Serguei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, arrive à Alger avec sur son agenda un seul ordre du jour, la Syrie. L'état-major militaire russe donne in situ une magistrale démonstration de ce que devrait être la conduite des guerres de demain. Alors que plus personne n'aurait parié ne serait ce qu'un seul kopeck sur les chances de survie d'un régime de Damas aux abois, Vladimir Poutine en lançant son aviation à l'assaut des tekfiristes donne à ses militaires l'occasion de démontrer une incroyable intelligence tactique. Il ne s'agit pas seulement de l'étalement des capacités des vecteurs modernes russes, par bien des aspects plus efficients que leurs équivalents occidentaux, ni même de la parfaite intégration des différents systèmes d'armes déployés sur le champ de bataille ou encore d'un réseau de communications militaires incroyablement sophistiquées et fluides. Ce qui impressionne l'observateur averti, c'est l'intelligence tactique de l'Etat-major russe qui a su travailler en parfaite coordination avec des forces militaires aussi disparates que les armées syriennes, iraniennes, celles du Hezbollah et la multitude de milices armées locales, chargées chacune pour ce qui la concerne de défendre sa région face à un ennemi tout droit sorti des limbes de l'ignorance et de la barbarie. Le Raïs de Damas bombardait sans discernement, usait de son artillerie en ordre dispersé en courant partout à la défense des grandes villes et des axes stratégiques, éparpillant ses forces et son énergie, ne sachant comment répondre sur le plan strictement militaire à un ennemi capable de soudaine mobilité, de concentration du feu et de dispersion tout aussi rapide. L'aviation syrienne, historiquement prisonnière de la surveillance politique dont elle a toujours été l'objet, ne se comportait que comme une artillerie du ciel, déployant sa vaine puissance sur un ennemi inatteignable dans ses souterrains urbains, appliquant ainsi parfaitement une stratégie réfléchie du faible au fort en allant chercher sous terre un bouclier que les forces aériennes syriennes ne pouvaient percer à partir des airs. Là ou une armée syrienne lourde, engluée dans des concepts soviétiques rigides de l'époque de la « guerre froide et de l'apocalypse nucléaire » ne donnait à voir que son incompétence et sa lente érosion ; les russes ont proposé un déploiement fait de force militaire et de finesse tactique, illustrant parfaitement l'ère nouvelle des « guerres chaudes» dont les conflits géorgiens et ukrainiens nous ont donné un avant goût. La force militaire fut celle d'une grande puissance. Elle a commencé par la maitrise totale des cieux et des mers bien au delà du théâtre des opérations comme l'ont démontré les tirs de missiles à partir de la mer Caspienne. Puis il s'en est suivi une concentration exceptionnelle des feux afin de détruire l'infrastructure de commandement militaire des tekfiristes y compris celle dédiée à son commerce pétrolier. La finesse fut celle d'un Etat-major russe qui fit la guerre en Ukraine sans jamais tirer une seule balle et qui a pris toute la mesure des expériences afghanes et caucasiennes. D'abord les militaires russes ont commencé par restaurer le soutien logistique à l'armée syrienne, à réhabiliter son train des flux de tous ordres en plus de la réarmer du pied au cap, à améliorer grandement ses communications ne serait ce que pour des besoins d'inter opérabilité. Ce fut fait en un temps record et là n'est pas la moindre des prouesses de la nouvelle Russie. Ensuite les stratèges de Moscou ont réhabilité les fonctions de maintenance des matériels majeurs de l'armée syrienne car la guerre asymétrique a pour caractéristique principale des engagements de faible intensité mais sur des temps longs dont les tekfiristes prennent avantage contre des armées rentières totalement dépendantes de l'étranger, peu résilientes en termes de munitions et de maintenance. Enfin l'Etat-major russe a encouragé le développement des troupes de choc au sein de l'armée syrienne et a fortement appuyé une meilleure intégration inter armes au service des forces d'élite comme celles commandées par le Tigre, surnom du célèbre Colonel Souhail El Hassan volant de victoires en succès militaires. Les réticences de la Direction politique syrienne, toute préoccupée par l'exercice sans partage de la fonction la plus éminemment régalienne d'un Etat, n'ont cédé qu'en raison de la coordination par des officiers russes des différentes armées syriennes. L'Ours russe a su, habilement, annihiler les craintes pragmatiques de coup d'Etat, hantise de tous les instants de Bachar El Assad. Damas portait les efforts de guerre de son infanterie mécanisée et