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«Je mets en garde le gouvernement contre une dérive économique»
Publié dans La Nouvelle République le 07 - 03 - 2018

Certains responsables vivent encore dans l'ère de l'utopie des années 1970/1980. Or, les contraintes internationales sont là et face aux mutations mondiales, la filière automobile connait des restructurations, des fusions et des délocalisations des grands groupes, avec des capacités de production élevées.
La majorité des segments publics et privés ayant besoin de devises aussitôt leurs comptes alimentés en dinars risquent de se porter à nouveau importateur en devises. Aussi, les propos rassurants de certains responsables comparant l'Algérie à des pays à potentiels productifs importants et affirmant le peu d'impacts inflationnistes sont-ils réalistes sans poser la problématique de l'accumulation future liée à de profondes réformes structurelles ? En cas ou n'existerait pas de dynamisation du secteur productif à terme, de versements de salaires sans contreparties productives et l'apparition de nouvelles rentes spéculatives par la planche à billets, nous aurons inéluctablement un scénario du Venezuela en semi faillite avec une inflation qui a fluctué en 2017 entre 700/900% qui comme l'Algérie excessivement dépendante des fluctuations du prix du pétrole, a été très touchée par la crise économique mondiale, et subit maintenant de plein fouet la baisse des cours pétroliers. En cas ou ces montants alimenteraient des dépenses improductives ou à faible valeur ajoutée comme le BTPH, nous aurons deux impacts.
Premier impact, une baisse du même niveau sur les revenus fixes notamment des salariés et des fonctionnaires l'Etat qui risquent d'avoir un revenu divisé par deux en termes de parité de pouvoir d'achat avec le laminage des couches moyennes, l'inflation réalisant une épargne forcée pour combler le déficit budgétaire avec le risque de la spirale, revendication sociales, hausse des salaires, inflation - hausse des salaires et inflation ; deuxième impact, avec un taux d'inflation supérieur ceux qui ont placé leur capital argent se trouvent pénalisés, accroissant encore plus la méfiance vis-à-vis du dinar, ce qui impliquera forcément le relèvement obligatoire des taux d'intérêts des banques si on veut éviter leur faillite, avec des taux d'intérêts élevés, frein de l'investissement productif et enfin le dérapage officiel du dinar avec un écart de 50% sur le marché parallèle, avec le renchérissement de tous les biens importés accélérant à son tour le processus inflationniste.
Deuxièmement, les statistiques douanières de fin 2017 montrent que les importations d'entrants pour les voitures ont approché 2 milliards de dollars pour environ cinq constructeurs dont la majorité par constructeur n'a pas dépassée 20.000 unités/an. Si seulement 20/25 feront du montage, uniquement pour ce segment, les sorties de devises risquent de dépasser largement en cas d'une vitesse de croisière seulement de 30.000 unités/an plus de 10 milliards de dollars an et avec une vitesse de croisière de croisière 120.000 unités/an pour chaque constructeur, pour être compétitif environ 40 milliards de dollars an.
Le marché locale a-t-il les capacités d'absorption et ces opérateurs, seront- ils capable d'exporter pour couvrir la partie sortie de devises. Ne devant pas être utopique le taux d'intégration de 40/50% ne peut se faire avant quatre à cinq ans. Une exportation pour réduire les couts et être compétitif, pour chaque constructeur doit avoir une capacité de production au minimum 100.000/150.000 unités sous réserve de la maitrise technologique et leur adaptation au nouveau contexte du marché mondial (voitures hybrides, électriques). Cela se répercutera forcément sur le niveau des réserves de change.
Troisièmement, quelle sera la balance devises des unités projetées ? D'autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar) seront presque importés devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux. Sans compter le manque à gagner de l'Etat de toutes des exonérations fiscales et bancaires qui actuellement n'ont pas permis la baisse des prix, devant dresser la balance devises de ces exonérations et le dérapage du dinar souvent invoqué par ces constructeurs. Car on ne construit plus actuellement une usine de voitures pour un marché local, l'objectif du management stratégique de toute entreprise étant devenu régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale, cette filière étant internationalisée avec des sous segments s'imbriquant au niveau mondial.
