La situation politique et sécuritaire en Ukraine se détériore. Cela arrive au moment où les Occidentaux peinent à parler d'une même voix dans la crise avec la Russie. En face, l'Allemagne a clairement pris ses distances, avant-hier, avec l'assurance affichée par Washington qu'une attaque de l'Ukraine était imminente. A l'issue d'une réunion du forum G7 que son pays préside actuellement, la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock, a déclaré : «Dans les situations de crise, le pire est de présumer ou d'essayer de deviner ce qui va se passer ». Le but de la rencontre était précisément de coordonner le camp occidental face à Moscou. La veille, le président américain Joe Biden s'était dit, pour la première fois, «convaincu» que Vladimir Poutine avait décidé d'envahir l'Ukraine «dans les prochains jours», et que la multiplication des heurts visait à créer une «fausse justification» pour lancer l'offensive. «Nous ne savons pas si une attaque est déjà décidée», a commenté Annalena Baerbock dans un ferme recadrage en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich, événement annuel qui accueille jusqu'à hier les dirigeants internationaux. Interrogée à plusieurs reprises sur les affirmations américaines, la ministre s'est contentée de répondre: «Nous voyons qu'il existe différents scénarios, que différents scénarios se dessinent. » «Nous ne pensons pas qu'il faille paniquer», a renchéri un peu plus tard le président ukrainien Volodymyr Zelensky devant un parterre de diplomates et d'experts du monde entier. Par ailleurs, et depuis près de trois mois, par des fuites régulières dans la presse et des déclarations publiques, Washington n'a cessé de sonner l'alerte sur les préparatifs d'une offensive russe en Ukraine. La crainte de Washington s'est transformée en certitude affichée ces dernières heures avec la multiplication des violations du cessez-le-feu entre séparatistes prorusses et forces ukrainiennes qui se battent depuis 2014 dans l'est de l'Ukraine. Ce scénario de mise en scène de la tension par Moscou inquiète l'Allemagne et les Européens qui s'en sont alarmés à plusieurs reprises. Début février, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrel, avait déjà appelé à «éviter» les «réactions alarmistes» dans cette crise au long cours. «La menace contre l'Ukraine est bien réelle», a déclaré samedi Mme Baerbock dont le gouvernement ne cesse de répéter que Moscou porte «la responsabilité» d'un risque de guerre en Europe. Mais «nous devons avant tout veiller à ne pas être victimes d'une désinformation ciblée», a mis en garde la ministre allemande. Dans ce contexte, le libre accès des observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) aux terrains de crise en Ukraine «est essentiel», a-t-elle souligné. «Ils sont en ce moment les yeux et les oreilles de la communauté internationale (…) Ils sont ceux qui peuvent toujours éclairer ce qui se passe réellement sur le terrain», selon Annalena Baerbock. Le président ukrainien a évité pour sa part de trop s'avancer sur les affirmations américaines : «Il m'est difficile de juger comment les Etats-Unis devraient utiliser leurs renseignements», a-t-il déclaré à Munich. Tout en se disant «reconnaissant» pour les informations partagées par les Américains, il a affirmé faire confiance en priorité «aux services de renseignement ukrainiens, qui comprennent ce qui se passe le long de nos frontières». D'autre part, Volodymyr Zelensky avait d'ailleurs décidé de maintenir son déplacement en Allemagne alors que Joe Biden s'était demandé la veille s'il était «sage» qu'il s'absente de son pays dans ce contexte de tensions. «Plus l'Europe et l'Amérique se concerteront, plus nous aurons de succès», a soutenu le chancelier allemand Olaf Scholz samedi, tandis que la vice-présidente américaine, Kamala Harris, célébrait un niveau de cohésion rarement atteint dans le camp occidental. L'ombre du gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie à l'Allemagne et attend toujours sa certification par l'autorité de régulation allemande du secteur de l'énergie, pourrait cependant ressurgir dans les relations entre Washington et Berlin si de nouvelles sanctions devaient être imposées contre la Russie. Le gouvernement allemand a fini par admettre que le gazoduc controversé ne serait pas épargné en cas de mesures punitives, mais s'est gardé de préciser comment cette infrastructure stratégique serait pénalisée.