elle- même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d'innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale et limiter l'action de l'immoralité et de la assabia (relations tribales et de clientèles), facteurs de la décadence de toute société. Les résurgences identitaires et tribales peuvent conduire à un comportement conservateur surtout qu'à un certain temps, on a joui de privilèges importants qui poussent progressivement à former des lobbys discrets mais efficaces de blocage des réformes. D'où l'importance de certaines fonctions électives ou nominations à des postes clefs où les candidat y voient un moyen de s'enrichir et enrichir leurs soutiens. C'est dans ce cadre qu'il faille revaloriser le savoir et donc la compétence qui n'est nullement synonyme de poste dans la hiérarchie informelle, ni de positionnement dans la perception d'une rente. La compétence doit se suffire à elle-même et son efficacité et sa légitimité se vérifient surtout dans la pertinence des idées et la symbolique positive qu'elle ancre dans les corps et les acteurs sociaux. La compétence n'est pas un diplôme uniquement mais une conscience et une substance qui nourrissent les institutions et construisent les bases du savoir. Sans cela, les grandes fractures sont à venir et la refondation de l'Etat serait vidée de sa substance car ne pouvant réaliser les aspirations d'une Algérie arrimée à la modernité tout en préservant son authenticité. La refondation de l'Etat ne saurait se limiter à une réorganisation technique de l'autorité et des pouvoirs. Elle passe par une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique et les hommes chargés par la nation de la faire. Car la gouvernance est une question d'intelligence et de légitimité réelle et non fictive. La refondation de l'Etat algérien pour une véritable moralisation de la société passe par un nouveau mode de gouvernance dont le fondement est la liberté au sens large pour une société participative et citoyenne tenant compte de notre anthropologie culturelle historiquement datée comme en témoigne les différents cycles de civilisations depuis que le monde est monde. Car c'est seulement quand l'Etat est droit qu'il peut devenir un Etat de droit. Quant à l'Etat de droit, ce n'est pas un Etat fonctionnaire qui gère un consensus de conjoncture ou une duplicité provisoire, mais un Etat fonctionnel qui fonde son autorité à partir d'une certaine philosophie du droit, d'une part, et une assimilation consciente des besoins présents de la communauté et d'une vision future de ses perspectives, d'autre part. L'Algérie, qui a souffert dans sa chair avec plusieurs centaines de milliers de morts sans compter les destructions massives entre 1990-2000, a besoin d'un réel changement et de véritables partis politiques, le pouvoir étant le pouvoir et l'opposition grâce au pouvoir lui-même pour se corriger, grâce au dialogue constructif permanent, la rente des hydrocarbures n'étant pas éternelle devant s'épuiser à l'horizon 2020-2030 au moment où la population algérienne sera de 50 millions. Il s'agit d'éviter ces créations artificielles de partis, d'associations et de lois qui ne correspondent pas à l'état de la société, l'Algérie ayant les meilleurs lois du monde mais rarement appliquées, ce qui renvoie à la nécessaire mutation systémique. La diplomatie algérienne déphasée et le conflit au Mali Un ancien ambassadeur algérien à Madrid a mis en relief très justement que la diplomatie algérienne n'a pas fait sa mue malgré la compétence de bon nombre de diplomates, se croyant encore aux années 1970 avec la confrontation des blocs et croyant que l'octroi de marché juteux font changer les positions stratégiques. N'oublions que, malgré la crise d'endettement, le PIB européen approche à la fin de 2012 les 18 000 milliards de dollars, le PIB américain les 16 000, soit plus de 40% de la richesse mondiale et que, pour l'instant, les pays émergents sont arrimés à ces deux économies pour leur exportation. Pour ma part, lors d'un déplacement aux Etats-Unis lors d'une rencontre avec une grand responsable au département du Trésor américain à Washington, j'avais émis une hypothèse naïvement, à savoir que l'Algérie devait tirer profit des divergences entre la France