Après les manifestations pro-démocratiques du Printemps arabe en 2011, de nombreux partis islamistes ont été autorisés à se présenter aux élections dans la région MENA, dans certains cas pour la première fois. Ils ont raflé des sièges parlementaires dans certains pays et pris le pouvoir dans d'autres, notamment au Maroc, où les remaniements opérés par le roi Mohammed VI ont ouvert la voie au PJD pour former une coalition gouvernementale.Les électeurs marocains se sont rendus aux urnes le 8 septembre 2021 pour choisir un nouveau parlement et des dirigeants locaux lors d'élections remodelées par la pandémie, dans un contexte de désillusion généralisée à l'égard de la gouvernance des islamistes au pouvoir depuis une décennie. Environ 18 millions de personnes étaient attendues pour voter mercredi 8 septembre, la troisième fois depuis l'introduction d'une nouvelle constitution en 2011 dans le sillage du mouvement du 20 février, version locale du Printemps arabe. Le PJD mis en déroute Avec les résultats définitifs annoncés le jeudi 9 septembre, deux partis libéraux ont célébré leur victoire aux élections marocaines : le Rassemblement national des indépendants (RNI) et le Parti authenticité et modernité (PAM) ont remporté respectivement 102 et 87 sièges, selon les résultats préliminaires avec la plupart des votes dépouillés, tandis que le parti de centre-droit Istiqlal semblait en passe de remporter 81 sièges dans l'assemblée de 395 sièges du pays. Les ministres du RNI contrôlaient les portefeuilles économiques clés de l'agriculture, des finances, du commerce et du tourisme dans le gouvernement sortant. Par contre, le parti islamiste qui a dirigé la coalition au pouvoir dans le pays au cours de la dernière décennie, le Parti de la justice et du développement (PJD), a vu son soutien s'effondrer, passant de 125 à seulement 13 sièges. Il avait pourtant dénoncé de « graves irrégularités » lors du scrutin, accusant ses rivaux d'acheter des voix. Le PJD s'était plaint de « graves irrégularités » lors du scrutin. «Nous sommes très inquiets alors que nous observons le déroulement de l'élection nationale. Nous avons constaté plusieurs irrégularités», a déclaré le parti. Le PJD a accusé les partis d'opposition, tels que le Rassemblement national des indépendants (RNI), d'acheter des voix. Le milliardaire et ministre de l'agriculture Aziz Akhannouch, chef du parti RNI, a qualifié les attaques du PJD d'«aveu d'échec». Le parti de l'Istiqlal (Indépendance), le plus ancien du Maroc, a fait un retour remarquable, obtenant 32 sièges supplémentaires. L'ampleur de la défaite du PJD était inattendue car, malgré l'absence de sondages d'opinion qui sont interdits à l'approche des élections, les médias et les analystes avaient cru que le PJD prendrait encore la première place. Porté au pouvoir dans le sillage des soulèvements de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le PJD avait espéré obtenir un troisième mandat à la tête d'une coalition gouvernementale. Le taux de participation a été de 50,35%, selon le ministre de l'Intérieur, ce qui est supérieur au taux de 43% enregistré lors des précédents scrutins législatifs en 2016, mais inférieur aux 53% enregistrés lors des élections locales de 2015. Les élections ont été surveillées par 4.600 observateurs locaux et 100 autres venus de l'étranger. Les nouvelles règles de vote devraient empêcher les grands partis de remporter autant de sièges qu'auparavant, ce qui signifie que le RNI devra entamer des négociations de coalition pour former un gouvernement. Bien qu'il soit le parti le plus important depuis 2011, le PJD n'a pas réussi à empêcher l'adoption de lois auxquelles il s'oppose, notamment une loi visant à renforcer la langue française dans l'enseignement et une autre autorisant l'utilisation du cannabis à des fins médicales. Le vote s'est déroulé dans des circonstances normales Toutefois, le ministre de l'Intérieur a déclaré que le vote s'est déroulé «dans des circonstances normales», à l'exception de quelques incidents isolés. La campagne électorale, courte et en grande partie terne, sans grands rassemblements en raison du coronavirus, avait déjà été entachée d'accusations d'achat de voix. Le PJD et le RNI ont également échangé des propos virulents dans les derniers jours précédant le scrutin.L'ancien Premier ministre et chef du PJD, Abdelilah Benkirane, a attaqué le patron du RNI, l'homme d'affaires milliardaire et ministre de l'Agriculture Akhannouch, dans une vidéo Facebook enflammée dimanche. «Le chef du gouvernement doit être une personnalité politique intègre et au-dessus de tout soupçon», a-t-il déclaré. Akhannouch a rétorqué dans une interview lundi que ces attaques étaient «un aveu d'échec» de la part de ses adversaires. Pour la première fois depuis les premières élections organisées au Maroc en 1960, les parts de sièges des partis seront calculées en fonction des électeurs inscrits, plutôt que de ceux qui ont effectivement voté, dans un amendement considéré comme favorisant les petits partis. Quel que soit le résultat, les partis politiques devraient adopter une charte pour un «nouveau modèle de développement» avec une «nouvelle génération de réformes et de projets» dans les années à venir, a annoncé récemment le roi Mohammed VI. Tous les partis devraient y souscrire, quel que soit le vainqueur de l'élection. Les principaux objectifs du plan consistent à réduire l'écart de richesse du pays et à doubler la production économique par habitant d'ici 2035. Toutefois, au cours de la campagne électorale, la plupart des partis ont ignoré les questions relatives aux libertés