On dit que l'islamisme est vaincu politiquement et militairement. Il serait donc éradiqué sur le plan idéologique et il aurait abandonné toute volonté de reprendre la pratique de la violence armée. La seconde dépend de la première. Ce ne sont pas les hommes qu'il faudrait éradiquer, mais les idéologies construites sur la base de l'usage des interprétations unilatérales. Quand on considère que le terrorisme est transfrontalier, à quoi et/ou à qui pensons-nous ? Aux terroristes en tant qu'hommes ? Aux idées et fatwas ? Pour le moment, pratiquement tout le monde, du moins ceux qu'on entend parce qu'ils s'expriment ? Quand bien même que l'on puisse admettre que les contextes sont nouveaux et donc différents, que les enjeux de pouvoir et d'intérêts n'ont plus besoin d'idéologies construites sur les religions, il faudrait tout de même ne pas renoncer à se poser la question de savoir s'il est possible d'évaluer à quelle source devons-nous tant de nuisance. En Egypte et dans les pays arabes, les Républiques plus particulièrement, l'islamisme se retourne vers les décideurs arabes. «Vous nous avez fait faire les premiers pas, grandis, fortifiés pour nous opposer à la gauche, pour nous opposer à tous vos opposants, et maintenant que vos opposants ne peuvent plus vous inquiéter, vous avez fait de nous vos ennemis.» Quoi répondre et qui soit logique ? L'islamisme a commencé «petit» puis a été toléré, puis encouragé, car instrumentalisé par les différents pouvoirs successifs au nom d'enjeux de pouvoir, toujours d'enjeux de pouvoir, avant que ces derniers ne s'aperçoivent qu'ils ont perdu tout contrôle sur ce qui n'est plus un phénomène, mais sur ce qui est devenu plutôt une réalité. Tenter de résoudre le problème de ce qui est devenu une réalité sociale exclusivement par l'instrument militaire ne comporte visiblement pas les éléments d'un succès qui soit en conformité avec l'objectif. Une réalité ? Quelles réponses à donner aux quelques questions suivantes ? Pourquoi dans tous les pays arabes, n'émerge-t-il de façon hégémonique que l'islamisme politique dans toutes ses composantes lorsque les élections sont libres ? Pourquoi les dites «révolutions» qui ne sont jamais initiées par les islamistes sont toujours récupérées par ces derniers ? C'est également le cas en Algérie avec «la révolution d'octobre 88». Pourquoi les insurrections contre les gouvernants en place amènent-ils l'élargissement des islamistes nationalistes ou «oummistes», et leur rapide montée en puissance dans la conduite des «combats» ? Pourquoi dans les guerres civiles, c'est l'intervention de l'armée qui empêche l'effondrement des pouvoirs visibles en place en faveur des islamistes ? Il serait incorrect de parler d'effondrement des institutions, car si celles-ci existaient, il n'y aurait pas d'insurrection ni de guerre civile. L'accès au pouvoir se serait fait sur la base de la citoyenneté et non de l'appartenance à une communauté, à l'ethnie, à la religion. Quand bien même qu'il y en ait qui voudraient faire accréditer la thèse que le terrorisme est un phénomène, il faudrait tenir compte que son caractère durable et proliférant en fait pratiquement une réalité qu'on redoute de qualifier de sociale, car malheureusement les officiels qui affirment sans cesse que le terrorisme est un phénomène étranger à notre société n'apportent rien de positif sur sa connaissance, à part qu'ils incitent à faire l'économie de son étude. Ceux-là se placent dans la ligne de ceux qui, au dernier séminaire sur la pensée islamique tenu en mai 90 à l'hôtel El-Aurassi, avaient condamné à mort les sciences sociales pour la raison qu'elles utilisent les instruments d'analyse occidentaux pour expliquer l'islam et les musulmans.