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L'Occident face à l'extrémisme religieux : conte d'une folie ordinaire
Publié dans La Nouvelle République le 07 - 12 - 2015

Texte de l'intervention de l'auteur au Colloque de l'Institut scandinave des droits de l'Homme sur le thème : «Le radicalisme religieux au Moyen- Orient : le droit à la connaissance et la liberté de croyance.»
La politique est la résultante de l'interaction des faits et des hommes ; des faits objectifs et des hommes, conditionnés par leur environnement. La religion est un fait prégnant de la zone du Moyen-Orient, berceau des trois monothéismes, un cas unique dans le monde en ce que les trois grandes religions monothéistes ressortissent des religions d'Asie. Espace de communion et d'exclusion, la religion est un espace concurrentiel (1). L'instrumentalisation de la religion à des fins politiques est une constante de l'histoire. Toutes les religions y ont eu recours, dans toutes leurs déclinaisons, que cela soit la guerre de conquête de la chrétienté en Amérique latine ou les Croisades vers le Monde arabe, ou bien à l'inverse, la conquête arabe vers l'Asie, vers la rive méridionale de la Méditerranée ou l'Afrique. Guerre de religion au sein de l'espace occidental de la chrétienté (entre Protestants et Catholiques en France ou en Irlande du Nord), ou guerre de religion au sein de l'espace musulman (entre Sunnites et Chiites), ou enfin le sionisme, la forme la plus moderne de l'instrumentalisation de la Bible à des fins politiques par la mise en œuvre de la notion du retour à Sion, sur les débris de la Palestine. La religion n'est pas condamnable en soi Ses dérives si en ce que la piété n'exclut ni l'intelligence, ni le libre arbitre. Elle n'interdit pas l'esprit critique. Elle ne saurait, en tout état de cause, se dévoyer dans des causes desservant l'intérêt national. Mais nul part ailleurs qu'au sein du leadership sunnite arabe, l'instrumentalisation de la religion n'a autant dévié de son objectif, desservant la cause arabe, au bénéfice de ses commanditaires, les Etats-Unis, le meilleur allié de leur principal ennemi, Israël. L'islam, une religion de dimension planétaire, le monde musulman, un déploiement de portée stratégique L'Islam se présente comme une communauté humaine cimentée par une langue commune de prière (l'arabe), une continuité territoriale rarissime à l'articulation des grandes voies de navigation transocéanique à proximité des grands gisements énergétiques de la planète. Avec près de 1,5 milliard de croyants, l'Islam est une religion de dimension planétaire, dont le déploiement est de portée stratégique. S'étendant sur cinq continents, groupant 55 pays membres de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), le Monde musulman se situe à l'intersection du Monde européen et du Monde indien. Renfermant les 2/3 des ressources énergétiques, il contrôle quatre des principales voies de navigations transocéaniques (Détroit de Gibraltar, Canal de Suez, Détroit d'Ormuz), avec en prime le Détroit des Dardanelles. Je dis, ramenez Jimmy Carter. L'homme est moral et intelligent. Il est un million de fois mieux que tout candidat dans la course à la présidentielle. À 90 ans dans une guerre perdue contre le cancer, Jimmy Carter est notre meilleur pari. La créance du monde musulman à l'égard de l'Occident Partenaire majeur de l'Alliance atlantique durant la guerre froide soviéto-américaine, le Monde musulman dispose d'une dette d'honneur à l'égard de l'Occident, avec la Turquie en sentinelle avancée de l'Otan sur le flanc sud de l'URSS, amplifiée par la participation de 50 000 arabo-afghans à la guerre contre l'armée rouge en Afghanistan, avec en surplus la participation de près de 2 millions d'arabo-africains aux deux guerres mondiales contre l'Allemagne. Mais, paradoxalement, en dépit de cette contribution, unique dans l'histoire, l'Islam et les Musulmans constituent une thématique majeure de la polémologie contemporaine, désormais promus au rôle d'épouvantail dans la production intellectuelle occidentale, alors que les pays musulmans sont les grands perdants de la coopération islamo-occidentale. La Turquie ne dispose même pas d'un strapontin au sein de l'Union européenne et pas une parcelle de la Palestine n'a été restituée aux Palestiniens, alors que parallèlement, l'opération française Serval au Mali, en janvier 2013, pour neutraliser le groupement Ansar Eddine du Qatar, de même que l'opération