Comment dès lors ces micro-unités souvent orientés vers le marché intérieur, réaliseront le taux d'intégration prévue de 40/50% au bout d'environ cinq années, risquant de fermer (faillite ne pouvant faire face à la concurrence internationale) après avoir perçu tous les avantages qui constituent des subventions supportées par le trésor public d'où l'importance d'une régulation stricte de l'Etat pour éviter des transferts de rente au profit d'une minorité rentière. Troisièmement, les normes internationales, du seuil des capacités au niveau mondial se situent actuellement, donc loin du taux modeste mis en relief précédemment entre 200.000 et 300.000/an pour les voitures individuelles, environ 100.000 et plus unités/an pour les camions/ autobus et évolutives avec les grandes concentrations depuis 2009. La comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière ?
La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total c'est comme un ordinateur, le coût ce n'est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80%, ces mini projets seront –ils concurrentiels en termes du couple coûts/qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales ? Pour pouvoir intégrer efficacement, il faut un système de sous traitance performant, bon nombre de constructeurs mondiaux mutualisant certaines charges par l'externalisation, et pour pouvoir être rentable la production de pièces doit dépasser plusieurs centaines de milliers d'unités, parfois dépassant le million d'unités, fonction des marques qui ont des septicités pour attirer le consommateur.
Quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d'intégration acceptable qui puisse réduire les couts ? En faisant une comparaison avec les pays voisins où le taux d'intégration est plus élevé par rapport à l'Algérie, des experts ont souligné lors forum à El Moudjahid en ce mois de mars 2017 qu'en Tunisie, le nombre des entreprises sous-traitantes représente 20% des entreprises industrielles (1.000 entreprises de sous-traitance parmi 5.000 entreprises industrielles), alors qu'au Maroc, le taux est de 28% (2.000 entreprises de sous-traitance sur 7.000 sociétés industrielles). Et que le secteur industriel représente actuellement 6% seulement du PIB, alors que les besoins exprimés en matière d'équipement industriel et de toute autre composante industrielle et de pièces de rechange sont globalement de 25 milliard de dollars. Le nombre d'entreprises sous-traitantes recensées en Algérie est actuellement insignifiante dominées par des petites entreprises (TPE) avec moins de 10 employés et qu'environ 9000, soit 1%, activent pour le secteur industriel, le reste opérant soit dans le secteur commercial, la distribution, les services, le BTPH.
3.-Sans une vision, stratégique cohérente, la politique industrielle actuelle mène au gaspillage des ressources financières sans favoriser le développement. Sans une vision cohérente de la politique industrielle tenant compte de la forte concurrence internationale et des nouvelles mutations technologiques dans ce domaine, le risque est l'impasse à terme avec le gaspillage des réserves de change. Ne fallait –il pour le cas précis des voitures, pas par commencer de sélectionner trois ou quatre constructeurs algériens avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maitrisant les circuits internationaux avec un cahier de charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonctions de leur capacité.
Ainsi pour un taux d'intégration variant entre 0 et 10% les avantages doivent être limitées au maximum et devant leur fixer un deuil de production ne dépassant pas 5000 unités/an afin d'éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d'arriver à plus de 30.000/50.000 unités/an sans intégration, accroissant par là, la facture d'importation en devises des composants. Une politique industrielle sans la maitrise du savoir est vouée inéluctablement à l'échec avec un gaspillage des ressources financières. Aussi l'industrie automobile étant devenue capitalistique, (les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires) quel est le nombre d'emplois directs et indirects créés, renvoyant à la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l'automobile ? Et quelle sera le coût et la stratégie des réseaux de distribution pour s'adapter à ces mutations technologiques ?
