L'Algérie abrite, durant ce mois de juin, à Oran, les 24 et 25 juin, une conférence internationale sur le Sahel devant aborder «les réalités du terrorisme transnational, du narcotrafic et de la criminalité organisée, afin de proposer les voies et moyens de nature à assainir la région de ces fléaux criminels dévastateurs et garantir à sa population la paix, la stabilité et la sécurité». C'est que les enjeux au Sahel qui préfigurent d'importantes reconfigurations géopolitiques et géo-économiques dans une zone sensible rentre dans le cadre de la nouvelle stratégie mondiale à laquelle l'Algérie ne saurait échapper et, d'une manière générale, toute l'Afrique du Nord. Ces enjeux, intimement liés à la crise mondiale actuelle, devraient conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais aussi sécuritaires, objet de la présente contribution qui sera développée prochainement au niveau international. 1.-Devant privilégier en premier lieu ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d'agir en fonction d'un certain nombre de principes et à partir d'une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de la stabilité dans la région, que ce soit dans le cadre d'une coopération avec l'Otan, en fait avec les USA, avec les structures de défense que l'Union européenne entend mettre en place, ou également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute de coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs. La fin de la guerre froide marquée par l'effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis, le 11 septembre 2001, représentent un tournant capital dans l'histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d'un monde né un demi-siècle plutôt et la dislocation d'une architecture internationale s'étant traduite, des décennies durant, par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons. Aujourd'hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération d'armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l'environnement. Ils sont d'ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en oeuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale, qui se construit laborieusement et qui peine à s'autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellé et sollicité, le Maghreb s'interroge légitimement sur le rôle, la place ou l'intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu'il s'agisse du dialogue méditerranéen de l'Otan ou du partenariat euro-méditerranéen dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L'adaptation étant la clef de survie et le pragmatisme outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb ne doit faire que ce que lui commandent la raison et ses intérêts. C'est dans ce cadre que doit être placée la stratégie du Maghreb dans le dialogue méditerranéen de l'OTAN. Le cadre défini au sommet de l'Otan de promouvoir le dialogue méditerranéen au rang de «véritable partenariat» (le même sommet d'Istanbul a fait une offre de coopération à la région du Moyen-Orient élargi ainsi qu'aux pays qui le souhaitent, ceux du Conseil de coopération du Golfe étant cités explicitement) ambitionne de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranéenne par le truchement d'un certain nombre d'actions au nombre de cinq, se voulant complémentaires avec d'autres actions internationales: a.-le renforcement de la dimension politique du dialogue méditerranéen avec l'Otan ; b.- l'appui au processus de réformes de la défense ; c.- la coopération dans le domaine de la sécurité des frontières ; d.- la réalisation de l'intéropérabilité ; e- la contribution à la lutte contre le terrorisme. Face à ces propositions, et au moment de la consolidation des grands ensembles, quelle serait l'attitude à adopter par les pays du Maghreb pour consolider l'intégration maghrébine pour devenir une entité économique fiable ? 2.- Les menaces qui pèsent sur les peuples et leurs Etats et les défis collectifs qui leur sont lancés doivent amener les pays du Maghreb à se doter d'une politique extérieure globale concernant les enjeux, les problèmes et les crises que connaît le monde et à déployer des capacités, des moyens et un savoir-faire dans une logique d'un juste et fécond équilibre. Le dialogue et la concertation entre les peuples et entre les acteurs sont la clef et en même temps la meilleure des garanties pour instaurer la paix et la stabilité de manière juste et durable. C'est sur cette base, me semble-t-il, que les pays du Maghreb doivent s'engager dans le dialogue méditerranéen de l'Otan et dans d'autres initiatives régionales ou sous-régionales, notamment européennes. Car, face à l'Otan, il existe une volonté politique de l'Union européenne d'avoir une stratégie de défense et de sécurité concernant le Maghreb. Sur un plan militaire et géostratégique, c'est à travers les activités du groupe dit des «5+5» que peut être appréciée, aujourd'hui, la réalité d'une telle évolution. C'est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région se trouvent confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic d'êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchiment d'argent. Pour le cas du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie, qui ont à signer l'Accord de libre échange avec l'Europe, en