Le silence est brisé. Son écho a fait du bruit au Qatar et même dans les studios de la chaîne Al-Jazeera. Quelque soit le qualificatif utilisé par les uns et les autres pour illustrer le geste technique de l'ENTV, il n'en demeure pas moins que le «carton» brandi par cette chaîne n'aveugle personne. Les Qataris veulent avoir une main basse, très basse sur les continents africains. Aspirer sans aucun scrupule le maximum de dollars tout en constituant un portefeuille de droits TV. Un objectif permanent qui s'effrite en Algérie. Dans sa dernière livraison «Jeune Afrique» revient sur le déroulé des événements et a interrogé les deux parties. Acte 1 : la télévision nationale algérienne, faute d'accord avec Al-Jazeera, pirate la retransmission. «La chaîne Al-Jazeera Sport» annonce lundi 14 octobre 2013 avoir déposé plainte au tribunal international de commerce contre la télévision algérienne, l'accusant d'avoir illégalement retransmis samedi dernier la rencontre opposant le Burkina Faso à l'Algérie (3-2) en barrage aller des qualifications au Mondial-2014.» Le journal rappelle à ses lecteurs que ce geste technique est motivé par l'échec des négociations avec la chaîne qatarie, de ce fait le directeur de l'ENTV évoque et dénonce à la fois «le chantage exercé par Al-Jazeera pour l'ouverture d'un bureau à Alger.» Ce journal qui rappelle à ses bons lecteurs que le match entre les deux chaînes a débuté «au lendemain du tirage au sort, samedi 16 septembre, des matchs de barrages pour la qualification à la Coupe du monde 2014 du Brésil.» La direction commerciale de l'ENTV se rapproche de Sportsfive (propriété du groupe Lagardère et spécialisé dans la gestion des droits marketing et audiovisuels) «pour acquérir les droits de retransmission du match Burkina Faso-Algérie à Ouagadougou. «Alors que les négociations s'éternisaient, nous étions surpris d'apprendre que Sportsfive a vendu les droits des 10 matchs à Al-Jazeera pour 5,6 millions de dollars, déclare à «Jeune Afrique» Toufik Khelladi, directeur général de l'EPTV. «Quand une chaîne cryptée acquiert les droits TV de rencontres sportives, elle est tenue de proposer les droits terrestres aux autres chaînes. Cela n'a pas été le cas pour la rencontre Burkina-Faso-Algérie.» Le directeur général de l'EPTV s'est déjà expliqué par médias interposés en ces termes : «J'étais face à une situation complexe qui est celle de l'obligation de diffuser cette confrontation sur le territoire et le manquement d'Al Jazeera à une obligation internationale. La décision était difficile à prendre. C'est moi qui l'ai prise en me disant que s'il y a un seul Algérien qui n'a pas la parabole et même si Al Jazeera décide de diffuser le match en clair, je suis obligé de lui donner le signal», explique-t-il, affirmant qu'il est prêt à payer l'amende qui pourrait être infligée à l'ENTV. «Je l'ai fait et je suis prêt à en assumer les conséquences. Si je dois payer une amende, je la paierai, mais au juste prix». Mais cette chaîne n'était pas prête de céder ces droits aux télévisions nationales et même au delà de nos frontières. Il conviendrait de signaler que c'est la première fois qu'Al Jazeera intervient pour diffuser les matchs qualificatifs. D'habitude, elle cible les phases finales des compétitions internationales. «Nous leur avons fait une proposition commerciale (trois fois moins que le prix fixé par Al Jazeera). Dans leur réponse, ils ont posé deux conditions : un prix fort (1,5 million de dollars) et l'ouverture d'un bureau d'Al Jazeera à Alger, rappelant qu'Al Jazeera avait, elle-même, piraté la finale de la Coupe d'Algérie 2013» et que l'ENTV l'avait saisie par écrit, «non via ses écrans, j'ai pris cette décision légitime pour protéger le droit des Algériens au spectacle... Deux ou trois jours avant le match, Al-Jazeera revient à la charge en exigeant 1,5 million de dollars ainsi que, selon les Algériens, l'ouverture d'un bureau à Alger. Ce sont là des conditions inacceptables. Le prix est excessivement élevé et ne répond pas aux normes du marché. Quant à l'ouverture d'une