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De la compétence du changement
Publié dans La Nouvelle République le 01 - 03 - 2016

Tous les hommes sensés se posent légitimement des questions sur le changement lorsque la confusion et l'insécurité s'installent poussant l'homme commun à perdre espoir et sombrer à son tour dans le cynisme et le nihilisme. Lorsque l'homme ne se pose plus de questions ou ne trouve plus de réponses convaincantes alors il se réfugie dans le fatalisme, le déni de vérité ou dans la folie qui fait de lui un instrument supplémentaire dans l'insenséisme.
Plus je prends de l'âge et du recul plus je suis convaincu que l'idée la plus forte et la plus juste sur le changement à envisager ne peut s'élaborer en dehors de l'idée que l'on se fait de l'Homme, de sa dignité, de sa liberté, de sa quête de sens, de son aspiration au mieux-être, de sa revendication de justice, de sa créativité. Chaque fois que l'homme, être ontologique et social, réalise son humanité, il imprime aux idées, au sol et au temps le complexe différencié de quêtes qui l'habite et que par son vouloir, son devoir, son croire, son savoir, son pouvoir et son faire il va amplifier et déployer ou réduire et limiter, conjuguer ou opposer, partager ou confisquer, favoriser ou interdire, ennoblir ou enlaidir. Ces quêtes sont celles de l'homme universel : la quête de sens, la quête de vérité, la quête de justice, la quête de liberté, la quête de beauté, la quête d'amour, la quête de solidarité, la quête de reconnaissance, la quête de savoir, la quête d'abondance, la quête de totalité, la quête de satiété des désirs, la quête d'activités et d'actions pour témoigner de ses capacités de faire et de penser ainsi que de ses compétences non seulement imaginatives et inventives, mais celles de la parole, de la perception, de l'art et de l'émotion. Chaque quête est impulsée par une autre en plus intense, en plus qualitative, en plus d'efficacité, en plus de créativité. Chaque quête principale interagit avec les autres quêtes qui deviennent secondaires ou auxiliaires. La conjugaison ou l'opposition ainsi que et la progression ou la régression de ces quêtes est le moteur de l'alternance des jours entre les hommes. Par ces quêtes il réalise le mieux ou le pire. L'absence de quête signifie ne pas « quester » c'est-à-dire ne pas chercher le sens, ne pas chercher la vérité et la réalité, ne pas chercher le progrès, ne pas chercher l'universel partagé par tous les hommes. L'absence de quêtes signifie la mort. La contradiction entre quêtes signifie la crise. Un être vivant est un complexe différentiel de quêtes différenciées par la diversité humaine, l'expérience, l'activité, l'empreinte du sol et du temps, l'influence des autres. La loi de l'alternance signifie aussi que la quête va connaitre un développement, une crise, une transformation, un épuisement, une fin puis une renaissance sous un autre cycle dans un autre lieu et un autre moment pour une nouvelle étendue spatiale, une nouvelle durée et une nouvelle configuration. A chaque fois l'homme va tenter de s'évader de sa condition humaine c'est-à-dire de ce qui limite ses possibilités pour tenter de s'inscrire dans l'immortalité et l'infini. Cette inscription qui à force de témoignage de la présence d'un homme, d'une communauté, d'un empire, d'une religion, d'une civilisation dans le monde sera facilitée ou contrariée, cohérente ou incohérente, viable ou non viable, durable ou éphémère selon un certain nombre de principes inhérents à la loi de l'alternance : le sacré, la norme, la finalité, la justice, la cohérence et l'efficacité (utilité sociale et bienfaits pour l'humanité plurielle). En termes de civilisation, l'efficacité ne peut se résumer à la rentabilité économique ou à l'efficacité technique ou technologique tels que le marché et l'entreprise capitalistes les définissent. De la même manière on ne peut confondre la compétence qui est la forme de légitimation sociale, scolastique, idéologique, économique et politique d'une certaine capacité humaine dans certaines conditions de la capacité humaine qui est la capabilité humaine expansible de mener des quêtes abouties (sensées et utiles) lorsque l'homme est mis dans les conditions morales, sociales et actancielles de bien penser, de bien faire, de restituer efficacement et utilement l'énergie qu'il a accumulée puis déployé dans son projet de témoignage de ses valeurs, de reconnaissance de sa valeur et de sa capacité, de son droit de différenciation des autres, de gratitude pour les autres... {Allah ne charge l'être que par sa vastité. il aura en sa faveur le bien qu'il a acquis, et aura contre lui le mal dont il s'est chargé.