Mohamed Morsi serait peut-être encore aujourd'hui président en Egypte s'il avait donné suite en avril à un compromis avec l'opposition mis au point par l'Union européenne Convaincus de leur légitimité issue des urnes, Morsi et l'organisation dont il est issu, les Frères musulmans, ont rejeté la proposition précise élaborée par l'émissaire européen Bernardino Leon, après des mois de navette diplomatique. Trois mois plus tard, Morsi était renversé par l'armée et les Frères musulmans sont désormais victimes d'une répression sévère. Selon les termes de cet accord, six partis d'opposition s'engageaient à reconnaître la légitimité du présidentislamiste et à participer à des élections législatives qu'ils menaçaient de boycotter. En contrepartie, Mohamed Morsi acceptait de limoger le Premier ministre Hicham Kandil ainsi que cinq ministres de premier plan, pour former un gouvernement d'unité nationale composé de techniciens. Il aurait aussi remercié le procureur général, contesté par l'opposition, et accepté des amendements au code électoral pour satisfaire aux demandes du Conseil constitutionnel. La profonde méfiance inspirée par les Etats-Unis tant chez les islamistes que dans l'opposition avait permis à l'Union européenne d'avancer ses pions en Egypte, ce que du reste elle n'a pas renoncé à faire malgré l'échec de sa démarche du printemps. «Nous y étions presque» Catherine Ashton, la responsable en chef de la diplomatie européenne, était attendue, hier, au Caire pour une nouvelle tentative de médiation, cette fois entre une équipe placée au pouvoir par l'armée et un camp islamiste manifestant dans la rue et jugeant ces nouveaux dirigeants «illégitimes». Côté islamiste, c'est Saad el Katatni, chef de l'aile politique des Frères musulmans, qui fut l'interlocuteur privilégié des Européens pendant les tractations. Il ne parvint toutefois pas à «vendre» le projet à Morsi et aux autres dirigeants de la confrérie. «Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour parvenir à un accord. Nous y étions presque, mais finalement la position de Morsi n'a pas évolué», raconte à Reuters Hamdine Sabahi, responsable du courant populaire, une formation de gauche. «Il exigeait un dialogue sans conditions, sans préalables, sans ordre du jour ni objectifs», ajoute-t-il. «La question première qui se posait à l'Egypte était la violence et les troubles», réplique un ancien conseiller présidentiel, Ouael Haddara, dans un courriel adressé à Reuters. «Compte tenu du fait que les sondages, les uns après les autres, montraient que les partis d'opposition ne parvenaient pas à acquérir une popularité, il était important de se demander pourquoi un gouvernement composé de ces partis aurait été d'une quelconque manière plus capable d'empêcher ou de faire diminuer la violence», ajoute-t-il. Pour Farid Ismaïl, un responsable des Frères musulmans, l'opposition était dès le départ décidée à ne pas participer à un gouvernement de consensus. «Il existait une intention cachée de tout rejeter jusqu'à ce qu'on en arrive là où nous sommes arrivés: un coup d'Etat militaire», assure-t-il. Le projet d'accord, dont Reuters a pu consulter une copie, stipulait qu'en cas de succès, un prêt de 4,8 milliards de dollars aurait été débloqué par le Fonds monétaire international (FMI), ouvrant la voie à d'autres aides et investissements possibles. L'offre européenne avait d'autant plus de crédibilité que les Etats-Unis, dans une position diplomatique difficile en Egypte, s'étaient résolus à la soutenir et à ne pas avancer leur propre solution. Le secrétaire d'Etat John Kerry avait téléphoné en ce sens à Mohamed Morsi en mars, tandis que l'ambassadrice des Etats-Unis au Caire, Anne Patterson, avait accompagné Bernardino Leon lors d'une rencontre avec le chef de l'Etat égyptien quelques jours plus tard. Ce dernier n'a jamais rejeté en bloc la proposition des Vingt-Sept mais, trop têtu ou bien incapable de parvenir à un compromis avec l'aile des Frères qui y était favorable, il a laissé pourrir la situation, et l'accélération des évènements a achevé de torpiller l'initiative européenne. «La proposition présentée à Morsi était détaillée, bien argumentée et acceptée par toutes les composantes du Front de salut national (opposition). Nous n'avons jamais reçu de réponse», confie une personne impliquée dans les discussions. Ce texte était au cœur de la visite effectuée par Catherine Ashton au Caire le 7 avril, au cours de laquelle elle a rencontré Morsi et les principaux dirigeants de l'opposition. Lors de cette visite, Catherine Ashton a également rencontré le chef d'état-major de l'armée, le général Abdel Fattah al Sissi qui, quelques semaines plus tard, allait ordonner la destitution de Morsi. Le général Sissi avait alors donné son blanc-seing à l'initiative européenne en indiquant que les militaires ne voulaient pas à nouveau se mêler de politique et espéraient la conclusion d'un accord de consensus.