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Le récit de la chute de Mohamed Morsi
Egypte
Publié dans Le Temps d'Algérie le 06 - 07 - 2013

Pour les généraux égyptiens, le compte à rebours de la chute de Mohamed Morsi a été enclenché le 26 juin. Ce jour-là, le premier président démocratiquement élu de l'histoire du pays doit prononcer un discours très attendu alors que la contestation va en s'amplifiant.
Le mouvement Tamarud (Rébellion), qui fédère les opposants par le biais d'une vaste pétition, a appelé à des manifestations le 30 juin, un an jour pour jour après l'investiture du chef de l'Etat issu des Frères islamistes.
Dans ce contexte, les militaires rencontrent Morsi et lui tiennent un discours très ferme.
"Nous lui avons dit de faire court, de répondre aux exigences de l'opposition de former un gouvernement de coalition et d'amender la constitution et de fixer un calendrier précis pour ces deux initiatives", raconte à Reuters un officier présent lors de cette rencontre.
"Mais il a opté pour un très long discours qui ne disait rien. C'est à ce moment que nous avons compris qu'il n'avait nulle intention de régler le malaise et que nous devions nous préparer à un plan B", poursuit-il sous couvert d'anonymat.
Dans les jours qui suivent, tandis que la tension va grandissant, Mohamed Morsi ne change rien dans ses relations avec l'armée. Des millions d'Egyptiens sont descendus dans les rues le 30 juin, les forces armées ont lancé le lendemain un ultimatum de 48 heures aux responsables politiques.
Morsi, lui, réaffirme sa légitimité issue des urnes et rejette la mise en garde de l'armée.
"IL NE VOULAIT PAS LE CROIRE"
Le mercredi 3 juillet, à quelques heures de sa destitution, il a un dernier contact téléphonique avec le général Abdel Fattah al-Sissi, qu'il a lui-même nommé à la tête de l'état-major des forces armées.
Selon une source militaire, le président est enjoué et balaie la portée des manifestations contre lui. "Il ne voulait pas croire ce qui était en train de se produire", dit cette source.
Dans la soirée, après avoir rencontré des représentants de l'opposition politique, des autorités religieuses et des mouvements de la jeunesse révolutionnaire, le général al-Sissi apparaît à la télévision. Il annonce la destitution de Morsi et la suspension de la Constitution.
Dans le même temps, Mohamed Morsi est mis aux arrêts dans une caserne de la Garde républicaine, des cadres des Frères musulmans sont arrêtés et les médias proches de la confrérie fermés ou repris en main.
C'est la fin de la première tentative de combinaison de l'islam politique et de la démocratie en Egypte, l'Etat le plus peuplé et historiquement le plus puissant du monde arabe.
ISLAM POLITIQUE ET DEMOCRATIE
La rapidité avec laquelle les événements se sont enchaînés souligne la fragilité des systèmes issus du "printemps arabe", marqués par de profondes divisions au sein même de la population et par l'instabilité.
La chute de Mohamed Morsi relance aussi l'éternel débat autour de la compatibilité entre démocratie et islam politique. Au total, la première expérience de gouvernement des Frères musulmans, confrérie créé en 1928 par Hassan al-Banna, n'aura duré qu'un an.
Dans le camp islamiste, on n'a pas de mots assez durs pour fustiger ces pays occidentaux qui prônent la démocratie mais soutiennent de fait un coup d'Etat militaire dont bien peu disent le nom.
Mais l'intervention des généraux met aussi en lumière la difficulté des Frères à se muer en une force de gouvernement.
Observateurs égyptiens et investisseurs étrangers ont déploré que des ministères aient été attribués à des cadres de la confrérie sans compétences économiques. La destitution de Morsi a du reste été saluée par la Bourse du Caire.
UN CANDIDAT DE "DEUXIÈME CHOIX"
Professeur d'ingénierie originaire du Delta du Nil, Mohamed Morsi lui-même n'était pas destiné à remporter la première élection présidentielle post-Moubarak. Mais l'invalidation de la candidature de Khaïrat al Chater, homme d'affaires et architecte de la stratégie politique des Frères, a poussé la confrérie à se rabattre sur lui.
Le candidat de "deuxième choix", élu avec près de 52% des voix au second tour de la présidentielle face à Ahmed Chafik, le dernier Premier ministre de Moubarak, va adopter une pratique présidentielle sans partage, où tout revient aux vainqueurs.
En août, moins de deux mois après son investiture, il limoge le maréchal Hussein Tantaoui et nomme un nouveau chef d'état-major, le général al-Sissi, issu de l'infanterie et qui a étudié aux Etats-Unis.
Considéré comme un musulman pieux, le nouveau chef de l'armée est considéré comme compatible avec Morsi et les Frères. Mais les relations se dégradent très vite.