Comme doivent être posées deux questions annexes aux analyses précédentes : premièrement, ces voitures fonctionneront-elles à l'essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire renvoyant d'ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l'allocation optimale des ressources ? Entre 2015/2016, pour le type de carburant utilisé, l'essence représente 65% et le gasoil 34%, l'utilisation du GPLC étant marginale ; deuxièmement, comment pénétrer le marché mondial à terme avec la règle des 49/51%, aucune firme étrangère de renom ne pouvant accepter cette règle rigide dans le cadre des exportations mondiales et donc avec le risque que l'Algérie supporte tous les surcoûts conduisant à l'endettement d'autant plus que l'Algérie risque de connaitre des tensions budgétaires entre 2018/2020 ?
Pourtant, il ne s'agit pas d'être contre ou pour la mise en place d'une industrie mécanique mais cette dernière doit être menée avec cohérence, pragmatisme et réalisme, existant un seuil de rentabilité pour avoir des prix compétitifs. En 2017, à tire d'exemple la production du Groupe Renault au Maroc, ce sont plus de 375.000 véhicules qui sont sortis des chaines de ses deux usines de Tanger et Casablanca, dont une grande fraction destinée à l'exportation pour couvrir la balance devises. Il semble bien que certains responsables algériens oublient que la mondialisation est bien là avec des incidences politiques et économiques, voulant perpétuer un modèle de politique industrielle dépassé des années 1970' qui ne peut que conduire le pays à une grande dépendance et à l'endettement à terme.
Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n'est qu'un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, l'intégration de l'économie de la connaissance, aucune politique économique n'a d'avenir, en ce XXIème siècle, face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution. L'Algérie doit investir tant dans les institutions démocratiques que dans des segments où elle peut avoir des avantages comparatifs : l'agriculture, le tourisme important gisement, les nouvelles technologies et dans des sous segments de filières industrielles tenant compte des profonds changements technologiques et une importante restructuration de cette filière qui est internationalisée.
Aussi, l'avenir de l'économie algérienne et intimement liée à une véritable stratégie tenant compte des nouvelles mutations mondiales impliquant forcément, une nette volonté politique d'approfondissement de véritables réformes macro-économiques, macro-sociales, micro-économiques et institutionnelles solidaires. D'une manière générale et c'est une loi économique, la richesse ne peut apparaitre que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, fondé sur l'économie de la connaissance et là est toute la problématique du développement multidimensionnel à ne pas le circonscrire qu'à l'Economique, le facteur culturel étant déterminant.
Aussi, la solution la plus sûre est d'avoir une vision stratégique, loin de tout replâtrage, les tactiques pour paraphraser les experts militaires, devant s'insérer au sein d'une fonction objectif stratégique ce qui fait cruellement défaut actuellement, Comme l'a instruit le président de la République, c'est d‘aller vers de profondes réformes structurelles et une mobilisation générale de toutes les composantes de la société sans lesquelles, l'on ne pourra pas faire émerger une économie diversifiée. Sans réformes, au-delà de 2020, il sera impossible de maintenir le niveau des réserves 97 milliards de dollars fin 2017 contre 195 début 2014) au vu de la situation économique.Avec l' hypothèse d'une exportation stable tenant compte de la forte consommation intérieure, les recettes (à soustraire 20% pour avoir le profit net) de Sonatrach à un cours de 60 dollars ne dépasseront pas 35 milliards de dollars (moins avec un cours de 50/55) avec des sorties de devises (biens –services, transfert légaux de capitaux) et en prenant l'hypothèse malgré toutes les restrictions que les sorties de devises entre 50/55 milliards de dollars, les exportations hors hydrocarbures étant marginales, entre 1 et 1,5 milliard de dollars entre 2010/2017.
Toutes les organisations internationales, Banque mondiale, FMI, la CEE ont mis garde l'Algérie contre une émission excessive de la planche à billets du fait de la spécificité de son économie, étant utopique de citer les expériences des pays développés. Evitons toutefois la sinistrose.
L'Algérie du fait de ses potentialités avec une nouvelle politique économique peut surmonter la crise. Existant un lien dialectique entre sécurité et développement, toute récession économique aurait des incidences sociales et politiques internes, posant la problématique de sa sécurité intérieure) mais également déstabilisatrices géostratégiques au niveau de la région méditerranéenne et africaine renvoyant à sa sécurité extérieure.
Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul
(Suite et fin)


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