Le lieu est majestueux, il reste poignant par la force de ses boiseries devenues immaculées, l'espace est magnifique par la déambulation qu'il permet. Au fond, on devine des espaces intimes, un peu obscurs qui accueillent selon les notes et paroles qu'ils dégagent que des images y sont projetées. La visite est curieuse, elle incite à la découverte, titille nos sens pour sûrement aller à la rencontre d'un être hors du commun. Pourtant, cet être est si proche de nous qu'il s'est invité beaucoup plus souvent qu'il n'y parait dans nos foyers ; lui c'est Ahmed Malek. Une rétrospective intitulée « Planète Malek », lui est consacrée au Mama, du 22 juin au 31 juillet 2019 avec cette curieuse question : Ahmed Malek dans un musée d'art moderne et contemporain ? La réponse s'impose d'elle-même, d'abord le Label artistico-musical «Habibi Funk» qui initie en premier lieu cette rétrospective assez originale dans son genre, ensuite la manière dont s'est présenté, et dernièrement pour l'essentiel. Ceux qui connaissent Ahmed Malek découvriront un personnage éminemment contemporain, délicieusement moderne, avec tous les attributs de la dernière vague, de l'envie de découvrir l'Autre et d'imposer par la grâce des croches et des doubles croches une vision de l'humanité, de l'existe, ce qui sort de l'ordinaire. Feu Ahmed Malek est donc bien à sa place dans ce musée qui a beaucoup de choses à nous dire encore. C'est donc avec les aides du MAMA, du CNCA, Ministère de la culture, le Goethe Institut d'Alger, l'Ambassade d'Allemagne à Alger, le label Habibi Funk et la famille Malek que cette très belle exposition s'est faite. Il faut dire que pour l'ouverture de cet évènement en juin dernier quelques proches comme Merzak Allouache, Safy Boutella Sid-Ali Mazif ou Djamel Bendeddouche ont été sollicités pour évoquer l'héritage d'Ahmed Malek, ou le rôle du compositeur dans l'expression par la musique, le ressenti d'un lieu un personnage ou comme contrepoint. Pour mieux saisir les limites d'un personnage hors du commun. Cette exposition réalisée d'une manière assez exhaustive nous donne un aperçu très complet sur la biographie de ce compositeur au génie indéniable sur un parcours éloquent axé sur une déambulation chronologique illustrant le chemin entrepris par l'enfant de Bordj-El-Kiffan, Fort de l'eau pour les puristes. Sur la suite logique de cette pérégrination dans la vie d'Ahmed Malek, avec force de photos, de disques, de documents divers, de coupures de presse ou de partitions, on saura qu'il est d'abord un autodidacte éclairé, né le 6 mars 1932 à Bordj-El-Kiffan, et que très tôt déjà il va s'investir, étant l'aîné de trois frères et une sœur à aider son père à quelques menus travaux. Il perdra sa mère à l'âge de 12 ans et commencera un parcours plus précis à la fin de ses études. Il intègrera le conservatoire d'Alger Centre et entame un cursus en musique. De là, sa carrière prendra un tour fabuleux, il fait quasiment le tour du monde grâce à sa carrière et on découvre alors dans cette exposition plusieurs facettes d'un personnage hors du commun, peu de gens connaissent son parcours qui le moins que l'on puisse dire est qu'il est farouchement atypique. Même sa fille, voyant ce personnage en gabardine poser comme un étrange gentleman pensera qu'il est un espion au service de l'Algérie. Ahmed Malek de Montréal, à Osaka et Cuba, deviendra un globe-trotter à la curiosité qui frise l'idée fixe, son leitmotiv est de connaître le monde dans ses plus petits secrets. Il ne faut point s'étonner de le voir à la pointe de la modernité, il acquiert le dernier matériel en date, les ordinateurs de dernière génération et fera beaucoup de compositions formidables, la composition jouée par lui à la flûte traversière pour le désormais film culte «Leïla et les autres» est une véritable prouesse qui est tout juste l'identité du film, si on se remet à écouter cette pièce, elle est un véritable joyau de musique Jazz. La composition du film, «Les vacances de l'Inspecteur Tahar», est tout simplement un trait de génie harmonique et éthnomusical car il traduit de fait tout l'esprit du film et son éclectisme, entre jazz, andalou, chaâbi, disco ou notes bluesy. Ahmed Malek a influencé, imprimé son style au cinéma algérien en lui donnant une identité musical aussi riche que possible, il était un musicien hors pair maîtrisant la contrebasse, la flûte traversière, l'accordéon, le piano... La grande culture d'Ahmed Malek lui a aussi fait faire des musiques pour des performers artistes plasticiens algériens, et participer à plusieurs actions artistiques en dehors du simple cadre musical, les témoignages vivants de Sid-Ali Hattabi, ancien journaliste de la RTA, sa fille Hania aussi rigolote qu'émouvante, les compères de toujours Aïda Guechoud, Mohamed Guechoud, leur fils devenu par la force des choses musicien, et bien d'autres sur les documentaires présentés dans cette rétrospective nous donnent les images d'un homme très cultivé, toujours à la recherche de la note qui parle, qui pleure ou qui donne le frisson. Il est probable que grâce à Ahmed Malek, nous puissions «voir» un film, juste en écoutant sa musique, le corpus qu'il a crée à cet effet est tout juste sensationnel, il présente à nos yeux et dans nos oreilles un faisceau d'indices artistiques de haut niveau qui résume en fait les nombreux «voyages» qu'il a entrepris pour mieux discerner le monde qui nous a construit, de l'Afrique à l'Asie en passant par les Amériques. Ce compositeurs aux centaines d'œuvres, réfugié dans un petit coin de son appartement a produit des œuvres nombreuses, magnifiques par leur élaboration savantes, et par leur évocation unique. Il restera un grand compositeur qui a sa part du lion dans l'esprit des gens et demeure pour l'éternité, tout simplement un grand artiste. La découverte, ou la redécouverte de ce personnage lumineux est fondamentale, courez y le Mama accueille le public avec plaisir. Exposition rétrospective autour d'Ahmed Malek, « Planète Malek », visible du 22 juin au 31 juillet 2019, au MAMA, 25 rue Larbi Ben M'hidi, entrée 200 DA.