Maints observateurs politiques et de l'aveu même de jeunes israéliens refuzniks qui ont refusé de faire l'armée pour protester contre l'occupation des territoires palestiniens, l'acharnement de l'Etat sioniste sur les Palestiniens, notamment à Ghaza, a en ligne de mire, la poursuite du carnage entrant dans le cadre d'une stratégie bien définie : le «politicide» du peuple palestinien, son anéantissement en tant qu'entité politique pour le réduire à un pseudo «Etat», cloisonné au-delà d'un mur isolateur et coupé en quatre morceaux privés de toute viabilité. Telle se présente, d'une façon globale, la stratégie guerrière de Tsahal, entreprise initialement par le général Sharon et relancée par ses successeurs, absolument tous hantés, selon Baruch Kimmerling (1), par la question de la rapide croissance démographique de la population arabe des territoires occupés, ajoutée aux citoyens arabes d'Israël : celle-ci tendrait irrémédiablement à la transformation de l'Etat juif en une entité binationale, quel que soit le statut de la population annexée, privée ou pas de droits citoyens. Car, malgré les flux d'immigration intense de juifs et non juifs qui viennent s'y établir, en provenance principalement de l'ex-Union soviétique, les perspectives d'équilibre démographique ne plaident guère en faveur des Israéliens : ainsi ces projections démographiques prévoyant que, «en 2020, 15,1 millions de personnes vivront sur cette terre, dont une minorité de 6,5 millions de juifs» (2). D'où l'angoisse existentielle qui taraude les politiciens de l'Etat hébreu : comment faire face à cette propension contradictoire alimentée par le fiévreux désir expansionniste qui les pousse à des stratégies d'expansion totale ou d'annexions parcellaires, suivant l'idéologie mythique du «Grand Israël» entretenue par le sionisme messianique, où la vision politicienne de l'aile sioniste travailliste, et qui, au fur et à mesure de l'extension de ces terres, la préservation d'une majorité juive massive dans ces territoires y devient chose pratiquement impossible. La raison pour laquelle, une grande partie de l'électorat sioniste des deux tendances avait penché du côté du machiavélique général Sharon, qui entendait en finir avec la seconde Intifadha et tous les plans de paix avec sa «solution appropriée»: une «solution» du problème palestinien passant par le «politicide», un concept datant de la guerre de 1948, nous dit le sociologue israélien Baruch Kimmerling, qui note en termes précis: «Il s'agit d'une stratégie politico-militaire, diplomatique et psychologique ayant pour but la dissolution du peuple palestinien comme entité économique, sociale et politique légitime et indépendante», poursuivant, «Cela peut inclure - mais pas nécessairement - leur nettoyage ethnique progressif, partiel ou complet, du territoire connu sous le nom de terre d'Israël ou de Palestine historique.» (3). Des partisans du «camp de la paix», s'opposèrent à cette politique de la terre brûlée, proposant l'alternative de la restitution des territoires dans le cadre de solutions négociées et ce qu'elles offraient comme possibilités de préservation de l'unité spatiale démographique, mais l'assassinat par les ultras de Itzhak Rabin qui prôna cette option d'issue vers la fin de sa vie fit capoter cette approche, pourtant officialisée à Oslo devant l'opinion publique internationale. Mais les faucons du gouvernement conduit par les va –t'en guerre ne l'entendaient nullement de cette oreille, exploitant souvent l'intervalle de manifestations culturelles et sportives mondiales, ou des phases de pauses et trêves pour agir de nouveau, avec l'option «politicide» en tête de pont. En préparant le terrain, auparavant bien évidemment pour «légitimer» aux yeux de l'opinion publique internationale leur intervention, leurs services spéciaux usant pour ce faire de tous les stratagèmes possibles : le tout dernier évènement servant de prétexte pour l'attaque de Ghaza, c'était bien sûr la déplorable liquidation de trois jeunes touristes civils