Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une grande étape de la Révolution algérienne, dont l'impact médiatique et les réactions diplomatiques ont conduit à l'ouverture des négociations officielles entre le GPRA et le gouvernement français. Ces manifestations et la répression qu'elles ont été générées à travers le pays de par leur large couverture par les médias internationaux ont faussé tous les calculs au général de Gaulle, qui voulait domestiquer la Révolution pour lui porter un ultime coup militaire, à travers les « fausses négociations » de Melun en juin 1960, l'appel à la « paix des braves » et la proposition de cessez-le-feu locaux, a mesuré son échec total après les manifestions qui ont commencé à Aïn Témouchent, le 9 décembre, pour s'étendre à toutes les villes d'Algérie les jours suivants. Selon l'APS qui a rapporté l'information, que les Européens d'Algérie (les pieds- noirs) qui avaient réclamé la venue au pouvoir de de Gaulle et des militaires ultras, face à ce qu'ils considéraient comme un gouvernement faible de la 4e République, avaient tenté en l'invitant en Algérie, le 9 décembre 1960, d'instrumentaliser les Algériens à manifester à leurs côtés pour appeler à « l'Algérie algérienne », au sens Français s'entend. « Or, ils ont vite déchanté et avec eux de Gaulle, lorsque les manifestants réclamaient l'indépendance de l'Algérie », finalement de Gaulle qui pensait être venu en Algérie pour trouver une solution définitive à la question algérienne a rencontré un peuple décidé à arracher son indépendance nationale. « Depuis cet échec, qualifié par un officier de l'état-major français de nouveau Dien Bien Phu psychologique, de Gaulle n'est plus revenu en Algérie », et « malgré ses tentatives de convaincre les Etats-Unis et d'autres pays de s'aligner aux Nations unies sur ses thèses vis-à-vis de l'Algérie, il n'a pas obtenu de soutien ». « Depuis, de Gaule a commencé à comprendre que la seule solution à la question algérienne réside dans l'ouverture de négociations avec le FLN ». L'Algérie vaste champ de bataille était mise à feux et à sang par les forces armée de la puissance mondiale qu'était la France coloniale. Au point ou en étaient les choses, la vie des Algériens était devenue une sorte de jeux d'entre la survie et la mort. Quant à Alger la capitale, c'était un véritable labyrinthe, où il y avait des passages secrets pour éviter de rencontrer les contrôles, où les militaires, policiers et gendarmes se relayaient à entretenir les barrages et les fouilles en plus de toute sortes de suspicion qu'ils vouaient aux indigènes autochtones, qui sans distinctions de sexe et d'âge, faisaient face à toutes sortes de problèmes ou ils finissaient souvent par se faire arrêter et emmener aux lieux de torture, ou de véritables spécialiste opérer jusqu'à vous enlever la vie si vous ne répondiez pas à la question. Mais que dire lorsque l'on ne savait rien, et que l'on-avait aucune révélation à faire. C'est tout cela qui, fonctionnant en même temps, jours et nuit, sept jours sur sept, sans relâche, forma les citadins à la résistance par le louvoiement, qui est ainsi devenue une seconde nature. Un état d'âme qui vous imprégnait dès que l'on était en dehors de son territoire. Et, ce n'est qu'en entrant dans son secteur, son quartier, en ces lieux communs où l'on retrouvait les personnes de confiance, familles, voisins et amies, avec lesquels on pouvait se lâcher, que le naturel revenait, pour dire franc et fort, le fond de sa pensée et ainsi donner libre cours à ses sentiments réels. Alors c'est comme si la peur n'existait plus, qu'elle avait été vaincue et apprivoisée, qu'elle n'avait plus d'effets et qu'on vivait avec elle. Et, ainsi dans chaque coin de ce vaste Clos Salembier, où j'habitais, des petits groupes, les vieux à l'écart, les jeunes plus en vue, tenaient leurs conciliabules et leurs débats en plein air ; l'ordre du jour étant partout et toujours le même : les «événements d'Algérie». Là, s'échangeaient les informations que chacun, à sa façon, collectait ou déduisait à travers la rumeur, ou encore lisait entre les lignes d'articles de journaux, et surtout entendait la veille, à l'heure du