matière de défense et de sécurité, des consultations relatives à la mise en place d'un dialogue entre le Maghreb et l'Union européenne ont lieu sous forme de consultations informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable que des clarifications, portant sur deux questions jugées fondamentales, la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l'OTAN et la coopération de lutte contre le terrorisme avec l'UE dans le cadre de la PESD, soient faites. - D'une manière générale et au vu de ce qui se passe au Sahel, il y a urgence pour l'Algérie et le Maghreb de procéder à une stratégie d'adaptation. Pour ma part, lors d'un déplacement aux USA, et au cours d'une rencontre avec un grand responsable au département du Trésor, à Washington, j'avais émis naïvement cette hypothèse que l'Algérie et le Maghreb devaient tirer profit des divergences entre la France et les Etats-Unis. Celui-ci m'avait répondu clairement : «Il n'y a parfois que des divergences tactiques à court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats-Unis et la France, et plus globalement avec l'Europe». J'en ai tiré la leçon pour comprendre les enjeux géostratégiques et j'ai été étonné que certains veuillent encore opposer les USA à la France sur le dossier du Sahel, notamment du Mali, se croyant encore aux années 1960/1970, époque de la confrontation des blocs. Il est entendu, qu'à la fin de toute guerre, c'est à la diplomatie de prendre la relève. Pour nous en tenir à l'Algérie, les puissances occidentales reconnaissent que rien ne peut se faire durablement sans l'Algérie en raison de sa position géographique, et ce, outre le fait qu'elle soit, par ailleurs, puissance militaire régionale. D'autant plus que ce conflit peut avoir des répercussions, tant sur la région Europe/Afrique, via le Maghreb, que sur la sécurité intérieure de l'Algérie, notamment le Sud où sont concentrés les gisements pétroliers et gaziers, sans compter que bon nombre de familles touarègues ont des liens étroits, souvent familiaux, avec les familles du Sahel, notamment du Mali. 3.- La situation actuelle au Sahel pose la problématique de la sécurité de l'Algérie et, fondamentalement, l'urgence d'une coordination régionale, notamment l'intégration de la sphère informelle posant la problématique de l'intégration du Maghreb (plus globalement de l'Afrique du Nord)(2), pont entre l'Europe et l'Afrique afin de faire de cette zone une région-tampon de prospérité. Le terrorisme, menace planétaire, se nourrit fondamentalement, comme rappelé précédemment, de la misère en se livrant au trafic de tous genres, rançons, drogue, armes etc. Le Maghreb, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d'une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir une grande puissance régionale, avec une influence tant économique que militaire, dans la mesure où, en ce XXIe siècle, l'ère des micro-Etats étant révolue, la puissance militaire est déterminée par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d'adaptation au nouveau monde pour le Maghreb sont nécessaires, en plus d'être multiples, nationales, régionales ou globales, mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celle des hommes, les stratégies de riposte doivent être collectives. Cependant, dès lors qu'elles émanent d'acteurs majeurs de premier plan, elles s'inscrivent dans une perspective globale, cachant mal des velléités car évoluant dans un environnement géopolitique régional que des acteurs majeurs façonnent, aujourd'hui, à partir de leurs intérêts et de préoccupations stratégiques propres. Cette région est l'objet de toutes les convoitises (notamment les USA, via Europe/Chine), car incluse dans une sous-région qui n'en finit pas de vouloir se construire. Le continent africain est un enjeu géostratégique majeur au XXIe siècle avec plus de 25% de la population mondiale et d'importantes ressources non exploitées, sous réserve d'une meilleure gouvernance et d'intégration sous-régionale à l'horizon 2030, l'axe de dynamisation de la croissance de l'économie mondiale, qui devrait se déplacer de l'Asie vers l'Afrique, expliquant en partie les tensions actuelles. 4. Le Maghreb, sous-segment de ce continent, est appelé à se déterminer par rapport à des questions cruciales et à relever des défis dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu'il a eu à relever jusqu'à présent. (1)- Voir étude publiée par l'Institut Français des Relations Internationales IFRI «La coopération Europe/Maghreb face aux mutations géostratégiques mondiales - chapitre III le Maghreb et la sécurité euro-méditerranéenne» duprofesseur Abderrahmane Mebtoul. Avril 2011 (70 pages ParisFrance). Voir «Le Maghreb et son Sud : vers des liens renouvelés» collectif CNRS /IFRI- ParisFrance -2012 (240 pages) sous la direction de Mansouria Mokhefi et Alain Antil (2) Intervention, suite à l'invitation de l'Institut Maghrébin d'Etudes et de Prospectives, en présence de nombreux experts maghrébins (Algérie- Maroc-Tunisie-Libye-Mauritanie), de personnalités internationales, du professeur Abderrahmane MEBTOUL : «face aux enjeux géostratégiques, l'Algérie acteur déterminant au sein du Maghreb et pont entre l'Europe et l'Afrique», le 21 juin 2013, à l'Assemblée nationale française.