La reprise des actifs pétroliers africains d'Anadarko par Total a été une occasion pour certains de polémiquer sur le retour en force de la France dans le secteur pétrolier, presque 48 ans après la nationalisation des hydrocarbures par Houari Boumediene. Certes, la crise politique traversée par notre pays depuis le 22 février n'a pas laissé indifférent les observateurs de la scène énergétique nationale et internationale. Une polémique accentuée par le fait que Total est un groupe français et que les manifestants dans la rue rejettent toute ingérence française ou étrangère dans les affaires algériennes. Pour enfoncer un peu plus le clou, des informations disant que la France prend gratuitement du gaz naturel algérien ont circulés et repris même par la rue. Chose qui rajoutera de l'huile sur le feu dans un environnement politique marqué par le lancement d'une vaste opération de lutte contre la corruption. Premier constat, Total ne sera pas un nouveau venu dans les champs pétroliers exploités par Anadarko, en partenariat avec Sonatrach. Dans les blocs 404 et 208 où Anadarko est partenaire, Total détient déjà 12,25 % de parts, Anadarko dispose de 24,5 %, tandis que Sonatrach reste majoritaire avec 51 %. Une fois l'accord finalisé, Total verrait sa participation passer à 36,75%. Avec une production moyenne de 320 000 barils par jour, le champ pétrolier concerné par la cession reste l'un des plus importants du pays. Par ailleurs, le groupe français détient également 26,4 % du champ de gaz naturel et de condensat de Tin Fouyé Tabankort, (TFT) à In Amenas. Enfin, et au mois de mars 2018, un nouveau champ gazier, situé dans la région de Timoumoun est entré en production. Total détient 37,75 % de parts dans ce nouveau gisement qui a une capacité de production de 5 millions de mètres cubes de gaz naturel par jour. En prenant possession des parts d'Anadarko, Total renforce ainsi sa présence dans le secteur pétrolier et gazier en Algérie. Mais la part du groupe français reste tout de même minime par rapport aux quantités de gaz naturel produites par Sonatrach et qui s'élèvent à plus de 130 milliards de mètres cubes annuellement. Concernant le pétrole, le poids de Total est infime dans le million de barils de pétrole produits annuellement par la compagnie pétrolière nationale. Au mois de mai 2018, la compagnie pétrolière nationale Sonatrach finalise à Rome le rachat de la raffinerie d'Augusta en Italie. Cette raffinerie appartient à Esso Italiana, une filiale à 100 % d'ExxonMobil. Ce rachat va soulever une grande polémique entre experts. Le PDG et le gouvernement, en poste au moment des faits, défendent cette acquisition en mettant en avant la réduction à court terme de la facture des importations de carburants de l'Algérie. Construite en 1949, la raffinerie d'Augusta a une capacité de traitement de dix millions de tonnes de pétrole brut par an. Le montant de l'acquisition avancé par l'ancien PDG de la compagnie pétrolière nationale s'élève à un milliards de dollars. Sonatrach doit également dépenser un montant supplémentaire de 210 millions de dollars, sur sept ans, pour dépolluer le site. Les montants à investir pour maintenir en marche cette raffinerie vétuste n'ont pas été dévoilés par l'ancien PDG de Sonatrach Les opposants à ce rachat ont, de leurs côté, mis en avant la vétusté de cette raffinerie ainsi que les coûts faramineux qu'entraineraient les opérations de réhabilitations. D'autres ont défendu l'idée de lancer rapidement le chantier de réalisation de la nouvelle raffinerie de Hassi Messaoud d'une capacité de cinq millions de tonnes, au lieu d'acheter une raffinerie à l'étranger dont la construction remonte à plus de 70 ans. Une nouvelle raffinerie à Hassi Messaoud aurait été alimentée en pétrole à partir de gisements situés à quelques centaines de kilomètres, alors que le pétrole nécessaire à la raffinerie italienne doit être transporté par des tankers. Un autre argument qui plaidait en défaveur de ce rachat, la qualité du pétrole raffiné par Augusta. C'est un pétrole lourd, en général produit par l'Arabie Saoudite et non par le Sahara Blend algérien qui est un pétrole léger. Selon un dirigent de Sonatrach, seuls 85 000 barils de pétrole par jour peuvent être injectés dans la raffinerie d'Augusta sur une capacité journalière de raffinage de 200 000 barils par jour. Le boom du pétrole de schiste permet aux Etats-Unis, pour la première fois de son histoire, de produire 12,5 millions de barils par jour. Pays énergivore par excellence, la première puissance économique et militaire dans le monde réalise doucement, mais sûrement son indépendance vis-à-vis des importations de pétrole et de gaz naturel. Pour renforcer leurs positions dans la production du pétrole de schiste, les grandes compagnies américaines mènent des batailles pour absorber des moyens et petits producteurs. En rachetant Anadarko Petroleum pour 57 milliards de dollars (dette incluse), Occidental Petroleum était le plus intéressé par les sites de production de pétrole de schiste aux Etats-Unis qu'à l'étranger. Pour preuve et juste après l'annonce de l'accord avec Anadarko Petroleum, Occidental Petrleum cède à Total les gisments de pétrole et de gaz naturel conventionnel exploités en Algérie, au Mozambique, le Ghana et l'Afrique du Sud. Anadarko Petroleum est très actifs dans le schiste américain, particulièrement dans le bassin du Permien, au Texas. Un bassin qui fournit quatre millions sur les 12 millions de barils/j de pétrole produit par les Etats-Unis actuellement. Il n'y a pas qu'Occidental Petroleum qui veut renforcer sa présence dans ce secteur. ExxonMobil, première compagnie pétrolière américaine produit déjà 226 000 barils de pétrole de schiste dans le bassin Permien et aspire à atteindre le million de barils en 2024. En Algérie, la demande en gaz naturel a explosé cette dernière décennie. En 2018, Sonatrach a produit 130 milliards de mètres cube de gaz naturel dont 42 milliards ont été consommés par le marché local. En 2028, les besoins du marché national atteindront les 67 milliards de mètres cube. À cette quantité, il faudrait rajouter un peu plus de 50 autres milliards à l'exportation ainsi qu'un important volume de gaz naturel injecté annuellement pour augmenter la pression dans les puits de pétrole. Sur le long terme, les réserves actuelles de gaz conventionnel ne suffiront plus à répondre au besoins du marché local et à l'exportation. Solution, Sonatrach doit inévitablement exploiter le gaz de schiste pour répondre à une demande sans cesse croissante en gaz naturel. D'où ce projet de partenariat avec ExxonMobil. Juste après la finalisation de l'accord d'achat de la raffinerie Augusta en Italie, Sonatrach a entamé des négociations avec le géant américain du pétrole pour un partenariat en Algérie. Il était question alors de signer un accord le 8 mars 2019 à Dallas, aux Etats-Unis. Mais le mouvement populaire du 22 février fera retarder la conclusion de ce partenariat qui permettrait à Sonatrach de bénéficier de l'expérience et de la technologie américaine dans l'exploitation des gisements de gaz de schiste dans le grand Sud algérien. Cette période d'incertitudes politiques ne peut pas durer dans le temps au risque de remettre en cause l'avenir économique du pays. Il y a urgence à ce qu'un pouvoir politique légitime émerge dans les plus brefs délais. D'importantes décisions concernant l'économie nationale ne peuvent être prises que par un gouvernement ayant une légitimité populaire.