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L'implosion de la maison des Al-Saoud
Publié dans La Nouvelle République le 22 - 04 - 2016

L'opération psychologique des Panama Papers a révélé que le roi Salman de l'Arabie Saoudite fait partie d'une brochette de fameux profiteurs des paradis fiscaux en relation avec des associés.
La maison des Saoud a utilisé des sociétés fictives dans les Îles Vierges britanniques pour extraire au moins $34 millions de prêts hypothécaires pour des maisons somptueuses à Londres et «un yacht de luxe de la taille d'un terrain de football». Et pourtant, le silence des médias système occidentaux a été assourdissant. C'était tout à fait prévisible : les notables de la Maison des Saoud tiennent solidement leur rang parmi les premiers vassaux de l'Occident.
À l'heure actuelle, un grand décalage est également notable. La Maison des Saoud est occupée à peaufiner le baratin de la nécessité de l'austérité à domicile, alors même qu'elle se positionne désormais comme le troisième plus grand dépensier du monde en armements, avant la Russie. «Austérité» est un peu fort, alors que j'ai révélé en début d'année que la Maison des Saoud a non seulement déclenché une guerre des prix du pétrole contre l'industrie du pétrole de schiste américain, la Russie et l'Iran, mais se chargeait aussi de déverser sur le marché au moins $1 milliard de dollars en titres américains pour équilibrer son budget de plus en plus désastreux.
Et maintenant, nous avons une offensive de relations publiques majeure dans les médias systèmes occidentaux, menée par le Prince Guerrier Mohammad bin Salman, 30 ans, l'animateur principal de la désastreuse guerre illégale contre le Yémen, avec son cortège de dommages collatéraux innombrables contre les civils. Le jeune Salman se vend lui-même comme un David Bowie arabe – l'homme qui a changé le monde, principalement en raison de sa volonté de privatiser partiellement à pétrole, en créant un fonds de $2 000 milliards.
Pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, en particulier, l'Arabie saoudite est le proverbial allié clé. Elle possède non seulement la – toujours proverbiale aussi – deuxième plus grande réserve de pétrole dans le monde, et la notoire protection, style maffioso, de l'accord conclu en 1945 entre Roosevelt et Ibn Saoud, mais la Maison des Saoud est aussi l'ancrage principal du pétrodollar et l'acheteur toujours régulier de plus de $100 milliards d'armes occidentales au cours des dernières années.
Pourtant, en parallèle, l'Arabie saoudite – un mélange de théocratie et de monarchie absolue, accompagné d'un troupeau d'imams fondamentalistes intolérants – continue de perpétuer son rôle de matrice idéologique pour tous les réseaux du djihadisme salafiste, y compris bien sûr sa dernière incarnation : le califat bidon d'ISIS / ISIL / Daesh. La Maison des Saoud, directement et indirectement, a prodigué plus de $100 milliards partout dans les terres de l'Islam – et au-delà – pour diffuser sa vision fondamentaliste wahhabite.
Un coup d'œil derrière les rideaux de velours
Pendant un certain temps, il y a eu des rumeurs incessantes, de Londres à New York, et à travers tout le Moyen-Orient, d'un possible coup d'Etat à Riyad. Maintenant, une source politique active, ayant une connaissance intime, non seulement de la Maison des Saoud, mais aussi de ses vrais maîtres dans l'axe Washington / Wall Street, a offert un aperçu sans précédent du jeu de pouvoir révolutionnaire actuel dans le Royaume.
Selon la source, «Le Prince Mohammed bin Salman ne réalise pas vraiment ce qui se passe. Il est manipulé, entouré par des conseillers qui dominent l'ensemble du système économique saoudien et visent sa réorganisation – qui est certainement nécessaire. Et certains de ces consultants préparent en même temps le terrain pour la CIA. Cela rendrait beaucoup plus facile la transition vers le régime militaire souhaité, loin d'une monarchie que la CIA exècre.»
Et cela implique aussi que certains des employés occidentaux d'Aramco – embauchés ensemble pour occuper la place – soient nos agents incontournables de la CIA ; une couverture classique pour les opérations clandestines. L'ensemble du processus a commencé il y a un certain temps, en avril 2014, quand il y avait des rumeurs à Riyad au sujet d'un mouvement pour se débarrasser du roi Abdallah. Finalement, un compromis a été scellé ; Bandar bin Sultan, alias Bandar Bush – qui a mal empaqueté la guerre en Syrie, via son parrainage d'une armée de djihadistes – a été congédié comme étant le vrai coupable de cette guerre terroriste dirigée par l'Arabie saoudite.
Et le prince Mohammed ben Nayef a été promu numéro deux dans le Royaume – dûment intronisé sous les ordres de la Voix de ses maîtres à Washington. Comme il a été oint prince héritier, Nayef était presque consacré comme le prochain roi dans la succession du roi Salman. Le jeune Salman, en publiciste avisé, veut renverser les tables. Il se voit comme le successeur de son père. Pourtant, la résistance interne est féroce. Selon la source, «ça fait désordre parmi les masses pauvres du royaume, lorsqu'il se vante d'avoir $2 000 milliards de dollars d'actions chez Aramco, alors qu'elles souffrent de la suppression des subventions par la Maison des Saoud».