représentation en Algérie, elle est du ressort des autorités politiques et non de la direction de la télévision publique.» (Le bureau d'Al-Jazeera fut fermé en juin 2004 suite à un débat sur les élections présidentielles qui n'a pas été du goût des officiels. Comme pour aggraver son cas, Al-Jazeera publiera sur son site web, peu de temps après les attaques kamikazes de décembre 2007 à Alger, un sondage dans lequel, elle posait la question suivante : «Etes-vous favorables aux attentats d'Al-Qaïda en Algérie ?» Depuis, la chaîne y est bannie.) A quelques heures du coup d'envoi de la rencontre face au silence des qataris, la télévision algérienne décide de diffuser le match en piratant le signal émis par la chaîne burkinabé. Explications de Toufik Khelladi : «J'ai pris cette décision légitime pour protéger le droit des Algériens au spectacle.» Confiant, Khelladi «dit ne pas craindre les poursuites judiciaires engagées par Al-Jazeera s'appuyant notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne de justice qui, en date du 18 juillet 2013, avait débouté la FIFA, l'UEFA et la chaîne BeIn en donnant la possibilité aux Etats de réserver la diffusion en clair des matchs de l'Euro et de la Coupe du monde. Quid du match retour à Blida ? «Etant le producteur (la télévision algérienne, ndlr) du signal, nous disposons du droit pour la diffusion terrestre, indique le DG de l'ENTV. Nous sommes disposés à négocier avec Al-Jazeera Sports, la cession des droits pour le satellite. Nous souhaitons avoir des relations commerciales justes, et nous voulons que le droit du téléspectateur algérien soit protégé et respecté.» Acte 2 : Jazeera Sport reconnaît que «la télévision algérienne est effectivement entrée en contact avec la régie commerciale de la chaîne qatarie en proposant 500 000 dollars pour acquérir les droits de diffusion. Al-Jazeera Sport qui a investi 6 millions de dollars pour l'ensemble des 10 matchs, notamment ceux de l'Algérie, la Tunisie et de l'Egypte, juge cette somme peu suffisante», soutient cette source qui n'a pas souhaité être identifiée. La question brûlante d'un coup de main pour l'ouverture d'un bureau à Alger tombe «la chaîne qatarie a-t-elle conditionné la vente des droits du match ? La vérité est qu'Al-Jazeera n'a jamais fait part d'une telle exigence, jure cette source. Nos responsables ont juste demandé aux Algériens un coup de main pour installer une antenne pour la future BeIn Sport et non un bureau d'Al-Jazira. Les e-mails échangés entre les deux parties peuvent l'attester. Sommes-nous fous pour exiger en 24 h des Algériens, l'ouverture d'un bureau d'Al-Jazeera à Alger ? C'est totalement insensé.» La suite ?, s'interroge le rédacteur chargé du «dossier-enquête», l'Algérien Hafid Deradji assure le commentaire à partir des studios de Doha, Al-Jazeera découvre que la rencontre est diffusée illégalement par l'ENTV. Aussitôt, les Qataris alertent les dirigeants de Sportfive à Ouagadougou pour demander des explications. Réponse : aucune dérogation n'a été accordée aux Algériens pour retransmettre le match. Al-Jazeera diffuse alors un communiqué qui sera lu en direct par son commentateur dénonçant cet acte de piratage. Avec l'accord du réalisateur, un technicien sur la pelouse brandit, quelques minutes après la fin de la rencontre, devant des millions de téléspectateurs un écriteau : «Le match est diffusé par la TV nationale algérienne de façon illégale sans qu'elle n'ait obtenu aucune autorisation» (sic). Résultat : Al-Jazeera Sport porte désormais l'affaire en justice non sans avoir saisi la Confédération africaine de football (CAF) qui, à son tour, protestera auprès de la télévision algérienne, pour «le piratage audio-visuel du match Burkina Faso-Algérie». La suite de ce bras de fer se poursuivra très certainement lors du match retour sauf si cette chaîne qatarie qui vient de faire preuve d'un manque de professionnalisme flagrant en brandissant un écrit vu et lu par un grand nombre de téléspectateurs des différents continents ce qui est d'un niveau bas, revient à de meilleur sentiment.