Sangaris en RCA, ont affranchi la France de sa dette à l'égard des troupes d'outremer. En surplomb, les suppliques du Mufti de l'Otan Youssef Qaradawi, pour bombarder des pays arabes (Libye, Syrie), ont libéré les anciennes puissances coloniales occidentales de leur dette à l'égard des Arabes et des Musulmans. lll L'Occident, artisan de l'instrumentalisation de la religion comme arme politique : les précédents du Pakistan et d'Israël 1948 constitue à cet égard une date charnière avec le démembrement de l'Inde et la création du Pakistan, selon un critère religieux, corrélativement à la création d'Israël, selon le même critère religieux. Pour le sionisme la colonisation de la Palestine a théorisé, par ricochet, une idéologie de la discrimination, justifiant a posteriori l'antisémitisme en ce qu'elle établit dans les faits une ségrégation entre Juifs et non Juifs. Le Pakistan : dividende des Etats Unis à l'Arabie saoudite pour sa conclusion du Pacte de Quincy (1945) fondant le partenariat stratégique entre la grande démocratie américaine et le régime le plus obscurantisme de la planète. Israël : Le solde de tout compte de l'Occident du génocide hitlérien, par la sous traitance aux pays arabes de l'antisémitisme récurrent de la société occidentale. Une compensation sur bien d'autrui, génératrice d'une perversion triangulaire dont les effets se font sentir encore de nous jours. 67 ans après sa création, l'Etat hébreu se réduit à cette équation : un ghetto dans son environnement régional, l'Apartheid à l'égard des ses propres spoliés palestiniens, dans la pure tradition coloniale (2). Pakistan et Israël ont signé l'entrée en force du religieux dans le politique, particulièrement dans le champ islamique dont son instrumentalisation la plus achevée connaîtra sa concrétisation, 32 ans plus tard, d'abord avec la guerre anti soviétique d'Afghanistan. Elle prendra ensuite la forme de parrainage d'oppositions off-shore par le Qatar, la Turquie et l'Arabie saoudite en Libye et en Syrie, en 2011, prélude à la mise sur pied d'une alliance régionale et internationale « Des amis de la Syrie ». Pour déboucher, enfin, une nouvelle alliance internationale et régionale « Contre le terrorisme » avec les dérives sanguinaires de Jabhat an Nosra et Daech, sous-tendant une guerre frontale contre les déclinaisons du concept de nation, nationalité, concitoyenneté et nationalisme arabe revendicateur et contestataire de l'hégémonie israélo-américaine ; une guerre contre les armées nationales arabes, concédant à l'hégémonie israélo-américaine sur la zone ce que ce duo n'a pu assurer ni par la paix ni par la guerre. Les prédicateurs électroniques Au plus fort de la rivalité soviéto-américaine, les Américains ont déployé une vingtaine de grandes corporations radiophoniques religieuses disposant de moyens financiers et techniques sans équivalent dans les deux tiers des pays de la planète (Trans World Radio (TWR), suivie d'Adventiste World Radio (AWR), Feba Radio, Ibra Radio, WYFR-Family Radio, Monitor Radio et Nexus IBD) en vue de prêcher la bonne parole atlantiste. Ces prédicateurs électroniques ont nourri une prédilection particulière pour les foyers de tension (Sud du Liban, Sud du Soudan) et les minorités ethnico-religieuses des pays fragilisés par les dissensions intestines (Arméniens, Kurdes, Berbères) et, depuis l'invasion de l'Irak, en 2003, pour le nord kurdophone irakien. Ibra Radio (International Broadcasting Radio) a animé au Moyen-Orient vers le Sud du Liban et la zone frontalière libano-israélienne une antenne locale onde courte pour les émissions de la station High Adventure Sud du Soudan, peuplé de Chrétiens et d'animistes en rébellion contre le gouvernement islamique de Khartoum, a été alimenté par les programmes de « Radio Elwa », dirigée depuis Monrovia (Liberia) par des missionnaires anglo-saxons. Toutefois par son ampleur et ses capacités, Trans World radio (TWR) constitue la première radio planétaire trans frontière de surcroît religieuse. En comparaison, The Friend of Israël Gospel Ministry, Eglise baptiste des Etats-Unis, diffuse des émissions en faveur d'Israël sur 700 stations américaines et publie la revue Israël My Glory dans 151 pays, collectant, rien qu'en 2005, des dons d'un montant de 8,5 millions de dollars en faveur de l'Etat hébreu. L'islam contre le nationalisme arabe : l'incendie de La Mosquée Al Aqsa, acte de naissance de l'islamisme politique L'incendie de la Mosquée Al