Le groupe des «Amis de la Syrie», Etats-Unis en tête, s'est réuni hier après-midi à Istanbul pour marquer à nouveau son soutien à la fragile coalition de l'opposition au régime du président Bachar al-Assad, qui multiplie les appels pressants pour obtenir leur aide militaire directe. Alors que le conflit est entré dans sa troisième année et a déjà fait plus de 70 000 morts, les pays occidentaux hésitent toujours à livrer des armes aux rebelles, inquiets de les voir tomber entre les mains de ses groupes les plus radicaux, comme le Front al-Nosra qui vient de faire allégeance à Al-Qaïda. A en croire les experts, le groupe des onze principaux pays occidentaux et arabes qui soutiennent l'opposition syrienne ne devrait pas franchir ce pas lors de sa rencontre dans la mégapole turque. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry, qui fait le déplacement sur les rives du Bosphore, a promis de tout faire pour rapprocher les points de vue sur la question, mais reste d'une extrême prudence. «Nous essayons d'avancer avec précaution pour nous assurer de ne pas créer encore plus de désordre», a confié mercredi le chef de la diplomatie américaine devant le Congrès. «Les extrémistes qui trouvent des financements et sont engagés dans la bataille constituent à l'évidence un danger et nous voulons essayer de les écarter, si c'est possible», a ajouté M. Kerry. Nourris de leur expérience en Afghanistan, les Etats-Unis n'ont jusque-là renforcé leur soutien à l'opposition syrienne qu'à petites tou-ches. Lors de la dernière réunion des «Amis de la Syrie» en février à Rome, ils ont annoncé pour la première fois une aide directe de 60 millions de dollars mais en ont exclu tout équipement «létal». Selon la presse américaine, M. Kerry pourrait profiter de la réunion d'Istanbul pour franchir une nouvelle étape et annoncer la livraison de matériel militaire défensif comme des gilets pare-balles, des véhicules ou des lunettes de vision nocturne. Mais tou- jours pas d'armes. Plus en pointe, la France et la Grande-Bretagne ont un temps plaidé pour la levée de l'embargo décrété par l'Union européenne (UE) sur les fournitures d'armes, la seule mesure capable selon elles de faire pencher la balance militaire en faveur des rebelles. Mais Paris a reculé, estimant que les conditions sur le terrain n'étaient «pas réunies» pour la fourniture d'armes. «Il y a toute une série d'argumentations» pour ou contre, a résumé le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. «On ne peut pas dire aujourd'hui que ce sera tout oui, ou tout non». Certains font aussi remarquer que l'équipement en armes des fractions les plus modérées de l'opposition pourrait permettre de renforcer leur position par rapport aux groupes les plus radicaux. A défaut de trancher ce débat, les «Amis de la Syrie» devaient tenter hier d'asseoir l'autorité du nouveau Premier ministre intérimaire Ghassan Hitto, élu le mois dernier mais aussitôt contesté, notamment par le chef démissionnaire de la Coalition nationale de l'opposition Ahmad Moaz al-Khatib. Tous les deux étaient annoncés hier à Istanbul. Pour Salman Shaikh, directeur du Brookings Doha Center, le rendez-vous turc intervient à un «moment crucial». «La vérité, c'est que (le gouvernement intérimaire) ne représente rien sur le terrain et qu'il n'aura aucune crédibilité tant que ce ne sera pas le cas», explique-t-il, «et il est encore loin du compte». Mercredi, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a répété tout le mal que son pays, principal soutien de Bachar al-Assad, pensait du groupe des «Amis de la Syrie», dont il ne fait pas partie. «Ce processus contribue de façon négative» à une issue de la crise, a-t-il jugé. Les hôtes turcs de la réunion d'hier, soumis au flot continu des réfugiés syriens sur leur sol, veulent, eux, croire qu'elle permettra d'accoucher de décisions susceptibles d'accélérer la chute du régime de Damas. «Le nombre de Scuds tirés de Damas sur Alep au cours des trois derniers mois est de 205», a relevé jeudi soir le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu. «Samedi (hier, ndlr), nous demanderons pourquoi la communauté internationale reste silencieuse», a-t-il ajouté.