Les Occidentaux veulent empêcher les djihadistes de se regrouper dans leur «capitale» syrienne après la chute de leur fief en Irak. Ne pas laisser à l'organisation Etat islamique (EI) le temps de se regrouper, lorsque Mossoul sera tombée. Tel est le raisonnement qui pousse la coalition internationale emmenée par les Etats-Unis à préparer une nouvelle bataille à Rakka, la «capitale» de l'EI en Syrie, alors que celle de Mossoul a débuté depuis dix jours. Les principaux membres de la coalition ont affirmé cet objectif, mardi 25 octobre, lors d'une réunion de treize ministres de la Défense occidentaux, à Paris. «Nous devons faire en sorte que Daech [acronyme arabe de l'EI] soit éradiqué partout, et ne puisse pas se constituer encore une place forte», a prévenu le président François Hollande à l'ouverture de la rencontre. Il mettait en garde contre des transferts de combattants au sein de ce qu'il reste du «califat» de l'EI, contre le retour de djihadistes étrangers vers leur pays d'origine et contre la planification par l'EI de nouveaux attentats en Occident, à mesure que son territoire se réduit. «ll y aura un chevauchement» des opérations à Mossoul et à Rakka. «ça fait partie du plan», a précisé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Un haut responsable militaire américain, qui s'exprimait de façon anonyme, a cependant précisé mardi à l'agence Associated Press que la coalition serait sollicitée à l'excès si elle devait mener deux campagnes d'une telle ampleur simultanément. La bataille de Rakka ne pourrait commencer, selon cet officiel, que lorsque des progrès significatifs auront été enregistrés à Mossoul. Comme à Mossoul, «nous allons essayer de mettre en place une force d'assaut à Rakka», capable de resserrer l'étau autour de la ville, force à laquelle «nous donnerons les capacités nécessaires», a dit le secrétaire d'Etat américain à la défense, Ashton Carter. Couper les axes routiers Déjà, la coalition a «jeté les bases de l'isolement de Rakka», a précisé Carter. Il citait la reprise de la ville de Manbij et de la bourgade de Dabiq, toutes deux situées au nord d'Alep. La première a été conquise en août par les Forces démocratiques syriennes (FDS), formées de combattants liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et d'une minorité de groupes rebelles arabes. La seconde est tombée, le 16 octobre, aux mains de rebelles syriens soutenus par la Turquie. L'administration américaine souhaite couper les axes routiers qui permettraient une arrivée de combattants depuis l'Irak. Elle s'attache à fixer les djihadistes en position défensive, et à les empêcher de se redéployer vers d'autres villes secondaires. La direction du groupe en serait affaiblie, et ses capacités de coordination avec des djihadistes à l'étranger réduite. Cet objectif se heurte cependant à un manque d'effectifs des alliés de la coalition sur le terrain, aux divisions de ces derniers, ainsi qu'à la difficulté d'imaginer les suites d'une victoire militaire et une future administration de la zone. Les FDS se sont imposés comme une force efficace contre l'EI. Mais leur éventuelle avancée vers Rakka suscite la crainte parmi la population arabe sunnite locale. La coalition mise sur leur appui pour progresser vers la ville, puis sur la composante arabe des FDS, et sur des combattants arabes de la région de Rakka déjà libérée, auprès desquels opèrent des forces spéciales américaines. Mais des questions demeurent sur la capacité de ces groupes à atteindre une taille critique à brève échéance, alors que Raqqa est défendue par quelque 4 000 djihadistes. La Turquie, qui cherche à contrecarrer l'extension territoriale des Kurdes à sa frontière, refuse qu'ils participent à l'assaut sur Rakka. Ses protégés syriens les affrontent au nord d'Alep, et Ankara mène contre les FDS des frappes aériennes depuis le 19 octobre. «On ne peut pas aller se battre à Rakka alors que l'armée turque nous bombarde», a dénoncé mardi le représentant en France des autorités kurdes de Syrie, Khaled Issa, jugeant que pour l'heure « les conditions ne sont pas réunies pour prendre» la ville. «La Turquie est un partenaire essentiel dans ce combat, a noté mardi Le Drian. Il faut que nos objectifs coïncident, car nous avons un intérêt commun à vaincre Daech avec ceux qui sont en mesure de le faire.» Par ailleurs, une éventuelle implication de la Turquie à Rakka pourrait se heurter à un veto de la Russie et du régime syrien. Moscou a dit son intention d'appuyer l'armée syrienne pour reprendre cette ville, mais elle concentre aujourd'hui ses forces contre les rebelles d'Alep. Et si Moscou n'a pas réagi aux bombardements menés par la Turquie dans sa zone frontière étendue, elle pourrait voir d'un mauvais œil l'avancée vers Rakka d'une force fidèle à l'un des principaux soutiens des rebelles syriens. Interrogé mardi sur la position russe, Carter s'est borné à rappeler que «la Russie ne participe pas à notre plan pour Rakka».