Au moment où le gouvernement a décidé de lancer un ambitieux plan pour relancer la base industrielle du pays, la surprenante décision de fermeture de l'usine Michelin de Bachdjarah remet en cause cette volonté affichée de préserver l'outil productif national. Si certains milieux ont tenté de minimiser l'impact économique et social de la fermeture de l'usine Michelin Algérie, il reste que ces retombées négatives seront sérieusement ressenties à moyen terme. D'autant plus que l'opinion publique nationale n'a pas été informée sur les raisons réelles d'une telle décision. Ainsi et selon le patron de Cevital, repreneur de Michelin-Algérie, l'usine de Bachdjarah et avec sa production annuelle de 200 000 pneus poids lourd annuelle n'était plus rentable. Donc il n'y avait pas d'autre solution que la fermeture de cette usine qui existe bien avant la naissance de Cevital. Pourtant le fabriquant français de pneu Michelin est bénéficiaire. Dans un entretien accordé récemment au Figaro, Jean-Dominique Senard, le numéro un de Michelin déclarait que «Nous ne pouvons pas attendre qu'une entreprise soit dans une situation périlleuse pour prendre des décisions industrielles». Le patron de Michelin reconnaissait explicitement que son entreprise n'est pas en difficulté. Mieux encore, l'usine de pneus de poids lourds de Joué-lès-tours, en France, ne verrait que la compression de 730 emplois en contre partie d'un investissement de 800 millions d'euros, toujours en France de 2013 à 2019. Pour l'usine de Bachdjarah, le verdict a été sans appel, la fermeture avec un sort incertain pour ses 600 travailleurs. C'est en 1963 que l'usine Michelin de Bachdjarah est entrée en production. A l'époque, cette usine fabriquait de différents pneus. Des pneus pour les véhicules de tourisme, camionnette et poids lourds. Une production record de 24 tonnes par jour a été réalisée juste avant la crise financière de 1988. En raison de la grave crise économique et sécuritaire, l'usine fermera ses portes en 1993. Ce n'est qu'au mois d'août de l'année 2002 que l'usine reprendra ses activités. La nouvelle société Michelin Algérie est ainsi créée. Elle sera de droit algérien et bénéficiera des larges avantages accordés par le code de l'investissement. La relance de la production a nécessité un investissement de 40 millions d'euros. Les 600 travailleurs et techniciens de l'usine seront formés à la très complexe technologie de fabrication des pneus de poids lourds. La production atteindra les 220 000 pneus en 2010. En 2007 l'usine a réalisé un record à l'exportation dépassant les 23 millions de dollars. Mais en raison de la crise de l'économie mondiale de 2009, les exportations de Michelin Algérie ont baissé. Aussi paradoxale que cela puisse paraître et au moment où le monde traversait une grave crise économique, les importations de véhicules de tourisme et utilitaires n'ont cessé d'augmenter en Algérie. En parallèle les importations de pneus ont dépassé les 470 millions dollars en 2012, faisant de l'Algérie le premier marché de pneus en Afrique. Durant ces trois dernières années, de grands efforts ont été fournis par le gouvernement pour relancer l'industrie mécanique. En coordination avec le ministère de la Défense et en partenariat avec de grandes sociétés étrangères, plusieurs accords ont été signés dans ce secteur. Ces accords vont permettre d'augmenter sensiblement la production en Algérie des véhicules industriels, des engins de travaux publics et agricoles. L'année 2014 verra aussi la sortie du premier véhicule de tourisme de l'usine Renault Algérie d'Oran. D'ici à 2017, l'industrie mécanique algérienne aura besoin de pas moins de 150 000 pneus pour poids lourds et autres engins et 300 000 autres pour véhicules de tourisme. Des pneus qui doivent répondre aux normes de qualité exigés par les constructeurs étrangers qui sont en partenariat avec les entreprises algériennes. Et dans le cas où l'usine Michelin de Bachdjarah fermera ses portes, la totalité de ses pneus sera importée d'Europe. La fermeture de l'usine est également expliquée par ses capacités réduites. Selon certains «experts» pour qu'une usine de pneus soit rentable, il lui faudrait une capacité qui dépasserait le million de pneus pour véhicules lourds et les cinq millions pour véhicules de tourisme. Pourtant la société tunisienne de pneumatiques (Stip) dément ces conclusions de ces pseudos experts. La Stip a été créée en 1980, c'est à dire à une vingtaine d'année saprès la création de Michelin Algérie. Cette société est dotée aujourd'hui d'une capacité de production de 600 000 pneus. Contrairement à l'usine de Bachdjarah, la Stip produit des pneus pour véhicules de tourisme, les poids lourd et les engins de travaux publics et agricoles. L'entreprise tunisienne produit même des pneus pour les deux roues. La société tunisienne est arrivée même à exporter ses pneus en Algérie pour une valeur dépassant les 15 millions de dollars. Elle exporte ses produits en direction du Maroc et même en France. A première vue, la Stip se porte bien malgré ses capacités de production limitées qui ne dépassent pas les 600 000 pneus et elle n'est pas prête de voir de sitôt sa mise en faillite. Depuis l'annonce de la fermeture de l'usine de Bachdjarah, le ministère de l'Industrie a préféré garder le silence. Pourtant le gouvernement algérien a accordé en 2002 d'importants avantages fiscaux pour encourager la relance de la production de l'usine. Ce même gouvernement est appelé à préserver l'outil de production et les emplois. L'accord de fermeture ne précise pas le sort des équipements industriels ni le montant de la transaction et les dettes de Michelin Algérie. Le gouvernement semble aujourd'hui totalement défaillant sur ce dossier. Il appartient au ministère de l'Industrie de trouver un accord avec Michelin et non pas à une société privée. Seul le gouvernement est habilité à prendre des décisions qui préservent les intérêts économiques du pays. Si l'usine Michelin de Bachdjarah fermerait ses portes, l'Algérie perdrait 50 ans d'expérience dans l'industrie du pneu. A l'avenir et après cet échec, il n'y aurait aucun partenaire qui serait intéressé par la relance de cette activité industrielle.