Norman Finkelstein, qui connaît parfaitement les méandres de l'histoire du conflit israélo-palestinien, replace la dernière agression contre Ghaza dans son contexte : celui de la réconciliation entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, et du refus historique d'Israël à toute résolution pacifique du conflit, privilégiant l'expansion à la paix. Israël a ainsi multiplié les provocations à l'égard du Hamas afin de détruire ce gouvernement d'unité nationale, et de pouvoir prétendre qu'elle n'avait pas d'interlocuteur véritable du côté palestinien. Norman Finkelstein évoque notamment les dernières agressions contre Ghaza (les «massacres de haute technologie»), les cessez-le-feu précédents ont toujours été rompus par Israël, qui propose aujourd'hui des conditions absolument inacceptables pour le Hamas, et les enjeux d'une opération terrestre au vu de l'échec des frappes aériennes. Pouvez-vous nous donner un aperçu du contexte plus large expliquant comment ce dernier embrasement s'est déclenché ? Norman Finkelstein : Avant de répondre, je veux commenter brièvement la proposition de cessez-le-feu. Premièrement, le cessez-le-feu ne fait aucune mention du déchaînement d'Israël contre le Hamas en Cisjordanie. Et ce sont ces exactions israéliennes qui ont provoqué le conflit actuel et l'escalade des violences. Ce projet de cessez-le-feu donne donc à Israël un feu vert pour continuer à arrêter des dirigeants du Hamas et à détruire des maisons en Cisjordanie, saccager des maisons, tuer des Palestiniens, etc., actions qui constituèrent le prélude du conflit actuel. Deuxièmement, si on considère les termes de ce cessez-le-feu, on voit que c'est exactement les mêmes que celui qui a été proposé en juin 2008, et le même que celui qui a été signé en novembre 2012. A savoir que dans les deux cas, il avait été stipulé qu'il y aurait un atténuement du blocus illégal de Ghaza. Et dans les deux cas, après que le cessez-le-feu ait été signé, le blocus a été maintenu et même aggravé. Et maintenant, dans la version actuelle du cessez-le-feu, il est stipulé que le blocus sera levé après que le calme ait été restauré, que la situation sécuritaire ait été établie de manière satisfaisante. Mais puisque Israël considère que le Hamas est une organisation terroriste, la situation sécuritaire ne pourra jamais être tenue pour véritablement calme à Ghaza. Et par conséquent, il n'y aura jamais de levée du blocus de Ghaza. Et on en reviendra donc à la situation de juin 2008 et novembre 2012. Evidemment, le Hamas ne peut que rejeter un tel accord. L'accepter reviendrait à légaliser, à légitimer le blocus brutal, impitoyable, cruel et illégal de Ghaza. Quant à savoir comment nous en sommes arrivés là, le contexte général est parfaitement clair et évident pour quiconque ouvre les yeux. Un gouvernement d'unité entre l'Autorité palestinienne et le Hamas était en train de se constituer. Netanyahu était fou de rage en voyant ce gouvernement d'unité et a demandé aux Etats-Unis et à l'UE de couper leurs relations avec l'Autorité palestinienne. De manière surprenante, les Etats-Unis ont répondu : «Non. Nous allons donner du temps à ce gouvernement d'unité et voir si ça marche ou pas». Puis l'UE est entrée en scène et a dit qu'elle donnerait également du temps à ce gouvernement d'unité : «Voyons donc. Voyons ce qui se passe. » A ce moment, Netanyahu est pour ainsi dire devenu fou furieux, et il était déterminé à briser ce gouvernement d'unité. Lorsque l'enlèvement des trois adolescents israéliens s'est produit, il a trouvé son prétexte. Il n'y a pas la moindre ombre de preuve, pas le moindre indice qui indiquerait que le Hamas ait eu quoi que ce soit à voir avec les kidnappings et les meurtres. Personne ne connaît ne serait-ce que le mobile de ce crime à ce