israéliens dont Tsahal aurait cherché à venger la mort. Seulement ce meurtre condamnable de citoyens civils est venu, comme par hasard, à un moment opportun pour vite «casser» l'union des forces palestiniennes qui se dessinait et dirigait des frappes programmées depuis belle lurette sur Ghaza. La politique de la terre brûlée Pour rappel, nous éclaire le sociologue Baruch Kimmerling, la première étape du politicide baptisée opération «Remparts», date depuis le 29 mars 2002 et s'assignait pour objectif le démembrement de toutes forces organisées palestiniennes, en sapant notamment les structures de bases principales et infrastructures des divers services publics palestiniens mis en place. Parallèlement, les incursions répétées dans les villes et villages et les camps de réfugiés palestiniens, de même que les exécutions extrajudiciaires de militaires et la liquidation ciblée de dirigeants politiques toutes tendances confondues, tendaient à démontrer la force de Tsahal et sa capacité à intervenir partout, à n'importe quel moment en vue de dissuader toute action de résistance palestinienne. La propagande psychologique y étant de la partie, insistant sur l'isolement de la cause palestinienne sur la scène mondiale, Etats arabes et communauté internationale se montrant peu pressés à leur venir en aide, tandis que les plus grandes puissances, l'administration Obama en tête, couvrent de leur parapluie, jusque dans l'enceinte de l'ONU, toutes les initiatives d'Israël. Ainsi, après avoir entrepris la dislocation de toute résistance palestinienne organisée et destruction concomitante des foyers et camps de regroupements familiaux palestiniens, sous le prétexte fallacieux des inévitables dommages collatéraux, le maître d'exécution Netanyahu et avant lui le sinistre Sharon, en est venu à la phase politique du plan poursuivi. Baruch Kimmerling évoquant le caractère pragmatique des visées des faucons de l'Etat sioniste, observe que ce dernier «(...) sait que les normes internationales ne lui permettront de faire accepter ni un nettoyage ethnique à grande échelle ni la transformation de la Jordanie en Etat palestinien, son approche initiale. C'est pourquoi il a engagé la construction du mur...». L'objectif poursuivi, toujours selon B. Kimmerling, tendrait de «(...) permettre de créer en Cisjordanie un secteur contigu, séparé d'Israël et des colonies juives par le mur en construction», de la sorte, poursuit le sociologue, «L'«Etat palestinien» comprendrait quatre ou cinq enclaves autour des villes de Ghaza, Jénine, Naplouse et Hébron. Et le plan destiné à relier celles-ci par des tunnels et des ponts - afin que les Palestiniens ne passent pas par les check- points, implique une forte présence israélienne dans la plupart des autres secteurs de Cisjordanie. A l'instar de la bande de Ghaza, où Israël (...) continuerait à contrôler les frontières terrestres et maritimes ainsi que l'espace aérien (4). Comme l'a clarifié Baruch Kimmerling qui compte parmi les rares démocrates authentiques israéliens, les militaristes sionistes tendent, avec l'érection du mur délimitant une zone palestinienne refoulée, croupion, à nier toute entité palestinienne avec ses représentations officielles autonomes en dépit de nombre d'accords intervenus à Oslo, Genève, Madrid, Taba, Annapolis, etc. Alternatives qui présentaient, pourtant, des occasions concrètes ouvrant la voie vers la paix israélo-palestinienne et que les médias internationaux ont, un moment, caressé l'espoir de cette «paix des braves» évoquée, ou de «la terre en contrepartie de la paix», muée en «la paix en contrepartie de la sécurité», pour finalement se réduire, à ce que le journaliste Marwan Bishara a qualifié de «paix des puissants et des imprudents» ! Pratiquement tous les accords de transition signés par les Palestiniens, bien qu'internationalement célébrés, ont tous entraîné une réduction de leur territoire et de leur liberté. Cet équilibre précaire sert naturellement de poudre aux yeux devant l'opinion publique