} Al Baqara 286 Al Wasa'â coranique correspond au terme Vastité (Vastitude) signifiant ampleur, grandeur, élévation, puissance, dispositions, proportions énormes et capacité à l'expansion. Chaque être humain nait comme un virtuel de puissance et d'expansion (assumer des responsabilités, mener des quêtes, élargir les horizons, réaliser le juste et l'utile, accomplir le bien, témoigner du vrai, du beau et du vrai). Il vient à l'existence avec un potentiel devant s'accomplir comme une promesse divine à l'instar de Moïse et de Jésus pour réaliser la Volonté divine en dépit de la volonté des hommes ou pouvant s'accomplir selon les conditions objectives et subjectives favorables et défavorables de l'existence. La famille, l'école et la société vont éclore ou étouffer, focaliser ou détourner, utiliser ou gaspiller, libérer ou opprimer, corrompre ou embellir le potentiel humain. Les conditions d'existence et l'idéologie vont admettre ou nier la grandeur incommensurable de l'homme et sa sacralité et ainsi orienter tout le développement social et économique en faveur ou en défaveur de l'homme et de son potentiel spirituel, idéique, affectif, esthétique et actanciel. L'homme porte aussi la responsabilité personnelle sur son propre devenir et sa propre fabrication puisqu'il a la compétence de s'interroger et de répondre sur sa nature, sa vocation et son potentiel ainsi que sur la finalité à laquelle il destine son potentiel, l'éduque et le développe ou le rend inerte et stérile. La plus grande responsabilité est sans doute celle de trouver la vocation de l'homme, de témoigner sur cette vocation et d'agir pour promouvoir cette vocation. Lorsque le marxiste participe comme potentiel de libération de l'aliénation capitaliste en apportant des instruments d'analyse, de méthodologie et d'organisation sur les rapports de domination et d'appropriation je dois accepter sa participation à l'effort de bien et de progrès en faveur de l'humain. Lorsqu'il se présente comme la seule explication rationnelle et efficace, je lui dis non. Lorsqu'il fait de la nécessité la norme pour expliquer et justifier l'histoire reléguant l'humain à un vulgaire dispositif dans le processus matérialiste des luttes de classes je dis non. Lorsque le marxisme confine l'histoire à celle de la féodalité et du capitalisme dont il faut aiguiser les contradictions pour accélérer la fin inéluctable je dis non. Je ne dis pas non par principe de contradiction, mais je dis non, car l'homme et son système de quêtes qui le mènent ici à la civilisation et ailleurs à une autre forme d'organisation sont gommés. De la même manière sont gommés les critères et les valeurs qui définissent les normes et le sacré. De la même manière sont gommées les données civilisationnelles (philosophiques, scientifiques, sociales, sociologiques, religieuses) de la Renaissance et de la modernité qui ont permis l'émergence et la domination du capitalisme. Le passage du capitalisme classique au mondialisme impérial n'est vu que dans le cadre des rapports classiques socioéconomiques alors que la Post modernité a remplacé la modernité faisant basculer le centre de gravité du monde de l'Europe dans ses relations avec ses colonies et ses idées avec celles des USA en dérive démiurge et dans un déchainement infernal de la matière dans ses rapports au reste du monde. Le mode de raisonnement grec et moderne en particulier chez Hegel fondé sur la thèse et l'antithèse par lequel s'exprimait non seulement la Modernité, mais le marxiste pur produit de cette Modernité est un mode qui ne correspond plus à la Post modernité ni à l'efficacité économique, technologique et militaire de l'hyperpuissance où le questionnement en termes intellectuels, esthétiques ou psychosociologiques est devenu : situation à problème, inventaire des problèmes et des solutions, efficacité et viabilité de la solution retenue, mise en œuvre et analyse du retour d'expérience. Non seulement le mode de raisonnement a changé par son champ de questionnement et son procédé didactique, mais il a changé dans son traitement informationnel en devenant programmatique y compris dans le monde de la communication, de l'art et de la psychosociologie. Face à la dialectique rhétoricienne de la Modernité avec son creuset moral et culturel judéo-chrétien et gréco-romain, l'hyperpuissance post moderne est pragmatique sans morale. A l'esprit industrieux et industrialisant de Prométhée le Titan rebelle aux divinités et dominateur de la matière et de la nature s'instaure la culture d'Hermès. Si Prométhée est une tragédie poignante qui apporte le feu et la technologie pour l'homme édificateur, Hermès est une subtilité complexe. Il est la totalité