couvre-feu qui obligent à s'enfermer chez soi. L'heure à laquelle le roumi dort et à laquelle les «indigènes» veillent tendant l'oreille à l'écoute de radio Algérie libre (Sawt El-Arab). Et, à l'écoute du passage des patrouilles militaires qui pouvaient vous tomber dessus en pénétrant par les terrasses ou en défonçant les portes, qu'il ne servait à rien de renforcer et de barricader, car cela pouvait signifier avoir quelque choses à se reprocher. «Donc avoir quelque chose à cacher ». A l'intérieur des maisons indigènes, tels des chats vivants dans le noir, les habitants : hommes, femmes et enfants étaient tous branchés n'ayant d'oreille que pour l'émission radio clandestine «chaîne brouillée» de l'Algérie libre et indépendante qui émettait tard dans la nuit pour rapporter les faits d'armes des moudjahidines. Et, dans le lourd silence de la nuit, seuls ceux qui savaient écouter avaient raison de croire en la liberté. Car pour cette époque, la liberté traversait les ondes et pénétrait dans les foyers pour y apporter les directives des frères du Nidam, l'organisation du FLN/ALN. Armant ainsi les patriotes de mots d'ordres qui allaient se transmettre dès le matin par l'autre chaîne de transmission « radio trottoir » qui allait, pour sa part, amplifier par le bouche à oreille l'information. Qui elles alimentaient les relais d'opinions éparpillés à travers la ville. Ces relais, regroupés aux coins des rues, transmettaient à leur tour les échos de la guerre comme eux seuls savaient le faire. Moteur de sensibilisation en puissance, ils mobilisaient de nouvelles recrues pour l'action directe et chacun aiguisait son coutelas, fignolait un peu plus son plan d'action, projetant de rejoindre le maquis, après un coup d'éclat, après une action de liquidation d'un ennemi dont il avait évalué la nuisance. La rage était tel que les jeunes Algériens étaient décidé de s'attaquer à l'occupant avec un simple couteau et à mains nus. On en était arrivé à un niveau d'engagement populaire encore jamais atteint, depuis le déclenchement de la lutte armée de libération nationale. En effet après le congrès de la Soummam, la situation dans les villes a évolué si vite que les autorités françaises avaient perdu le contrôle de la société autochtone dite « indigène ». La situation était arrivée à ce niveau de maturité révolutionnaire prédit par les précurseurs du 1er-Novembre que l'on pouvait constater leurs prévisions dans les faits quotidiens. L'évolution patriotique des mentalités était au top de la triple vérité, historique, humaine et morale, qui confirmer la parole visionnaires de ceux qui avaient dit : «Mettez la révolution entre les mains du peuple il s'en saisira et la portera à bout de bras.» En effet, de plus en plus de jeunes patriotes la prenaient à bras-le-corps et ne pouvaient que la mener à la victoire. Il était vrai que le combat de libération avait fait mûrir la société algérienne qui avait dépassé les maîtres à penser français. La révolution Algérienne était parvenue à procréer ses propres militants en cours de marche. Elle avait donc atteint son point de non-retour. Elle était devenue invulnérable et plus rien ne pouvait ni l'arrêter ni empêcher la victoire du peuple algérien même si la guerre devait durer vingt ans. La victoire est inéluctable. C'est ainsi que des jeunes hors du commun sortaient du lot. Des érudits, toutes les sociétés en possèdent, mais en temps de guerre les érudits, les géniaux, ce sont ceux qui savent reconnaître la mort et qui allaient jouer avec elle sans la craindre au point que dans leur hardiesse, on allait croire qu'elle les aimait au point de ne pas vouloir les tuer. C'est ainsi que de très jeunes garçons et filles, adultes avant l'âge, prirent les armes pour aller à leur tour combattre pour la libération de leur pays. Et, comme les papillons qui étaient seuls à croire qu'ils étaient aimés des fleurs, beaucoup de ces jeunes gens ne s'étaient pas trompés en croyant que la mort les aimait ! Oui, elle les aimait tellement qu'elle a pris beaucoup plus qu'il ne fallait pour une cause aussi juste. Le tribut de l'indépendance sera plus que lourd. (Suivra) Nordine Chabane Auteur écrivain Ancien moudjahid