Aqsa, troisième haut Lieu saint de l'Islam, le 21 août 1969, apparaît rétrospectivement comme l'acte de naissance de l'islamisme politique, une date fondatrice de l'histoire de la sphère arabo-musulmane, devenu au fil des jours un des défis majeurs de l'histoire contemporaine. Au départ, cela devait être l'arme absolue, à double détente, à l'effet, d'une part, de marginaliser, puis de neutraliser le nationalisme arabe ainsi que son chef charismatique, Gamal Abdel Nasser, déstabilisé par la défaite de 1967, servir, d'autre part, de levier au combat anti-communiste, sous couvert de la lutte contre l'athéisme, au plus fort de la guerre froide soviéto-américaine. Mais 45 ans après sa mise en œuvre à l'occasion de l'incendie d'Al-Aqsa, dont la commémoration est célébrée dans une indifférence quasi-générale qui frise l'oubli, l'islamisme politique, c'est à dire l'instrumentalisation de la religion musulmane en tant qu'arme de guerre contre les ennemis de l'Amérique et des pétromonarchies du Golfe, paraît, à en juger par son bilan, s'être retourné contre ses promoteurs, tel un magistral effet de boomerang. Le Forum islamique de Rabat qui avait regroupé alors 35 pays devenus depuis 55, débouche sur une mutation sémantique qui masque un réel bouleversement géostratégique. Le mot d'ordre d'unité arabe, moteur de la revendication nationaliste pendant un quart de siècle, cède le pas à la solidarité islamique et, au niveau politique, Nasser, qui succombera un an
plus tard de crise cardiaque, cède la prééminence au gardien des Lieux Saints de l'Islam, le Roi Faysal d'Arabie saoudite. Sous couvert de solidarité islamique, un basculement s'opère. Le centre de gravité du Monde arabe se déplace vers le Golfe, des Républiques pro-soviétiques vers les pétromonarchies pro-américaines, des zones de pénurie contestataires de la Méditerranée vers les zones de prospérité léthargique du Golfe désertique, accentuant les clivages et la rivalité entre les deux versants du monde arabe désormais dilué dans un ensemble plus vaste solidement encadré, face à Israël, par l'Islam asiatique, supérieur numériquement aux musulmans arabes et constitué des puissances militaires régionales musulmanes non arabes (Pakistan, Turquie, Iran). La nomination d'un asiatique, le Tunku Abdul Rahman, ancien premier ministre de Malaisie, au poste de premier secrétaire général de la Conférence islamique entérine cette évolution. L'Europe, base arrière des djihadistes arabo-afghans Dans les pays occidentaux, le bloc atlantiste a instrumentalisé l'Islam comme frein à l'adhésion des jeunes générations issues de l'immigration aux structures contestataires de l'ordre capitaliste (partis communistes, syndicats) partant du faux principe autocratique que l'Islam remplit une fonction d'obéissance collective au Prince qu'il soit juste ou injuste, oubliant surtout que le donneur d'ordre des prédicateurs de l'Islam européen était formaté dans le moule wahhabite. De surcroît, l'Islam, pour leur clientèle pétro-monarchique et les autocraties pro occidentales, faisait office de repoussoir au modèle démocratique en même temps qu'un pourvoyeur d'une rente sécuritaire. Sous l'aile protectrice américaine, avec le consentement des pays européens, l'Arabie saoudite a ainsi déployé la plus grande ONG caritative du monde à des fins prosélytes à la conquête de nouvelles terres de mission, dans la décennie 1970-1980, particulièrement l'Europe, à la faveur du boom pétrolier et de la guerre d'Afghanistan. Pour une poignée de dollars, l'Europe deviendra la principale plate-forme de l'Empire médiatique saoudien, le principal refuge des dirigeants islamistes, réussissant même le tour de force d'abriter davantage de dirigeants islamistes que l'ensemble des pays arabes réunis. A – L'Europe, refuge d'Ayman Al-Zawahiri, l'actuel n° 1 d'Al-Qaïda Soixante dirigeants islamistes résidaient en Europe occidentale depuis la guerre anti -soviétique d'Afghanistan, dans la décennie 1980, où les djihadistes étaient gratifiés du titre de « combattants de la liberté » par le fourbe du Panshir, Bernard Henry Lévy, l'interlocuteur virtuel du Lion du Panshir, le commandant Massoud Shah. Quinze d'entre eux disposaient du statut de « réfugié politique », dans la plupart des pays européens, Royaume Uni, Allemagne, Suisse, Norvège, Danemark. B – Londres, capitale mondiale de l'islam contestataire et plate-forme du déploiement médiatique international saoudien Londres comptait parmi ses hôtes