Quant à la richesse pétrolière saoudienne, le jeune Salman se trompe quand il ne croit pas que «la baisse des prix du pétrole constitue une menace pour nous, pour nous il s'agit d'un marché libre régi par l'offre et la demande». Notre source est catégorique «Mohammed bin Nayef est très capable, c'est un combattant très efficace contre le terrorisme. Il est mature, stable et talentueux. Le problème est qu'il y a un mécontentement croissant dans le royaume, au sujet de la guerre des prix du pétrole ordonnée par Washington. Les conseillers, en attendant, pressent Mohammed bin Salman de réduire les subventions.
Cela va certainement éloigner les masses de lui. Et cela donne donc une justification pour un coup d'Etat dans lequel la population est neutralisée». Ce qui nous amène à la très importante affaire des achats massifs d'armements : «C'est lié aux efforts de Mohammed bin Salman pour créer une forte armée saoudienne, en combinaison avec des alliances militaires avec le Pakistan et l'Egypte, qui sont des alliés stipendiés. L'argent est jeté partout alentour, tandis que les subventions doivent être coupées. Cela ne fera qu'ajouter plus de pression sur la monarchie.»
Le front militaire n'est pas exactement une victoire pour les Salmans, père et fils. Sisi, au Caire, renâcle certainement à l'idée d'avoir des troupes égyptiennes piégées dans le bourbier du Yémen. C'est pareil avec Sharif, à Islamabad, qui a refusé d'envoyer un contingent pakistanais. Le roi Salman a été contraint de se tourner vers le Premier ministre de l'Inde, Narendra Modi. Après tout, il y a 3 millions de travailleurs indiens en Arabie saoudite, et l'Inde importe 20% de son pétrole d'Arabie saoudite.
Pourtant, pas de troupes indiennes. L'Inde et le Pakistan voient clair, cela fait partie d'une vaste campagne anti-iranienne paranoïaque de Riyad. L'Inde et l'Iran sont des partenaires dans le développement des nouvelles Routes de la soie à travers l'Eurasie. Et l'Iran et le Pakistan sont des partenaires importants du Pipelineistan – via le gazoduc IP.
Est-ce le moment de faire la queue pour être chauffeur de taxi ?
Un coup d'Etat à Riyad, plus loin sur la route, reste encore possible. Il se résume au contrôle par l'Exceptionalistan. L'Arabie saoudite gouvernée par le prince guerrier ne peut être digne de confiance, selon les secteurs influents de Washington. La Turquie est maintenant considérée comme hors de contrôle ; le Sultan Erdogan étant snobé à Washington par Obama, cela pourrait même être le prélude à son éventuel retrait par l'armée turque, qui est vraiment sous le contrôle de l'Exceptionalistan.
On ne peut pas non plus compter sur l'Iran – parce que, pour Téhéran, la priorité est l'intégration eurasienne et une relation stratégique plus étroite avec la Russie et la Chine. On pourrait imaginer que la maison des Saoud va changer les choses en ramenant le prix du pétrole à $100 le baril, par une diminution de 10% de la production, en accord avec la Russie, lors de la prochaine réunion à Doha ; et réaligner sa politique sur la Russie en tant que puissance d'équilibrage. Oubliez-ça ; ça ne se produira pas.
Ce qui est fascinant dans cette intrigue de l'Arabie House of Cards c'est que, selon notre source, «le roi Abdallah était quelqu'un dont on pouvait prétendre qu'il serait utile aux Etats-Unis pour maintenir la stabilité de l'approvisionnement en pétrole». Mais les acteurs influents à Washington ne considèrent pas Salman ou son fils de cette façon ; le fils, en particulier, est considéré comme «erratique et instable». Encore une fois : le contrôle, le contrôle, le contrôle.
Notre source explique comment «l'Occident a instruit les officiers de l'armée saoudienne – qui sont souvent des agents de renseignement occidentaux. Voilà pourquoi le prince héritier Sultan ne leur a jamais fait confiance et a délibérément gardé l'armée faible quand il était ministre de la Défense. Il la craignait comme acteur privilégié d'une prise de contrôle du pays. Et il avait certainement raison. Aux yeux de la CIA, les Saoudiens ont besoin d'une supervision extérieure. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles la CIA veut un changement de régime, car la situation est hors de contrôle». Pourtant, voici un autre hiatus majeur.
La CIA estime que la maison des Saoud est le principal sponsor du terrorisme mondial. Mais c'est faux. La plupart de ces opérations terroristes sont des remixes, au XXie siècle, de l'Opération Gladio. Et cela implique la main de l'OTAN / Pentagone. Cette déconnexion explique en partie pourquoi le Pentagone et la CIA sont à couteaux tirés.
Il est encore difficile de voir quelle faction des services de renseignements US finira par l'emporter à Riyad – et cela peut encore changer ultérieurement en fonction du prochain locataire du 1600 Pennsylvania Avenue [la Maison Blanche, NdT].
Pour le moment, un bon nombre d'acteurs influents adorent imaginer une maison des Saoud fortunée, y compris les richesses style mille et une nuits de la famille royale élargie, toutes gelées à l'étranger, des Etats-Unis au Panama. Avec le corollaire inévitable de milliers de princes faisant la queue pour des emplois de chauffeurs de taxi à Londres et à New York 1.


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