Un savant jeu d'alliances a permis au général de «l'armée de l'Est», Khalifa Haftar, de lancer le 27 avril son assaut sur Syrte, tenue par Daech, et de tenter ainsi de prendre de vitesse les milices misraties et leurs alliées de Fajr Libya, qui fondent elles aussi sur la ville. Outre ses propres hommes, Khalifa Haftar peut compter sur des renforts venus du grand Sud, dirigés par le colonel Mohamed al-Nayli. Originaire de Bani Walid, celui-ci a une dent contre les Misratis, dont il fut un temps le prisonnier. Cette alliance, officialisée la semaine dernière au QG de Khalifa Haftar à Al Marj en présence de représentants toubou, a été facilitée par l'accord tacite des notables ourfella de Bani Walid, où cette tribu est prédominante. Une grande partie des hommes du chef militaire Ibrahim Jadhran aurait aussi rejoint les rangs de l'armée de Khalifa Haftar. Ces ralliements ont permis d'éviter un clash militaire avec Ibrahim Jadhran, dont le frère Salim Jadhran, maire d'Ajdabiya, menaçait d'empêcher Haftar de traverser cette ville pour s'approcher de Syrte. Ibrahim Jadhran s'est d'ailleurs vu retirer le commandement des Petroleum Facilities Guards (PFG), le 2 mai, par le gouvernement d'Abdallah al-Thani. Les autorités de l'Est alliées au général multiplient parallèlement les gestes de réconciliation en faveur des proches de Mouammar Kadhafi, pour faciliter la réintégration d'ex-militaires de l'armée régulière au sein de l'armée de l'Est, et surtout faciliter la progression de celle-ci dans la région de Syrte, fief historique du «Guide» où sa tribu, les Kadhafa, reste incontournable. L'épouse de Mouammar Kadhafi , Safia Farkash, a ainsi été autorisée à se rendre à Al Baida par le conseil municipal de cette localité située à la frontière égyptienne, tandis que le gouvernement d'Abdallah al-Thani levait les mesures de gel des avoirs visant les enfants de Khaled Khairi, un ancien proche lieutenant de Kadhafi. L'offensive de Khalifa Haftar risque toutefois de dégénérer en affrontement généralisé entre l'Est et l'Ouest. Les milices de Fajr Libya ont déjà réagi en attaquant ses colonnes, notamment par voie aérienne, le 3 mai. Et les députés de la Chambre des représentants de Tobrouk, qui voulaient se réunir à Ghadamès pour voter la confiance au gouvernement «d'union nationale» de Fayez Sarraj (dominé par les Misratis), hésitent désormais à se mettre en porte-à-faux avec Khalifa Haftar et leur base électorale de l'Est. Par ailleurs et contrairement aux intentions affichées par les deux camps, la reprise de Syrte des mains de l'organisation Etat islamique (Daech), est une considération assez secondaire dans les opérations militaires actuelles. Au mieux permettra-t-elle au vainqueur de se faire bien voir des capitales occidentales, qui ont fait de la lutte contre le groupe djihadiste une priorité. Les mouvements de troupes de ces derniers jours visent, en fait, à gagner un maximum de terrain dans la guerre de positions qui s'annonce pour le contrôle de tout le centre de la Libye et dont l'issue préfigurera les frontières en cas de partition du pays.