les principaux opposants islamistes tels que : 1.le Tunisien Rached Ghannouchi (An Nahda) 2.L'Algérien Kamar Eddine Katbane (vice-président du comité du FIS algérien (Front Islamique du Salut) 3.Le Soudanais Moubarak Fadel Al-Mahdi 4.Le pakistanais Attaf Hussein (chef du parti d'opposition Muhajir Qawmi Movement (MQM) 5.L'Egyptien Adel Abdel Majid 6.Brahim Mansour, adjoint au guide suprême des Frères Musulmans 7.Ali Sadreddine Bayanouni, contrôleur général des Frères musulmans de Syrie 8.Azzam At Tamimi, membre du commandement de l'ombre du Hamas, la branche palestinienne de la confrérie 9.Abou Moussa'b as Soury (Moustapahe Abdel kader Stt Mzriam), théoricien des « loups solitaires » 10.Abou Hamza Al Masri (Moustapha Kamal Moustapha) 11.Abou Qtada Al falastini (Omar Mohamad Osmane) 12.Abou Farès, nom de guerre de l'algérien Farouk Daniche ainsi que brièvement le plus illustre d'entre eux Oussama ben Laden, le fondateur d'Al Qaida. Londres abritait en outre la rédaction de la revue « Al Ansar », périodique djihadiste salafiste, édité dans la capitale britannique avec une domiciliation en Suède chez Abdel Karim Danich, bénéficiant du titre de réfugié politique. Elle était en outre la plate-forme stratégique du déploiement médiatique international du Royaume Wahhabite qui y avait entreposé l'essentiel de sa force de frappe : Une chaîne transfrontalière MBC (Middle East Broadcasting Center), deux radios à diffusion transcontinentale MBC FM et la radio communautaire britannique Spectrum, ainsi que cinq publications dont deux fleurons de la presse arabe « Al Hayat» et « Al Charq Al Awsat ». Pour aller plus loin sur ce sujet CF à ce propos, http://www.renenaba.com/la-fabrication-de-la-violence-et-du-sectarisme-dans-les-medias/ C- La ventilation des autres réfugiés politiques célèbres L'Allemagne a figuré en deuxième position, avec deux exilés de marque : Issam Al Attar, chef des Frères Musulmans de Syrie, et Saïd Ramadan, gendre d'Hassan Al Banna, le fondateur de la confrérie. Exilé à Aix la Chapelle, Issam Al Attar, un homme d'une grande culture religieuse, exerçait son magistère européen depuis la « Maison de l'islam » de Francfort, en liaison avec le Centre Islamique de Genève. Représentante de la grande bourgeoise syrienne au sein du pouvoir baasiste, sa propre sœur, Najah Al Attar, a occupé pendant 32 ans le poste de ministre de la culture, avant d'être promue vice-présidente de la République syrienne à l'occasion de la dernière élection présidentielle, en juin 2014. Quant à Saïd Ramadan, en précurseur, il avait fondé, en 1961, avec le soutien du futur Roi Faysal d'Arabie, le « Centre Islamique de Genève » et pris la tête d'un organisme islamique de Munich : Le « Islmische Gemeinschaft in Deutscland » chargé de recycler les transfuges musulmans de l'Armée rouge. Sous sa férule, ses partisans ont joué un rôle important dans la fondation en 1962 de la Ligue islamique mondiale, la structure parallèle à fondement religieux mise sur pied par l'Arabie saoudite pour contrecarrer l'influence de la diplomatie nassérienne, de même que l'influence du magistère d'Al Alzhar», la plus prestigieuse université islamique au Monde. À lire la liste des hôtes de marque de l'Europe, la « guerre contre le terrorisme » paraît risible ; indice de la duplicité de la diplomatie occidentale tant vis-à-vis de l'opinion occidentale que vis à-vis du Monde arabe. Parmi les célèbres réfugiés politiques figuraient : 1.Aymane Al-Zawahiri, le successeur d'Oussama Ben Laden à la tête d'Al Qaida. A l'époque, il exerçait les fonctions de « Commandeur des groupements islamistes en Europe » et résidait en Suisse. 2.Talaat Fouad Kassem, porte-parole de mouvements islamistes en Europe, bénéficiaire de l'asile politique au Danemark. Condamné à 7 ans de prison au moment de l'assassinat de Sadate, il a été le premier à rejoindre les rangs des combattants islamistes afghans où il s'est distingué au sein des escadrons de la mort dans des opérations de guérilla anti-soviétique. 3.Mohamad Chawki Al-Islambouli, frère du meurtrier de Sadate, Khaled Al-Islambouli. Innocenté lors du procès de l'assassinat de l'ancien chef de l'Etat égyptien, il a rallié les rangs des combattants anti-israéliens au sud-Liban avant de se rendre à Peshawar. Résidant à Kaboul, Chawi Al-Islambouli a été condamné par contumace dans le procès des « égypto-afghans ». René Naba, le 5 novembre 2015 (Suivra)


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