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L'écho est arrivé jusque dans les ghettos de Manhattan
Publié dans La Nouvelle République le 07 - 12 - 2015

Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une grande étape de la Révolution algérienne, dont l'impact médiatique et les réactions diplomatiques ont conduit à l'ouverture des négociations officielles entre le GPRA et le gouvernement français.
L'Algérie étant devenue un vaste champ de bataille, l'odeur de la poudre était dans toutes les narines. Les morts, les blessés et les disparus ne pouvaient plus être comptés. Presque toutes les familles indigènes, comme elles étaient désignées, avaient quelqu'un, si ce n'étaient quelques-uns de leurs membres à être touchés et broyés par cette machine de guerre. Il n'en fallait pas plus aux jeunes de ces nombreuses familles pour pencher vers la cause nationale et désirer venger les leurs en intégrant les rangs des combattants de la libération. D'autant plus que le djihad est un devoir religieux auquel étaient soumis les musulmans. Cette révolution était arrivée à engendrer sa propre dynamique dont l'énergique rotation était à son rythme de croisière, dont le déclenchement des manifestations de décembre 1960 ne pouvait la mener qu'à bon port. Et ce sera le cas qui va s'avérer dans quelques mois. Le désir de vengeance aidant, ces jeunes ne rêvaient que d'en découdre avec ces soldats français qui les prenaient pour des moins que rien. Même les gamins étaient dans la désobéissance civile et avaient leur code de conduite face aux soldats de l'armée française : A) Si les soldats demandent ou il y a des Fatma, leur cracher au visage, et dire : «Il n'y a pas de Fatma ici.» B) Si les soldats envoient acheter quelque chose : «Fuir avec l'argent.» C) S'ils demandent des renseignements : «On ne sait rien.» D) Si l'on peut crever les pneus des voitures militaires «le faire». Ecrire sur les murs des slogans favorables à l'indépendance. Cet abécédaire du petit combattant était connu de la plupart des gamins à qui il n'en fallait pas plus pour que les plus courageux osent chaparder des chargeurs et des grenades et parfois des armes laissées par inadvertance sur le siège d'une Jeep à portée de main de ces enfants de la guerre. Le plus étonnant est que l'on n'a jamais su qui avait donné à ces gamins pareilles instructions ni comment ils ont fait pour savoir à qui ils devaient remettre les munitions et parfois les armes qu'ils avaient dérobées aux soldats négligents ou ce qu'ils devaient écrire sur les murs. Il va de soi que parmi les adultes qui observent les jeunes de leurs quartiers, il se trouve toujours un homme du FLN chargé du recrutement, et qui remarquant parmi les gamins le plus dynamique et le plus dégourdi, l'approchait. Petit à petit, il fallait gagner sa confiance jusqu'à l'intégrer dans l'organisation pour en faire un guetteur, un messager, un agent du renseignement Après plusieurs mises à l'épreuve, il pouvait devenir un transporteur d'armes et un guetteur durant les actions armées. Le gamin devenait un homme et un militant à part entière, prêt aux tâches plus importantes. C'est là un véritable parcours du combattant qui faisant de ces gamins de futurs fidaï. Les fidayîn sont les membres des groupes de choc chargés des missions dangereuses et principalement des exécutions physiques. Une fois leurs nuisances décelées et qu'ils étaient identifiés par l'ennemi ces fidayîn rejoignaient les combattants de l'ALN dans les maquis. Ce qui dans tous les cas, aller faire d'eux soit des vaillants combattants soit des chouhadas. Les jeunes étaient politisés très tôt. Ayant autour d'eux et dans leurs propres familles la vision des méfaits de l'armée coloniale, il ne leur en fallait pas plus pour vouloir aller au combat. Pour eux, seul le temps était plus fort qu'eux car il leur imposait l'attente avant de grandir pour pouvoir passer à l'action armée et avec un petit peu de «malchance, qui, (pour eux) devenait de la chance à l'état pur» aboutir au maquis et avoir le suprême honneur d'intégrer l'ALN pour être un combattant du peuple et être un moudjahid. C'était le rêve, le souhait et l'espoir de tout un chacun. Tel était l'état mental et physique des gamins de cette époque de lutte de libération algérienne contre l'occupation française. Les plus intelligents devaient grandir et s'élever au niveau des événements pour faire partie des hommes extraordinaires, les seuls sélectionnés pour servir le peuple et le pays comme s'ils en étaient « les authentiques et privilégiés propriétaires ». C'est durant ces manifestations, en effet, que le peuple a vu au grand jour les fidaï du FLN/ALN pour la première fois en armes et circulant dans les rues encadrant cette historique manifestation populaire, qui a donné un second souffle à la révolution