La jeune réalisatrice algérienne Sofia Djama, dont le film «Les Bienheureux» vient d'être primé à la Mostra de Venise, a indiqué que son œuvre cinématographique ouvre des débats sur la société algérienne, sa vie de tous les jours, ses problèmes et contradictions. Ce long-métrage, le premier de Sofia Djama, qui fait partie de la nouvelle génération de cinéastes algériens, se veut un film qui ouvre des débats ancrés à la fois dans la société algérienne et dans l'universalité, comme la jeunesse, la relation humaine, la perception de l'autre, la spiritualité, la vie du couple, les désillusions, etc., a-t-elle expliqué dans un entretien à l'APS, considérant que nous Algériens, avons un problème de débats. Dans le film, j'ai voulu traverser les différents espaces socio-économiques dans des familles qui sont les héritières d'une histoire, d'un patrimoine, d'un passé pour laisser le choix, par la suite, aux spectateurs afin de tirer des conclusions, a-t-elle résumé, insistant sur le fait que «Les Bienheureux» (Essouâda' ou The Blessed), qui sortira le 13 décembre en France et en Belgique, a voulu laisser une fin ouverte pour une société qui doit débattre de ses problèmes avec sérénité. Je termine avec un plan large pour dire qu'on ne peut pas fermer le débat, sinon on ne pourrait pas avancer, a-t-elle précisé. Une joie immense Sofia Djama ne cache pas sa joie immense d'avoir pu montrer, à un public lointain de l'Algérie, l'effet de jeunesse, avouant que, lors de la projection en avant-première mondiale, elle ne s'attendait pas à la présence de 700 personnes venues voir le film. C'était pour moi une immense joie. On est en Italie, à la Mostra et l'Algérie est quelque chose de lointain. Ce n'est pas le même rapport public/film qu'en France. A la Mostra, on regardait le film sans clichés et sans se poser des questions, a-t-elle ajouté, se disant agréablement marqué et affecté par le standing ovation à la fin du film, une coproduction algéro-franco-belgo-émiratie. Je voulais que le film, adapté sur une de mes nouvelles, soit sous l'emprise d'un regard neuf sur un objet purement cinématographique, d'une narration et d'une histoire, a précisé cette native d'Oran qui se réclame Algéroise par le fait qu'elle vit dans cette ville qu'elle adore et qu'elle porte dans ADN. «Les Bienheureux», dont elle se réjouit d'avoir trouvé en premier lieu son titre en arabe (Essouâda'), raconte la vie des jeunes qui s'ennuient de leur ville (Alger) avec la Qonta (sentiment de désespoir) qui n'est pas cosmique, dit-elle, comme d'autres dans leur pays. Lina Khoudri, qui a reçu le Prix de la meilleure actrice, est un personnage un peu intrépide qui, par moment, elle est timide et blessée. Elle porte un peu son père, son frère en l'absence de sa mère, décédée. Mais, en même temps, elle est dans la vie, elle est joyeuse. Le trio du film ne fonctionne qu'avec l'humour, typiquement algérois qui n'est pas, dans le fond, méchant, a expliqué. Projection du film à Alger et soutien des cinéastes Sofia Djama, qui souhaite projeter son film à Alger vers la fin de l'année, n'a pas oublié de remercier vivement ceux qui ont aidé au tournage (Aurassi, mairie d'Alger, Etusa, SNTF et des particuliers). Leurs contributions nous ont aidés à faire beaucoup d'économies, a-t-elle précisé. Rendant un grand hommage aux comédiens, venus du néant, elle rappelle que l'opération de casting a concerné 500 personnes qui ont afflué de plusieurs villes d'Algérie. Les comédiens n'avaient pas d'expérience et n'avaient pas reçu de formation et ce serait dommage de les perdre, a-t-elle souligné, souhaitant redynamiser la formation en Algérie de tous les métiers de la production et de la postproduction cinématographiques. Il faudra, pour encourager la production algérienne, former dans les métiers du cinéma (son, mixage, montage, lumière, etc.). Le cinéma est une industrie et une économie. Il existe des talents en Algérie et qui sont, de plus, autodidactes et la nouvelle génération est excellente. Elle sait utiliser à bon escient les technologies de la communication, a ajouté cette réalisatrice qui a également remporté deux récompenses, pour des courts-métrages, au festival international : le Brian Award pour un film qui défend les valeurs de respect des droits humains et de la démocratie et le prix Lina Mangiacapre destiné à une œuvre qui change les représentations et les images des femmes au cinéma. Elle déplore, cependant, qu'en Algérie ce sont des individus qui font des films, alors que la nouvelle génération de cinéastes est en train de bouillonner et ne demandent qu'à être portés par l'Etat algérien dans leurs projets et production. En tant que cinéaste, a-t-elle dit, j'attends plein de choses des institutions de mon pays. Je vous avoue que j'étais triste de ne retrouver aucun officiel dans la délégation algérienne à la Mostra de Venise. Il y avait pourtant une opération de communication à faire, parce que c'est important, pour une production cinématographique, d'être portée par le pays. Nous accompagner c'est donner l'image d'une prise de conscience culturelle, comme ce qu'on le voit dans d'autres pays, a-t-elle conclu.