Le roman algérien comme partout ailleurs, est le fruit d'un travail d'exploration d'un espace marqué par une longue histoire, une diversité linguistique, des vestiges anciens, un djihad post-indépendance. Un écrivain ou un journaliste de talent est supposé avoir une hauteur de vues qui lui assure une meilleure considération des siens qui attendent de lui des idées pour mieux s'orienter, une argumentation convaincante sur les problèmes de la vie, des éclaircissements sur l'actualité. En tant qu'intellectuel et gardien des lieux, il bénéficie d'un statut de privilégié. Mais que d'hommes et de femmes de plume ont été rappelés à l'ordre ou accusés de subversion. «La parole est ce qu'il y a de meilleur et de pire», citation émanant d'Esope (IVe siècle avant l'ère chrétienne), toujours aussi vraie aujourd'hui que de son temps. Elle s'applique parfaitement aux romanciers reconnus pour leur franc-parler. Un témoin du réel et un défenseur des lieux de mémoire Lorsque le terrain est dangereusement agité, il devient intéressant pour le romancier de s'inspirer des conflits idéologiques, en vue de son engagement corps et âme, mais à ses risques et périls. Tahar Djaout l'a bien payé de sa vie comme tous les journalistes qui ont bravé le danger en osant par l'écriture, durant les années noires, dire tout haut ce qu'il fallait dire au nom des débats d'idées. «Je me définis comme un guetteur, dit Mimouni en 1993, celui qui s'astreint à rester en permanence sur le doute, comme sentinelle, celui qui doit être le premier à donner l'alarme en dénonçant ce qu'encourt le pays». Ce qui explique les qualificatifs choisis pour désigner l'écrivain en général, le romancier en particulier par rapport à sa fonction au sein d'un peuple : leader d'opinion, éveilleur de conscience, défenseur des causes justes, conscience du monde. L'homme ou la femme de plume est supposé être d'un niveau de compétence d'expression assez élevé pour avoir un impact décisif sur le public. Et comme ils maîtrisent l'art de critiquer à bon escient les agissements de tous ceux qui vont à contre courant du progrès, ils sont montrés du doigt. Que d'hommes et de femmes ont payé de leur vie leur engagement pour un monde meilleur. Leur action est pourtant un devoir face à l'histoire qui les inscrit, non pas comme des traîtres, mais comme des héros nationaux. Un jour, ils finiront par être reconnus pour leur participation courageuse à la constitution de la mémoire historique. Ça sera le cas pour Assia Djebbar, Tahar Djaout, Anouar Benmalek, Latifa Benmansour, Amir Zaoui et la liste est longue, on s'excuse auprès de ceux dont les noms n'ont pas été cités alors qu'ils ont beaucoup de mérite. Pour une littérature de la démonstration Si le mot démonstration n'est pas courant dans ce domaine, il a une place à part entière tant il s'agit bien de cela de notre temps où les lecteurs ou récepteurs de discours romanesques sont devenus imprévisibles et peuvent faire courir le risque de recevoir des tuiles sur la tête pour avoir osé lier la littérature, à l'histoire et à la politique. Dans un roman, il y a un décor inspiré du réel comme les personnages qui peuvent être présentés comme des acteurs méconnaissables alors qu'ils ont été des agitateurs du vécu collectif, faisant de l'œuvre romanesque un lieu de rencontre du réel et du fictionnel où se mêlent la mémoire individuelle, la mémoire collective, des évènements historiques. Pour l'écrivain de talent, l'espace d'expression qui se situe quelque part en Algérie, peut être présenté sous des registres différents : projection dans l'avenir, historique, réaliste, pourquoi pas par alternance, les trois formes dans un processus judicieux. L'homme ou la femme est toujours quelqu'un qui se laisse guider par l'objectivité et la subjectivité. Mais dans un pays qui a trop souffert des erreurs au point d'être basculé dans l'incertitude du lendemain, les écrivains ont le devoir d'écrire des romans historiques qui mettent en garde sur les dangers des aventures périlleuses. Il faut savoir être objectif, faire rêver pour un monde meilleur, inciter à un effort intellectuel qui cultive les meilleurs sentiments humains qui, s'ils sont admis par la majorité et peuvent remettre le pays sur les rails pour le bonheur de tous.