et les Etats-Unis d'Amérique. Elle m'avait répondu clairement : «Monsieur Mebtoul, il n'y a que des divergences tactiques de court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats-Unis d'Amérique et la France et plus globalement avec l'Europe». J'en ai tiré la leçon afin de comprendre les enjeux géostratégiques et j'ai été étonné que certains veulent encore opposer les Etats-Unis à la France sur le dossier du Sahel, notamment du Mali. La France recevra probablement et très prochainement les soutiens logistiques des Etats-Unis, de l'Europe et de bon nombre de pays africains affilés, sans compter certains financements de certains pays du Golfe. Aussi, il ne fallait pas être un grand diplomate et un grand analyste pour savoir en nous en tenant à nos voisins frontaliers que le Niger et le Mali allaient s'aligner sur la position de la France. Nous ne parlerons pas de la Libye, de la Tunisie et de la Mauritanie qui ne s'opposeront en aucune manière à la vision américano-européenne, surtout pour les deux premiers dont les régimes ont une dette envers l'Occident. Cela aurait été une erreur de croire qu'au Conseil de sécurité, il y aurait une opposition de la Russie et de la Chine qui ont avalisé d'ailleurs, l'intervention militaire française, car n'ayant pas d'intérêts stratégiques dans la région et également pour des raisons internes car ne voulant pas être confrontées à des mouvements extrémistes islamistes en Tchétchénie (Russie) et des centaines de milliers de musulmans en Chine. Incontestablement, la position diplomatique algérienne a subi un sérieux revers qui risque de se répercuter sur son influence déclinante en Afrique car ayant depuis le début du conflit opté pour le dialogue avec les islamistes dits modérés. Mais les puissances occidentales reconnaissent que rien ne peut se faire durablement sans l'Algérie qui est une grande puissance militaire. D'autant plus que ce conflit peut avoir des répercussions sur la sécurité intérieure de l'Algérie, notamment dans la zone Sud où sont concentrés les principaux gisements pétroliers et gaziers sans compter que bon nombre de familles, notamment touarègues, du Sud ont des liens étroits, souvent familiaux avec les familles au niveau du Sahel, notamment au Mali. D'ailleurs, tout cela pose la problématique de l'intégration du Maghreb, pont entre l'Europe et l'Afrique, afin de faire de cette zone une région tampon de prospérité, le terrorisme se nourrissant fondamentalement de la misère en se livrant au trafic en tous genres, rançons, drogue, armes... En résumé, quel serait l'impact de notre diplomatie sans la rente des hydrocarbures où existent des liens entre la bureaucratie, la sphère informelle et la logique rentière ? L'illusion du bureaucrate n'est-elle pas de vouloir gouverner par décret la société majoritaire en s'appuyant sur des réseaux minoritaires ? Aussi, il est étonnant qu'au moment où les grandes puissances se concentrent sur la crise économique que l'on assistera entre 2015 et 2020 à de profonds bouleversements géostratégiques que la guerre est à la porte des frontières de l'Algérie menaçant sa sécurité et que l'on se livre à des luttes d'appareils sclérosants et désolants. Toute la société algérienne étant sous perfusion de la rente, l'essentiel est comment aller vers la refondation de l'Etat et le développement socio-économique dans le cadre des nouvelles mutations, posant les liens dialectiques et complémentaires entre les rôles de l'Etat et du marché. Pour terminer je citerai le diplomate algérien Lakhdar Brahimi : «Notre génération a fait son temps. Le changement profond sans exception est inéluctable. Vouloir perpétuer par certains régimes le statu quo en étouffant les libertés ne peut mener qu'à la violence qui pendra des formes différentes selon le pays». Un pays ne peut résister face aux pressions extérieures que si le front intérieur est fort, supposant une adhésion des citoyens et une cohésion sociale au sein de la diversité. Espérons pour les intérêts supérieurs de l'Algérie que l'année 2013 voit l'arrêt de la décomposition sociale, supposant une reconfiguration politique allant vers un Etat de Droit, condition sine qua non d'un développement durable conciliant efficacité et équité. (Suite et fin)