En la matière, ce n'est pas seulement une nuance ! «À Bétrouna, précise Ali Zamoum, le PC de la wilaya (sic) 3 tint sa dernière réunion quelques jours avant le 1er novembre. [...] Krim nous donna les dernières recommandations [...] Puis, lentement, d'une voix grave, il nous dit : le déclenchement aura lieu le 1er novembre prochain à 0 heure»[8]. On ne peut être plus clair ! Affirmant l'autorité nationale et annonçant une ère nouvelle pour l'Algérie, celle de la libération, ces actions n'avaient pas besoin d'être trop nombreuses ni même trop destructrices... pour faire l'effet voulu. Leur seule survenue était significative... Des tableaux ont été dressés de ces actions, de leur nombre, de leurs localisations, de leurs résultats... sur la base des informations diffusées par les autorités coloniales et leurs médias mobilisés pour les dénoncer et les noircir idéologiquement [9]. Tel est l'état de cet important domaine de la guerre, l'information sur cette question que, pour tenter de comprendre ce qui s'est passé en cette aube naissante, les historiens épluchent ces données à partir des dossiers établis par les services de police et des tribunaux de la «drôle» de justice de ceux parmi les «22» et leurs soutiens qui ont été arrêtés ou qui sont tombés précocement au champ d'honneur. Ils peuvent s'en remettre aussi à ce qu'ils arrivent à tirer de l'étude des souvenirs recueillis de ceux des acteurs de cette épopée restés en vie... Sur le plan méthodologique, on ne peut ignorer que tout cela est faux ou vague comme tout ce qui a été réinterprété par la mémoire de trop d'individus différents [...] Ces bribes de faits crus connus sont cependant entre «cette aube du 1er novembre 1954 et nous la seule passerelle viable ; ils sont la seule bouée qui nous soutient [...] sur la mer du temps. C'est avec curiosité que [nous nous mettons] à les rejointoyer pour voir ce que va donner leur assemblage...»[10] Que disent précisément ces tableaux ? On y note que les cinq zones délimitées par les «Six ont été le théâtre d'attaques armées, mais que, paradoxalement, dans l'Algérois (zone 4), aucune action n'a été engagée dans l'Ouarsenis», et que la même «abstention a été observée pour la ville de Constantine, contrairement à Alger et Oran... Si, pour la Capitale de l'est, cela s'explique (comme nous l'avons fait plus haut)... il n'en est pas de même pour le troisième «môle sociologique «dont la réserve de signifiance n'a pas été mobilisée, malgré la présence sur place et les efforts des membres des «22» chargés de la zone 4 (l'Algérois), Bitat, Souidani et Bouch'aïeb. On a pu penser que le point faible était Bitat qui n'a été versé à la direction de la zone qu'au dernier moment en permutant avec Didouche[11]. Mais ses deux adjoints étaient depuis un bon moment chez eux, installés pour y protéger leur clandestinité militante. Boudjemâa y avait même tissé des liens solides en y fondant un foyer... C'est dire qu'ils connaissaient bien la région et ses militants, mais... les informations manquent pour que l'on puisse savoir le rôle qu'a tenu Souidani dans la zone dont la responsabilité lui été assignée comme un des adjoints de Bitat : on le signale, dans une des actions du 1er novembre, à Boufarik où «grâce à la complicité (sic) du caporal-chef Saïd Bentobbal», le commando qu'il dirige avec Ouamrane peut «se saisir des armes du poste de garde...»[12] et incendier le dépôt de la coopérative des agrumes. Puis on n'entendra plus parler de lui jusqu'à la date fatidique du 16 avril 1956 où il tombe au champ d'honneur en voulant forcer un barrage de gendarmes près de Koléa... Quant à l'autre adjoint, Bouch'aïb, il a été arrêté dès les débuts de la révolution (où ? comment ?)... Un troisième novembriste, natif, lui, de la région l'Ouarsenis, Omar Benmahdjoub, n'a fait parler de lui que lorsque la direction de la wilaya 4, après le congrès de la Soummam, l'a envoyé à l'étranger... Que pouvaient-ils devant le puissant blocage politique de l'appareil «centraliste» qui a intelligemment tourné la neutralité de la base militante vis-à-vis de la crise de la direction du MTLD en abstention envers la lutte armée... ? On sait que Abdesslam et Mehri ont fait état d'un changement centraliste vis-à-vis de la lutte armée[13]. Mais il ne se confirme pas dans cette abstention. Sans doute, l'appareil centraliste attendait-il un retour d'écho de la mission de ses chefs-émissaires, Lahouel-Yazid partis au Caire... Ce que semble indiquer le fait que les divers responsables de l'appareil du MTLD, (chefs de wilaya, de daïra, etc.) gèlent soudain leurs activités et donc celles des militants qu'ils ont en charge, et s'effacent du champ politique[14]... Là se situerait l'explication du vide militant rencontré par les hommes de Novembre, la non-réponse de la base du parti nationaliste dont les coupait l'appareil