internationale, savamment «maintenue en laisse» par la propagande sioniste de « l'assimilation de toute critique d'Israël à de l'antisémitisme tout court», oubliant que les Palestiniens sont également des Sémites et que leur agression participe également de l'atteinte antisémite ! Mais comme l'Etat hébreu est fréquemment présenté comme la base d'avant-garde de l'Occident face à des résistants palestiniens désunis, assimilés à des terroristes par la savante propagande pro-sioniste menaçant de taxer d'antisémite toute voix indignée – dusse-t-elle être celle d'un juif (juste) comme cela a été le cas de l'honorable anticolonialiste Edgar Morin - on comprend dès lors ce qui favorise le silence international devant la recrudescence des violences récurrentes entre occupant et occupé. Et pendant ce temps, c'est la tuerie à huis clos de la population de Ghaza livrée aux fréquents bombardements de l'aviation israélienne et incessantes incursions de patrouilles causant d'innombrables victimes parmi la population civile palestinienne, jusqu'aux bébés calcinés dans leurs berceaux. La violence quelle qu'elle soit et d'où qu'elle soit est condamnable et il n'y a que l'alternative de la négociation de la paix raisonnable pour éloigner les démons de l'Hadès qui planent continuellement sur les deux peuples palestino-israélien tant que les faucons persistent à substituer à la logique de la paix, celle de la guerre destructrice et ravageuse, avec son effet boomerang imprévisible. Le refus d'application des accords de toutes occasions de paix, c'est de toute évidence ce qui entretient cette violence persistante au Moyen-Orient, et c'est ce qui a entraîné aussi, cette insécurité intranationale à la fois du côté hégémonique, Israël, et du côté du plus faible, les Palestiniens. Le refus des possibilités offertes de paix ne sont pas, dès lors, sans dissimuler de sournois desseins, avec le flanc prêté à la culture extrémiste de la violence pour dégager le terrain, favorisant de plus en plus les implantations de colons, au mépris des recommandations pacifistes internationales parafées, quitte à armer les civils conquérants et appuyer les expropriations de terres et évacuations de leurs propriétaires légitimes. Ce qui s'appelle, «semer les graines de la violence incessante» avec les inattendus retournements de manivelle au cours de l'évolution du temps. La violence appelle la violence... Une donnée à méditer dont a fait part le journaliste Marwan Bishara : «C'est le massacre du 25 février 1994 à Hébron, au cours duquel le colon extrémiste Baruch Goldstein tua vingt-neuf Palestiniens et en blessa cent vingt-neuf, qui poussa le Hamas à commettre de nombreux attentats suicides, déstabilisant l'autorité de Yasser Arafat comme celle d'Itzhak Rabin», ajoutant «(...) Dans leur livre Lords of the Lands (5) démontrent le lien entre actions israéliennes et réactions palestiniennes. Contrairement à l'idée reçue, la plupart des attentats suicides ripostaient en effet à des assassinats commis par l'armée, souvent dans des périodes où les Palestiniens semblaient baisser les bras ou bien respectaient une retenue qu'ils s'étaient eux-mêmes imposée. Par exemple, le 31 juillet 2001, c'est l'exécution de deux dirigeants de Hamas de Naplouse qui met fin à un cessez-le feu décrété par le mouvement près de deux mois auparavant et conduit au terrible attentat du 9 août contre une pizzeria de Jérusalem (quinze morts). De même, le 23 juillet 2002, un bombardement sur un quartier surpeuplé de Ghaza tue un leader du Hamas, Salah Shéhadé, et avec quinze civils dont onze enfants et ce, quelques heures avant une trêve unilatérale annoncée, suit un attentat suicide, le 4 août. Enfin, le 10 juin 2003, un des principaux responsables du Hamas, Abdelaziz Al-Rantissi est blessé lors d'une tentative d'assassinat qui a coûté la vie à quatre civils palestiniens, et entraîné l'attentat contre un bus de Jérusalem, lequel fit seize morts (Al-Rantissi sera finalement tué en avril 2004)»(6). Auteur-journaliste indépendant (Suivra)