blindée vers les villes en ordre dispersé. Les russes ont préféré les voir se déployer dans les campagnes, retrouvant leur mobilité et leur puissance enfin libérées, visant hauteur après hauteur avant de contrôler village après village dans un long mouvement d'asphyxie des centres urbains et des axes stratégiques principaux. Pour empêcher les tekfiristes de revenir dans les villages, l'armée arabe syrienne laisse derrière elles des milices locales fortement armées dirigées par autant de petits chefs de guerre, contrôlant les points stratégiques, essentiellement les monts, points hauts, ponts, centrales électriques, barrages pour ensuite porter l'estocade par encerclement de l'ennemi dans un mouvement ordonné des campagnes vers les villes et non pas l'inverse. Partout la puissance de feu et les munitions à surpression thermobariques sont de mise pour déloger un ennemi se terrant dans des souterrains et des galeries difficiles à localiser. Au service des troupes de choc, les russes ont également livré des armes performantes et souples d'emploi en grand nombre comme les missiles Kornet (ATGM) qu'il faut considérer comme un système d'armes à part entière en lui dédiant une attention spécifique tant son emploi sur le terrain est impressionnant d'efficacité qu'il soit porté par de simples soldats ou par l'infanterie mécanisée. Le modèle de déstabilisation de la Syrie est un cas d'école d'un très grand intérêt. Il allie la subversion idéologique simpliste mais redoutablement efficace à la guérilla urbaine s'appuyant sur des armes puissantes aux fins de contrôler les centres de richesse pétrolière. L'interaction de ces forces de la subversion avec les régimes réactionnaires du Golfe et leur convergence historique avec les grandes puissances occidentales est objective. L'Etat-major russe vient d'administrer une leçon aux faucons du Pentagone, en rendant la monnaie de leur pièce à la provocation ukrainienne. Cet Etat-major russe a démontré sa maitrise des guerres hybrides, celles de la confrontation indirecte entre grandes puissances, celles mettant aux prises des adversaires différents en toutes choses, ayant des prolongements militaires propres mais discontinus entre eux car issus d'organisations sociales dichotomiques, aussi éloignées que celles opposant un Etat historique à un mouvement social insurrectionnel à forte connotation idéologique. Ces protagonistes ne sont pas de la même nature. Il est difficile pour le feu aussi puissant soit-il de maitriser l'eau. Et pourtant en Syrie et par la grâce de Moscou, c'est le feu qui l'emportera sur l'eau! A la veille de l'arrivée à Alger de Serguei Lavrov, le patron de la diplomatie russe, les leçons hybrides de Moscou ne s'adressent pas seulement à Washington. Elles concernent Damas au premier chef mais également Téhéran, Tripoli et....Alger. Si la diplomatie méritante algérienne n'arrive pas à réconcilier les Libyens entre eux, notre Etat-major militaire et notre Direction politique devront tirer, en toute modestie et dans leur pleine sagesse, toutes les conséquences militaires et stratégiques de l'époustouflante démonstration damascène de Moscou. Sur le plan militaire et même si le contexte géographique et géopolitique maghrébin ne peut être comparé avec celui du Proche-Orient, de nombreux enseignements seront certainement tirés par l'Etat- major aux fins de mieux anticiper un pourrissement éventuel de la situation régionale. Une analyse des achats de l'ANP, son dispositif de prévention des conflits régionaux, la manière dont elle a accompagné le conflit malien et sa propre expérience de la lutte anti-terroriste démontrent que les stratèges militaires algériens ont pour l'essentiel largement anticipé les conflits potentiels à venir. Cela lui doit du respect sur le plan international et les visites politiques de différents Etats-majors militaires européens et américains le démontrent amplement. Sur le plan diplomatique, la posture algérienne est d'une vigilance extrême. La réaffirmation répétée du principe de non ingérence dans les affaires d'autrui laisse sur le plan tactique une marge de manœuvre confortable pour favoriser l'émergence de solutions négociées et sanctuarise sur le plan stratégique le principe d'inviolabilité du territoire national. Dont acte. Cependant, la manière dont la Russie a défendu la Syrie, avec certes en arrière pensée pour Moscou, la question ukrainienne ouvre de nouvelles perspectives qu'il s'agit d'explorer sérieusement aux fins d'un confortement mutuel algero-russe d'intérêts convergents bien compris. C'est tout l'enjeu de la rencontre entre les chefs de la diplomatie russe et algérienne de demain. Monsieur Lavrov, Bienvenue en Algérie !