La trêve que Morsi négocie entre Israël et le Hamas palestinien inquiète l'armée. "L'intervention de Morsi dans la guerre à Gaza a fait de l'Egypte le garant de l'arrêt des attaques du Hamas contre Israël. Ce qui menace la sécurité nationale, parce que si le Hamas reprenait ses attaques, cela aurait pu amener Israël à se venger contre nous", dit une source sécuritaire.
Le président islamiste s'est également aventuré dans la guerre civile en Syrie, laissant entendre une possible participation égyptienne dans la lutte contre le régime de Bachar al Assad.
En Egypte même, le malaise, la polarisation de la société et la dégradation de l'économie inquiètent l'armée, qui s'est évertuée à sécuriser ses propres et nombreux intérêts et privilèges lors des dix-sept mois de transition qu'elle a conduite, via le Conseil suprême des forces armées (CSFA) entre la chute de Moubarak et l'élection de Morsi.
Lorsqu'il arrive au pouvoir, la situation économique qu'il hérite des militaires du CSFA n'est pas brillante. Mais elle va encore se dégrader.
LA PETITION DE TAMARUD
Les jeunes activistes du mouvement Tamarud lancent leur pétition réclamant la démission de Morsi le 1er mai.
L'initiative fait boule de neige. Le collectif dit avoir collecté 22 millions de signatures, sur lesquelles il s'appuie pour appeler à manifester le 30 juin.
Ce dimanche-là, ils sont des millions à descendre dans les rues au cri de "Erhal!" (dégage !). En face, les islamistes ne parviennent qu'à mobiliser quelques centaines de milliers de partisans. La bataille de la rue est perdue.
En début de semaine, le général al-Sissi rencontre à deux reprises le président Morsi.
Un de ses proches raconte: "A son retour, le général Sissi nous a confié que Morsi était dans le déni, qu'il assurait que les manifestants n'étaient qu'entre 130.000 et 160.000. Lors de leur seconde rencontre, le général Sissi est venu avec un enregistrement vidéo des manifestations réalisé par l'armée et lui a dit: 'Regardez, la situation est hors de contrôle et vos propositions pour remanier le gouvernement ou amender la constitution sont trop tardives et ne calmeront pas la rue. Je vous suggère d'organiser un référendum sur la poursuite de votre mandat."
Face au refus de Morsi, le général Sissi intensifie ses contacts avec Mohamed ElBaradeï, que le Front de salut national (FSN), principale coalition de l'opposition, a désigné comme son représentant principal. Il voit aussi les plus hautes autorités religieuses du pays, le grand cheikh Ahmed al-Tayeb de l'institut islamique d'al-Azhar et le pape de l'Eglise copte, Tawadros.
Il a aussi l'intelligence d'inclure dans ses discussions les jeunes fondateurs de Tamarud mais aussi les salafistes du parti Nour, la seconde force politique islamiste du pays.
LE 3 JUILLET, RUE DE LA REVOLUTION
Tous se retrouvent le mercredi 3 juillet au siège du renseignement militaire, situé rue El-Thawra (Révolution).
L'ultimatum de l'armée est sur le point d'expirer. La rencontre dure six heures, c'est très peu selon les normes égyptiennes. L'armée entérine officiellement le projet de "feuille de route" mis au point par Tamarud et soutenu par le FSN.
Le Pentagone confiera plus tard que le chef d'état-major des forces armées égyptiennes s'est aussi entretenu avec le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel. Le contenu de leurs discussions n'a pas été dévoilé, mais les intérêts croisés abondent: l'Egypte contrôle le canal de Suez par lequel transitent d'importantes quantités de pétrole, les Etats-Unis fournissent une aide annuelle de 1,3 milliard de dollars à l'armée égyptienne.
Tandis que des manifestants assiègent le palais présidentiel d'Ittihadiya, Mohamed Morsi a été transféré pour sa propre sécurité au palais de Qubba, qui fut la résidence officielle du roi Farouk, renversé par un coup d'Etat militaire en 1952.
Le mercredi 3 juillet, il est conduit dans un bâtiment mis à sa disposition par la Garde républicaine, près de l'aéroport du Caire.
A 18h00, une heure après l'expiration de l'ultimatum, un de ses conseillers en communication, Yaser Haddara, affirme que tout va bien. "Le président est toujours le président, il est toujours à son bureau. L'ambiance est bonne, croyez-le ou non, les gens travaillent."
Une heure plus tard, le général Sissi décroche son téléphone et appelle Morsi pour lui demander une dernière fois s'il accepte la tenue d'un référendum de confirmation ou de révocation de son mandat. Nouveau refus. Le chef d'état-major des forces armées l'informe alors qu'il n'est plus président. Morsi est placé aux arrêts.


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