algérienne. C'est ainsi qu'il en fut en ce glorieux Clos Salembier où, comme partout dans la capitale, le peuple dans son ensemble, baignait dans une forêt de drapeaux vert et blanc et prenait le grand tournant de l'indépendance, et ce durant les manifestations des 10, 11 et 12 décembre 1960. Même les femmes qui, traditionnellement, se voilaient pour se cacher à la vue des hommes, sortirent manifester ouvertement leurs exigences de liberté, de souveraineté et d'indépendance pour leurs pays, l'Algérie. Elles sortirent à découvert, sans haïk et sans voile, pour crier au monde entier : «Non à la colonisation, non à l'Algérie française, vive l'Algérie libre et indépendante.» Ces hommes, femmes et enfants sortirent dans les rues pour affronter les forces étrangères dans une manifestation grandiose, digne de celle du 8 mai 1945. Et puis, ce fut la rencontre historique du peuple algérien authentique avec lui-même. Ce sera alors le bras de fer entre le juste et l'injuste. C'est dans un élan que ce peuple étouffé décida de la confrontation du 11 décembre 1960 pour l'Algérie une et indivisible et dont les échos se répercutèrent jusque dans les ghettos de Manhattan aux Etats-Unis. Cependant qu'en est-il « au plan officiel de la politique française ? ». Depuis le discours de de Gaulle sur l'autodétermination, les dirigeants algériens ont noté «l‘accroissement de l'effort de guerre des militaires français» dont le but proclamé est de « gagner la guerre ». Le général de Gaulle a confirmé ce qui n'a cessé d'être dit depuis qu'il a prononcé du bout des lèvres et sans conviction le mot « autodétermination ». « Sa seule politique en Algérie est d'abord la poursuite de la guerre en vue de la destruction des structures de l'organisation et de l'extermination de l'Armée de libération nationale du peuple algérien. Le principal instrument de sa politique est le corps expéditionnaire français en Algérie qui a pour mission de perpétuer la domination coloniale à travers un statut unilatéralement décidé par la France. Quant aux ultras de la colonisation, ils ont décidé qu'il était temps pour eux d'agir résolument contre l'homme en qui ils avaient mis tous leurs espoirs et qui, proclament-ils, les a trahis pour incarner désormais la politique d'abandon. A la veille de Melun, en juin 1960, ils ont mis sur pied le Front de l'Algérie française (FAF) un mouvement qui rassemble (prétendaient-ils), plus d'un million de membres dont 120 000 Français musulmans. Quoi qu'il en soit, leur force réelle est ailleurs. Elle est dans les multiples complicités et alliances qu'ils ont eues dans l'administration et la hiérarchie militaire. Une fois de plus, à l'annonce du voyage du président de Gaulle, ils croyaient leur moment venu. Les cordes d'un nouveau complot se nouent donc à Alger alors qu'à Paris se déroule le « procès des barricades». A Alger et à Bab El-Oued, on s'esclaffera bientôt du bon tour joué par Pierre Lagaillarde à ses juges, qui, ayant été mis en liberté provisoire par des magistrats particulièrement compréhensifs, a préféré filer à Madrid plutôt que d'attendre la sentence d'un tribunal pourtant si bien disposé à son égard et à celui des autres inculpés. Ortiz, en fuite depuis l'échec des barricades, est toujours installé en Espagne. De cet épisode, les activistes ont tiré quelques enseignements : la tentative a échoué parce qu'ils n'ont pas pu faire « basculer » l‘armée de leur côté, ce n'étaient pas des hommes aussi peu représentatifs que Lagaillarde ou Joseph Ortiz qui étaient capables de déclencher un tel mouvement. Cette fois, la tête du complot est un militaire, et quel militaire ? C'est le général d'aviation Jouhaud, en retraite et fixé en Algérie où il est né et où il a des attaches profondes parmi les pieds noirs partisans de l'Algérie française. Avec lui, estiment les chefs du FAF, plus d'hésitation. Les militaires prendront leur responsabilité et choisiront leur camp. Le scénario qu'ils ont bâti est simple : « Des manifestations de rue déclenchées dès l'arrivée de de Gaulle tourneront à l'émeute ». Les parachutistes, comme en janvier, refuseront de tirer sur des Français et l'insurrection s'étendra. De Gaulle sera virtuellement prisonnier. L'armée se saisira de lui et prendra en charge l'Algérie tandis que, dans le désordre qui s'ensuivra, les défenseurs de l'Algérie française, aidés par les généraux, prendront le pouvoir à Paris. Déjà, on discute entre les chefs des mouvements « nationaux Algérie française» sur le point de savoir si de Gaulle devait être abattu, jugé en cour martiale et fusillé, ou bien gardé en prison pour être renvoyé plus tard en métropole et dégradé sous l'Arc-de-Triomphe par un sous-officier musulman. Si l'on comprend bien : suprême humiliation. (Suivra)

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