L'économie informelle, part importante du PIB, est considérée comme un obstacle majeur au développement de la production nationale et de la diversification économique. « Le commerce du cabas», qui désigne les activités commerciales du marché noir, est une expression très connue des Algériens. Dans les rues de la capitale ou ailleurs, les marchands ambulants proposent divers produits aux riverains et aux passants. Présentés sur les étals des magasins ou à même le sol sur les espaces publics, les produits du marché noir trouvent preneurs. Tout s'y écoule : chaussures, vêtements, produits alimentaires et agroalimentaires, cigarettes, pièces détachées, parfums... « Les activités informelles inondent le marché, au vu et au su de tous. Les acteurs de l'économie parallèle ne pensent pas au développement économique du pays, ils pensent surtout au gain facile et rapide », nous confie Lynda, gérante d'un commerce de cosmétiques. Pour les économistes, le marché informel est la partie des activités économiques non réglementées par des normes légales socioprofessionnelles et fiscales. C'est une économie souterraine qui échappe à la comptabilité nationale et à la régulation de l'Etat. « Les barons de l'informel ne s'inscrivent pas dans une logique de production. Leurs activités sont intraçables et déloyales. L'économie informelle favorise l'enrichissement rapide », nous confie Hamid, un chef d'entreprise. Le square Port-Saïd, à Alger, est le principal marché informel de change de devises, où l'euro, monnaie très plébiscitée des Algériens, s'achète près de 190 dinars algériens. Or, selon la Banque d'Algérie, l'euro valait, à la fin de 2016, entre 115 et 117 dinars au marché officiel. L'achat de la devise européenne intéresse tous les Algériens, qu'ils soient importateurs, businessmen ou touristes, ils sollicitent tous le marché noir de la devise », nous confie un vendeur. De son côté, Mahjoub Bedda, président de la commission finances de l'Assemblée nationale (APN) estime que la taille du marché informel des devises est alarmante. « Elle représenterait entre 15 et 20 % de la valeur des importations, correspondant à environ 7 milliards de dollars pour une facture d'importation de 46,727 milliards de dollars en 2016 », a-t-il expliqué. La généralisation du cash et l'absence des moyens de paiement modernes représentent des facteurs qui amplifient la persistance du fléau. Ce marché gangrène l'économie du pays. Chiffres officiels. Omniprésente dans diverses filières – commerces, services, bâtiment et travaux publics et activités manufacturières –, l'économie informelle représente selon les chiffres officiels près de 45 % du Produit intérieur brut (PIB), ce qui correspond à une valeur de près de 125 milliards de dollars. Dans le même contexte, les conclusions de l'étude réalisée par l'Office national des statistiques (ONS) indiquent que l'économie informelle employait 1,6 million de personnes en 2001, contre 3,9 millions en 2012. Ces effectifs sont constitués de 45,6 % de la main-d'œuvre totale non agricole, dont 45,3 % dans le commerce et les services, 37 % dans la filière bâtiment et travaux publics et 17 % dans les activités manufacturières. Aussi, en décembre 2013, selon une étude réalisée par l'Institut français des relations internationales (Ifri) – think tank mondial, dirigé par l'expert international Abderrahmane Mebtoul –, la Banque d'Algérie et le ministère du Commerce, la sphère informelle contrôlait plus de 55 milliards de dollars en 2012. La même étude indique que 50 % des transactions commerciales échappent au Trésor public. Pour permettre l'éradication des activités économiques informelles, le gouvernement a mis en œuvre deux mesures phares : l'obligation de l'utilisation de chèques dans les transactions commerciales pour un montant supérieur à 1 million de dinars, applicable dès 2014, et l'autorisation de dépôt d'argent dans les banques sans poursuites judiciaires, sous réserve d'impôt forfaitaire et que cela ne provienne pas d'actions illicites en 2015. Selon les experts, il existe deux formes d'activités informelles : celle qui produit et celle qui commercialise. « Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive, qui crée de la valeur, de la sphère marchande spéculative, qui se réalise en transfert de valeurs », précise l'économiste Mebtoul dans une tribune publiée dans la presse. Pour réorganiser le marché, les pouvoirs publics ont mis en place de nouveaux dispositifs : démantèlement des marchés informels, renforcement des infrastructures commerciales et assouplissement des conditions d'obtention du registre de commerce. « La période 2016/2020 sera certainement caractérisée par des ajustements économiques et sociaux », a expliqué Mebtoul. Eradication des marchés. Lancée par les pouvoirs publics depuis quatre ans, l'éradication des marchés informels est toujours en cours. Selon les statistiques publiées en février dernier par la direction du commerce de la wilaya d'Alger, 4 700 commerçants exercent encore de façon clandestine dans 140 marchés de la capitale. De façon plus globale, Abderrahmane Saâdi, sous-directeur des statistiques et de l'information économique auprès du ministère du Commerce, a indiqué que les opérations de lutte contre les marchés informels se sont soldées par l'éradication de 1 035 d'entre eux sur les 1 412 recensés, soit un taux de 73 % à la fin de 2016. Selon la même source, 216 des marchés éradiqués sont réapparus. Toutefois, il est important de signaler que les mesures prises par le ministère de tutelle ont permis la réinsertion de 21 239 intervenants exerçant à l'intérieur de ces marchés éradiqués sur un total de 49 836 personnes recensées, soit un taux de 42 %. Pour optimiser les actions, le ministère du Commerce, en partenariat avec le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) et l'appui du Programme des nations unies pour le développement (Pnud) a lancé une étude sur l'économie souterraine. Intitulée « Economie informelle : concepts, modes opératoires et impacts », l'enquête va permettre de mieux cerner les activités informelles dans ses différentes dimensions : financement, production, commercialisation, et emploi. (A suivre)