centraliste... C'est sans doute, cette abstention annoncée qui aurait suscité de la part de Boudiaf sa fameuse boutade, à une rencontre à Ouled Y'aich dans la proche banlieue de Blida... ; s'adressant à Lahouel et ses affidés centralistes, dans leur fief, il leur aurait crié que la lutte armée sera lancée même si l'on doit faute de mieux s'appuyer sur «les singes de la Chiffa» ! Cette situation de blocage explique la précaution que les «6» ont prise en chargeant Krim de prévoir une aide à la zone. Ali Zamoum signale qu'à la réunion de Betrouna, «nous avons désigné une quinzaine d'éléments pour une mission spéciale : aller en renfort en Mitidja pour mener là-bas des attaques contre une caserne et d'autres objectifs. C'est Ouamrane qui dirigea ce groupe.»[15] Ainsi, en dehors d'Alger, où les actions ont été menées sous la houlette de ceux des «22» chargés de la Capitale Bouadjadj et Merzougui, pour celles qui l'ont été dans le reste de la zone il y a fallu cette indispensable rescousse de la zone 3 (Kabylie) avec la petite troupe dirigée par Ouamrane... Cette intervention des «Kabyles» – aussi nécessaire fût-elle pour que la zone 4 ne fût pas absente à l'appel révolutionnaire – a sans doute eu l'inconvénient d'accréditer auprès de la base centraliste la fausse idée de l'accointance du mouvement avec des éléments au «messalisme» patent... C'est dire la gravité du blocage centraliste en zone 4 ! blocage qui n'a pas été ébranlé par les actions du 1er novembre, comme l'a été la citadelle coloniale ! Le verrou est si efficient que la décision est prise – notamment après l'arrestation de Bitat, qu'une partie de la direction novembriste de Kabylie, placée sous l'autorité de Ouamrane, prenne en charge la direction et l'organisation de la lutte de résistance de la zone... ... Une solution de force pour briser le verrou ? Entre temps, heureusement, le FLN s'enrichit d'une recrue de qualité, quasiment miraculeuse. Abbane, qui vient de sortir de prison (10 janvier 1955)[16], n'hésite pas à répondre aux sollicitations de Krim pour qu'il seconde Bitat dans sa tâche jusque-là insurmontable... Il trouvera la solution radicale au problème dont malheureusement ce dernier, bientôt arrêté (15 mars 1955), ne pourra pas profiter, mais qui sera bénéfique à ses successeurs et leur évitera d'utiliser la manière forte ? Ajoutons, concernant cette zone centrale, qu'elle l'est à tous les points de vue... et notamment du fait qu'elle est le centre du pouvoir colonial – de son commandement politique et armé – et où, face à l'Ouarsenis se tient – protégé par le réseau des plus grandes casernes du pays – le puissant colonat de la Mitidja que dirige la non moins puissante organisation des maires d'Algérie... et pour compléter ce tableau, du côté «indigène», installé comme une grosse verrue au pied de l'Ouarsenis, le grand centre harki du Bachagha Boualem dans les Beni Boudouane ! Décidément, la zone centre fait un mauvais départ... Et le 1er Novembre zone 3 ? Heureusement, la zone 4 trouve à ses côtés la zone 3 qui, elle, réussit son «1er Novembre», si on se réfère à ce qu'en a dit un de ses animateurs, Ali Zamoum. Il a eu le temps de participer à l'événement et de décrire comment et avec quels hommes il a été déployé, jusqu'à cette «fin février 1955» où il tombe entre les mains de l'ennemi... Là aussi, les premières actions n'ont pas toutes abouti et certains militants se sont même rétractés. L'engagement étant volontaire, ils sont retournés dans leurs foyers, en laissant cependant leurs armes... Mais ces actions ont fait leur effet obligeant l'armée coloniale à se déployer dans la région... S'ensuit alors le développement d'une véritable guerre contre un mouvement qui tend à assurer la juste mesure entre affirmer sa présence : «embuscades, exécution de traitres, sciage de poteaux... », et consolider et protéger son implantation et son organisation : «des jeunes commençaient à demander à s'enrôler... Certains revenaient spécialement de France...» –, en évitant l'affrontement avec l'ennemi... «On apprenait les premières morts et les arrestations massives... Bref, nous avons perdu beaucoup d'homme en ces débuts de l'insurrection...»[17] Si malgré ces pertes, la zone trouve encore à aider les autres... cela tient à la façon dont se sont engagés ses chefs et à leur tête le grand Krim. Qui a su adroitement maintenir la cohésion des hommes de l'OS de la région et la pérennité de leur structure en vue de l'objectif pour lequel elle a été créée... en appui intelligent sur Messali pour pouvoir ignorer l'ordre «centraliste» de sa dissolution... et en ne prenant la décision de rejoindre les «22» qu'après leur claire rupture avec le CC dans le CRUA ; mais également seulement après avoir dûment participé au congrès d'Hornu et constaté qu'on n'y mettait pas la lutte armée à l'ordre du jour... (A suivre)