jour. Même si on regarde le rapport de Human Rights Watch du 3 juillet, ils disent que personne ne sait qui est derrière ces enlèvements. Même le Département d'Etat américain, le 7 juillet – lors d'une conférence de presse – a déclaré : «Nous n'avons pas de preuves tangibles sur l'identité des responsables de cet acte.» Mais cela n'avait rien à voir avec ces événements, ce n'était qu'un prétexte, un prétexte pour aller en Cisjordanie, attaquer le Hamas, arrêter 700 membres du Hamas, faire exploser deux maisons, mener ces saccages et ces dévastations, et ainsi essayer de provoquer le Hamas à une réaction. C'est ce qu'Israël fait toujours. Pour quiconque connaît l'histoire, c'est ce que les politologues israéliens mainstream (dominants), notamment Avner Maniv, appellent les «offensives de paix» palestiniennes : chaque fois que les Palestiniens ont l'air de vouloir parvenir à une solution pacifique du conflit – ce à quoi visait le gouvernement d'unité –, à ce moment, Israël fait tout ce qu'il peut pour provoquer une réaction violente – de la part du Hamas dans ce cas –, briser le gouvernement d'unité, et alors Israël a son prétexte : «Nous ne pouvons pas négocier avec l'Autorité palestinienne car elle ne représente qu'une partie de la population palestinienne, elle ne représente pas toute la population palestinienne. » Et donc Netanyahu fait ce qu'il fait toujours – excusez-moi, ce que les gouvernements israéliens font toujours –, il persiste à pilonner les Palestiniens, dans ce cas à pilonner le Hamas, pilonner le Hamas, en essayant de provoquer une réaction, et lorsque la réaction vient, ils disent : «Vous voyez, on ne peut pas traiter avec ces gens, ce sont des terroristes.» Selon vous, pourquoi Israël a hésité à lancer l'invasion terrestre – il y a, vous le savez, des milliers de soldats amassés le long de la frontière de Ghaza? Il est intéressant de voir que tout un nombre de théories ont été brodées, en particulier dans la presse israélienne. Je pense que la réponse à cette question est assez évidente : la population israélienne ne supportera pas un grand nombre de victimes parmi les forces israéliennes. Voilà pourquoi. Israël aime – tout comme le président Obama – Israël aime commettre des massacres de haute technologie. Ils ne veulent pas combattre dans une vraie guerre. En 2008, Israël a perpétré un grand massacre de haute technologie à Ghaza, tuant environ 1 400 Palestiniens, dont 1 200 étaient des civils, laissant derrière 600 000 tonnes de décombres, déversant du phosphore blanc, etc., et pour la première fois, la communauté internationale a réagi très fermement face à cela – le rapport Goldstone en a été le point culminant. A ce stade, Israël était dans une situation très difficile, car d'un côté il ne pouvait pas arrêter les tirs de roquettes, à moins de mener une invasion terrestre – ce qui est exactement la situation à laquelle faisait face Israël au Liban en 2006 – l'aviation ne peut pas détruire ces roquettes, qui sont surtout des roquettes de courte portée – ce ne sont même pas des roquettes mais appelons-les comme ça – l'aviation ne peut pas les neutraliser, le seul moyen de le faire, comme au Liban en 2006, est de lancer une invasion terrestre. Cependant, la population israélienne n'acceptera pas un grand nombre de victimes parmi ses soldats, et le seul moyen de ne pas avoir un grand nombre de victimes israéliennes est de tout raser à vue dans un rayon d'un kilomètre. C'est ce qu'a fait Israël en 2008-2009. Et il n'y a eu que 10 soldats israéliens tués, et parmi ces 10 tués, la moitié l'ont été par des «tirs amis», des Israéliens tuant accidentellement d'autres Israéliens. Eh bien après le rapport Goldstone et après 2008-2009, ils ne peuvent plus refaire ça, ils ne peuvent plus perpétrer de telles destructions