totalisante : le Messager des Dieux, le garant des poids et des mesures, le maître des voleurs, le gardien des routes et des carrefours, le protecteur des voyageurs et des commerçants, la muse des artistes, le joueur de la lyre et du pipeau, l'inspirateur des héros, le conducteur des âmes aux Enfers. Il est le descendant de Zeus Dieu de l'Olympe et de Gaïa déesse de la Terre, l'époux d'Aphrodite l'experte en aventures extra-conjugales, le géniteur d'Hermaphrodite la bisexuée et d'Eros le symbole de la dualité mâle femelle. Psychologie complexe. S'il est logique de recourir aux méthodes de raisonnement et aux instruments de résistance contre la colonisation qui édifie et parachève la Modernité, il faut inventer d'autres méthodes et d'autres instruments contre l'occupation et la déstructuration du monde post moderne. On continue d'analyser l'occupation sioniste et la libération de la Palestine par les schémas idéologiques et politiques de la colonisation et de la libération de l'Algérie. Les phénomènes se ressemblent, mais obéissent à des logiques et à des organisations différentes. Comment expliquer et transformer le monde Post moderne avec des modes de raisonnement de la Modernité ou du monde
musulman médiéval ? Comment agir sur les luttes de classes, les mécanismes d'appropriation et les instruments de domination alors que le Prolétariat – produit de la destruction des campagnes pour alimenter le secteur productif du secondaire – n'existe plus en réalité physique, en phénomène social ou en conscience de classe dans un monde où l'économie est passée de la tertiarisation (la production des services) à la quaternisation (l'industrialisation des services, la narrative communicante, la fascination médiatique et la fédération des communautés humaines). Les doctrines de guerre et les systèmes d'armes de la modernité (deuxième et troisième génération) s'éclipsent devant ceux de la quatrième et cinquième génération où la guerre est non seulement totale, mais le front de combat est le culturel, le mémoriel, la mentalité collective, l'histoire, la communication, la psychologie, l'identité. Le marché n'est plus l'espace d'échange pour réaliser le profit ni le moyen annexe dans la guerre par l'embargo économique, mais une arme de déstructuration sociale et culturelle qui le rend au recours aux seuls moyens de défense traditionnelle inopérants. A la différenciation des classes de la Modernité dans l'appropriation, le savoir et le pouvoir nous assistons à une indifférenciation des identités et des hommes par le marché et le désir mimétique qui met en quête des délirants sur le même objet de désir que la publicité a rendu désirable et que le marché a rendu accessible « démocratiquement ». Avec l'industrie automobile l'Amérique a taylorisé la production, elle a industrialisé le service, elle a unifié le marché et a démocratisé le crédit. Elle a poussé la logique moderniste à ses limites ouvrant la porte à la Post modernité. Le progrès technique et la conjugaison des savoirs, des philosophies, des arts, des ressources et des mentalités ont conduit à l'impasse de la modernité puis à l'agonie et à l'avortement de la post modernité avec son lot de monstres et de diables. Est-ce que l'Eglise corrompue et incapable de revenir aux enseignements prophétiques a fait des concessions idéologiques en autorisant l'usure et en se taisant devant les expropriations, est-ce que l'Eglise elle-même n'était qu'une conscience qui permettait à la société duelle de cohabiter en tolérant les péchés capitaux comme un mal nécessaire et inévitable ? Les Musulmans étaient en hors-jeu historique, en sauve- qui- peut social et en inertie intellectuelle, ils ne pouvaient donc que subir la Modernité. Ils vont subir la Post modernité s'ils ne font pas l'effort de lui résister et de lui proposer une alternative civilisationnelle. Il faudrait d'abord qu'il se libère de l'illusion qu'ils peuvent imiter la modernité alors qu'elle n'existe plus et même si elle existait ils n'ont pas les prérequis idéologiques pour l'imiter. Il faudrait ensuite qu'ils se libèrent de leur solitude, de leur arrogance et de leur sectarisme pour s'accepter comme fragments d'humanité qu'il fait rassembler avec les autres hommes aussi fragmentés qu'eux dans le respect de la pluralité religieuse et culturelle. Il s'agit de sauver l'humain, sa liberté, sa dignité et sa capacité à mener des quêtes et à exercer ses attributs ontologiques et sociaux inhérents à sa nature humaine. {Allah ne change point en la situation des gens tant que ceux-ci n'ont point changé ce qui est en eux} Ar Raâd 11 Il est question de salut. (A suivre)


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