La Nouvelle République : Au-delà de ses impacts environnementaux, le gaz de schiste est loin d'être généreux et où les coûts d'exploration encourus dépassent tout entendement dans ce genre de forages extractifs. A combien estimez-vous l'extraction en millions de dollars un unique puits de gaz de schiste ? Thomas Porcher : Aux Etats-Unis, le coût d'un forage est entre 8 à 10 millions de dollars, mais au Royaume-Uni et en Pologne, le coût s'est avéré être le double, car le coût d'un forage dépend de nombreux facteurs comme le code minier, les infrastructures de forage et de distribution. Moins elles sont développées plus le coût augmente. Il faut également noter que le gaz de schiste amène à la multiplication des forages contrairement au gaz conventionnel. Plusieurs pays appartenant à la Communauté économique européenne, dont la France, ont refusé de ne plus accorder de nouveaux permis pour l'extraction de gaz de schiste. Le gouvernement français joue sur les mots et aucune décision crédible n'a été prise au sujet des permis déjà accordés, pourquoi ? En France, il n'y a que la technique de la fracturation hydraulique qui est interdite. Les compagnies peuvent donc demander des permis pour l'extraction du gaz conventionnel. Mais, au final, il est difficile de savoir ce qui les intéressent réellement. J'ai du mal à croire qu'elles sont là uniquement pour du gaz conventionnel. Honnêtement, si nous avions les réserves de gaz conventionnel de l'Algérie, nous le serions depuis longtemps. Que pensez-vous de la décision du pouvoir algérien qui a déjà pris une position claire au sujet de l'extraction de gaz de schiste ? L'Algérie est un producteur de gaz et de pétrole et une grosse part de son PIB dépend de sa production d'hydrocarbures. La situation est donc différente de la France. Il faut juste savoir que le gaz de schiste présente plus de risques que le gaz conventionnel, notamment à cause de la technique mais également de la multiplication des forages que son exploitation nécessite. En termes de retombées économiques, cela ne sera pas non plus l'Eldorado. Par exemple, en termes d'emplois, une étude américaine montre que pour une production d'1 million de dollars de gaz, il y avait seulement 2 emplois de créer. On reste dans une industrie de rente. Le pouvoir algérien qui reste aphone aux divers appels d'experts algériens et étrangers sur les conséquences de l'extraction du gaz de schiste, préfère se plier aux lobbies des pétrodollars et autres lobbies des énergies fossiles sans pour autant se soucier ni sur le devenir de ses populations ni sur la sécurité énergétique de ses ressources . Le devenir des citoyens tout autour des sites d'extraction de gaz de schiste ciblés par les nouveaux permis d'exploitation est-il incertain à court, moyen ou court termes ? Plusieurs études scientifiques existent aux Etats-Unis et elles pourraient être adaptées au cas de l'Algérie. Par exemple, l'université de Duke montre que des nappes phréatiques ont été polluées en Pennsylvanie, l'université du Colorado montre qu'il y a des risques de développer des cancers pour des populations vivant dans un périmètre de 805 mètres autour d'un puits. Mais cela dépend beaucoup de la densité de population dans les zones où sont réalisés les forages. En France, les zones d'exploitation présentent une densité entre 2 à 20 fois supérieure aux Etats-Unis. Ce n'est peut-être pas le cas pour l'Algérie. Quelles seraient les énergies alternatives dans notre pays pourtant très riche en gaz conventionnel et autres énergies renouvelables et où les systèmes propres ne manquent pas dans une Algérie classée comme un important producteur mondial d'hydrocarbures ? La différence entre la France et l'Algérie est que la France est un pays importateur de gaz et de pétrole alors que l'Algérie est un pays exportateur. La France doit se lancer dans la transition énergétique pour des raisons de dépendance mais également pour des raisons climatiques. Car n'oublions pas qu'au XXe siècle, 70% du réchauffement climatique a été causé par les pays de l'OCDE. Dans le cas de l'Algérie, la situation est différente, c'est une économie fortement dépendante de ses exportations de gaz et de pétrole. Ses énergies s'exportent facilement quand les énergies renouvelables sont destinées à une consommation locale. Honnêtement en tant que spécialiste des énergies conventionnelles, êtes-vous pour ou contre l'exploitation du gaz de schiste en Europe, spécialement en France ? Je suis contre pour les raisons énoncées précédemment. Nos économies sont trop dépendantes de l'extérieur en termes d'énergie et nous devons montrer l'exemple sur le réchauffement climatique. Il faut donc se lancer dans la transition énergétique.