massives, «les 22 jours de mort et de destruction» comme Amnesty International les a appelés, ils ne peuvent plus refaire ça, une nouvelle restriction a été placée sur les élites politiques et militaires d'Israël. Tel est donc leur dilemme : sur le plan interne, ils ne peuvent pas supporter un grand nombre de victimes parmi les forces israéliennes, mais le seul moyen de l'empêcher est de tout raser à vue, et la communauté internationale dit : «Vous ne pouvez pas faire ça». Vous pouvez en tuer 150, vous pouvez en tuer 200, Human Rights Watch dit que ce n'est pas un crime de guerre de tuer 200 Palestiniens à Ghaza, c'est ce qu'ils ont dit, ce n'est qu'une punition collective d'après eux. Seul le Hamas commet des crimes de guerre, car une femme israélienne est apparemment morte d'une crise cardiaque en essayant d'entrer dans un abri. Donc c'est terrible, abominable, c'est un crime de guerre. Mais quand vous tuez 200 Palestiniens, dont 80% sont des civils, environ 20% sont des enfants, d'après Human Rights Watch, ce n'est pas un crime de guerre. La communauté internationale ne peut accepter que tant de victimes : 200. Mais même Human Rights Watch n'acceptera pas que vous y alliez et refassiez 2008-2009 encore une fois. Le gouvernement israélien fait donc face à un véritable dilemme, et c'est le problème pour Netanyahu. Sur le plan interne, il perd s'il y a beaucoup de victimes parmi les forces israéliennes, et sur le plan international, il perd s'il essaie de refaire 2008-2009 à nouveau. Qui a causé combien de morts ? En 2008-2009, nous avons vu qu'il y a eu 1 400 morts Palestiniens, dont 1 200 étaient des civils, et 600 000 tonnes de décombres. Ils n'ont tout simplement rien épargné à Ghaza. Et soit dit en passant, cela a été exigé par Tzipi Livni : le 18 janvier, Tzipi Livni, alors ministre des Affaires Etrangères, aujourd'hui ministre de la Justice, la personne que J-Street [Juifs américains pour la «paix »] appelle «la modérée», Tzipi Livni s'est vantée à la télévision d'avoir exigé du «hooliganisme» à Ghaza. «C'est ce que j'ai exigé, a-t-elle déclaré, et nous l'avons obtenu.» Selon J-Street, c'est la modérée. Pour conclure, que faut-il faire ? Ce qu'il faut faire est absolument évident. Amnesty International, qui est une authentique organisation de défense des droits de l'Homme, contrairement à Human Rights Watch, Amnesty International a publié une déclaration qui recommandait : premièrement, il doit y avoir un embargo total sur les armes à destination d'Israël et de Palestine, ce qui est parfaitement raisonnable, car d'après le droit international, il est illégal de transférer des armes à des pays qui violent de manière flagrante les droits de l'Homme : donc, embargo total sur les armes à destination d'Israël et de Palestine ; deuxièmement, enquête internationale sur les crimes de guerre des deux côtés ; et c'est moi qui énonce le troisième point : troisièmement, des sanctions doivent être imposées à Israël jusqu'à ce qu'il négocie une fin de l'occupation d'après le droit international. Et cette suggestion n'est pas de moi : je la base sur l'arrêt de la Cour pénale internationale, dans l'affaire Afrique du Sud / Namibie occupée. La Cour pénale internationale a décrété en 1971 : «Si l'Afrique du Sud ne s'engage pas dans des négociations de bonne foi en vue de mettre fin à son occupation de la Namibie, cette occupation est illégale d'après le droit international.» Israël a refusé de s'engager dans des négociations de bonne foi en vue de mettre fin à l'occupation de la Palestine, exactement comme dans le cas de la Namibie, il est donc un occupant illégal de la Palestine et des sanctions globales devraient être imposées à Israël jusqu'à ce qu'il mette fin à l'occupation de la Palestine dans les termes du droit international.