individuelles, en particulier l'appel lancé par certains militants en faveur de la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage, un sujet de discorde au Maroc. Nouveau système électoral : risque d'un parlement divisé Les électeurs choisiront 395 députés à la Chambre des représentants et 678 sièges aux conseils régionaux en vertu d'une nouvelle loi qui calcule l'attribution des sièges en fonction du nombre d'électeurs inscrits, plutôt que du nombre de ceux qui ont effectivement voté. Un tel système électoral pourrait rendre plus difficile le maintien au pouvoir du PJD. Bien que les sondages électoraux soient interdits, les analystes s'attendent à ce que le PJD perde du terrain face à ses rivaux plus favorables à l'établissement, le Rassemblement national des indépendants (RNI) et les partis Authenticité et Modernité (PAM), qui se définissent comme des sociaux-démocrates. Les changements – selon lesquels les sièges sont accordés en fonction du nombre d'électeurs inscrits plutôt que du nombre de ceux qui ont effectivement voté – pourraient voir le parti perdre sa majorité. Les analystes craignent que la nouvelle méthode d'attribution des sièges parlementaires ne fracture davantage le paysage politique marocain et ne produise un parlement très divisé qui aurait besoin d'une coalition pour former un gouvernement. Les principaux concurrents du PJD sont le parti du Rassemblement national des indépendants (RNI) et le parti Authenticité et modernité (PAM). Alors que certains restent sceptiques quant à la valeur des élections, d'autres placent leurs espoirs dans le vote du mercredi 8 septembre. Education insuffisante du public sur le processus d'inscription des électeurs Le droit international concernant l'obligation de l'Etat de faire comprendre le processus d'inscription sur les listes électorales aux citoyens ne pourrait être plus clair. Le document d'interprétation des Nations unies concernant l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques –PIDCD- stipule que «les Etats doivent prendre des mesures efficaces pour s'assurer que toutes les personnes ayant le droit de vote sont en mesure d'exercer ce droit. Lorsque l'inscription des électeurs est requise, elle doit être facilitée et aucun obstacle ne doit être imposé». L'éducation des électeurs et les campagnes d'inscription sont nécessaires pour garantir l'exercice effectif des droits de l'article 25 par une communauté informée compte tenu de l'incompréhension généralisée du processus d'inscription et des documents requis lors des d'inscription et les exigences en matière de documentation lors des récentes élections, on ne peut pas dire que le Maroc remplisse adéquatement ses obligations en vertu de l'article 25. Le gouvernement, en collaboration avec la société civile, doit s'engager dans des efforts plus larges et plus robustes afin de s'assurer que les citoyens disposent des informations dont ils ont besoin pour exercer leur droit de vote, en commençant par le processus d'inscription. Dans le système marocain, le ministère de l'Intérieur a autorité sur le processus d'enregistrement. Cela va à l'encontre de la pratique de plus en plus répandue dans les Etats du monde entier, qui consiste à établir des organes de gestion des élections totalement indépendants de la branche exécutive du gouvernement. L'observation générale 25, paragraphe 20, déclare : «Une autorité électorale indépendante doit être établie pour superviser le processus électoral et veiller à ce qu'il se déroule de manière équitable, impartiale et conformément aux lois établies qui sont compatibles avec le Pacte». Restrictions en matière d'éligibilité Selon la loi marocaine, les citoyens naturalisés doivent attendre cinq ans avant de pouvoir voter. Cette disposition est contraire l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques –PIDCP-, comme l'indique l'Observation générale 25, paragraphe 3 : «Les distinctions entre ceux qui ont droit à la citoyenneté par la naissance et ceux qui l'acquièrent par naturalisation peuvent soulever des questions de compatibilité avec l'article 25». En outre, de très nombreux groupes de citoyens sont exclus du droit de vote, plus que dans de nombreux pays. Pour se conformer aux obligations internationales, le gouvernement marocain devrait envisager de rendre le vote accessible à un plus grand nombre de citoyens. Cela s'applique en particulier à ceux qui ont été condamnés pour des délits mineurs et ceux qui ont fait faillite. L'observation générale 25 établit que le droit de vote ne peut être limité que par des restrictions raisonnables, fondées sur des critères objectifs et raisonnables et précise que : «Si la condamnation pour une infraction est un motif de suspension du droit de vote, la durée de cette suspension doit être proportionnée à la gravité de l'infraction». En vertu de la loi marocaine, les membres de l'armée, de la police et «certains autres fonctionnaires» ne peuvent pas s'inscrire sur les listes électorales pour les élections générales, mais ils peuvent le faire pour les référendums nationaux. Les électeurs marocains ont porté les partis libéraux au pouvoir et rejeté les islamistes du PJD avec l'espoir d'un nouveau départ après la pandémie qui a exaspéré l'économie du pays et le pouvoir d'achat des citoyens pendant presque deux ans. Les Marocains gardent l'espoir que la nouvelle équipent gouvernementale donnera le coup de fouet nécessaire pour la relance économique et créera des emplois pour une jeunesse désœuvrée et investira dans le développement tant attendu pour une équité territoriale et une justice sociale tant souhaitée. Amen !