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La possible réconciliation autour du savoir
Algérie-France
Publié dans La Nouvelle République le 11 - 09 - 2022

Un premier bilan rapide de la visite du président Emmanuel Macron est que, objectivement, des efforts ont été faits et par-dessus tout, il y a, exception faite pour le septennat de Jacques Chirac, une volonté d'avancer, sauf que les fondamentaux du contentieux mémorial demandent à être éclaircis. On peut comprendre que chaque pays défende ses intérêts, mais nous n'avons pas perçu de rupture franche. Des partenariats, l'Algérie en a déjà signés avec les locataires de l'Elysée, mais avec le résultat que l'on connaît. Par ailleurs, les Algériens et les Algériennes auraient sans doute apprécié que le Président français se recueille devant les icônes et martyrs de la Révolution. Le Président Macron se recueillant à El Alia, devant le monument de l'Emir, cela aurait eu une symbolique extraordinaire. Il en est de même que rendre visite à Roger Hanin aurait été, de mon point de vue, beaucoup mieux apprécié que d'inviter une personne du culte clivante. Plus délicat aussi, réduire l'immense culture algérienne au raï est très réducteur. Pis encore, la France semble miser sur une vision occidentale de la culture. Ce qui ne peut qu'ajouter un « accroc » de plus dans l'ambition permanente de l'Algérie de consolider un projet de société rassembleur, notamment sur le plan d'une culture multiple.
Enfin, il me semble que les intentions sont nombreuses, c'est un véritable catalogue à la Prévert. Je vais proposer quelques idées pour l'avancement de deux dossiers. La mémoire avec la nécessité d'un état des lieux sans concurrence victimaire, car en l'occurrence, il n'y a pas photo entre la victime et le bourreau. Le deuxième dossier est d'aller d'une façon généreuse pour comprendre une mobilité choisie par les deux partenaires, aussi bien la France que l'Algérie qui auront à gagner. Le chemin de la réconciliation a un prix, celui d'aider l'Algérie à un saut technologique qualitatif, qui est un acompte sur la dette du savoir.
Le président Macron a effectué une visite d'amitié en Algérie, vieille nation trois fois millénaire. Il était accompagné par 42 citoyens français ayant aussi, pour certains, une double nationalité. On peut applaudir pour eux à ce retour à l'alma mater, qui n'arrête pas d'être revendiquée sans apport véritable. Gageons que les accompagnateurs puissent être des ponts et œuvrent à être des artisans d'un rapprochement des deux peuples.
Plusieurs entretiens ont permis d'abord une évaluation de ce qui a été fait ces dernières années. Ainsi, les entretiens ont permis « l'évaluation de la réalisation des objectifs de la Déclaration d'Alger sur l'amitié et la coopération, établie entre les deux pays en 2012 », Pour le président de la République Abdelmadjid Tebboune, il a été convenu avec le président français Emmanuel Macron d'ancrer une nouvelle orientation de renforcement des relations bilatérales, fondée sur l'établissement d'un partenariat global d'exception, selon les principes du respect et de la confiance mutuels et de l'équilibre des intérêts entre les deux états.
Dans une déclaration de presse commune, à l'issue des entretiens avec son homologue français, le président Tebboune a déclaré : « Nous avons évoqué ensemble tous les volets ayant trait à la coopération bilatérale et les moyens de la renforcer, en vue de servir les intérêts communs de nos deux pays et de garantir à nos relations, tous domaines confondus, un élan qualitatif à même d'assurer une consécration de la nouvelle orientation que nous avons convenu d'ancrer. Cette même orientation est fondée sur l'établissement d'un partenariat global d'exception conformément aux principes du respect et de la confiance mutuels, et de l'équilibre des intérêts entre les deux Etats », a-t-il soutenu. « La franchise habituelle » démontre « la particularité, la profondeur et la diversité des relations qui lient nos deux pays, ceux-ci englobant l'ensemble des domaines, allant de l'histoire commune et de la mémoire, au dialogue et à la coordination sur les questions régionales et internationales d'intérêt commun ». Cette visite marque la volonté « d'impulser une vision nouvelle basée sur un traitement d'égal à égal et l'équilibre des intérêts ». « Le passé, nous ne l'avons pas choisi. Nous en héritons, c'est un bloc, il faut le reconnaître. Nous avons une responsabilité. C'est de construire notre avenir pour nous-mêmes et nos jeunesses », a dit Emmanuel Macron. « Nous allons travailler pour pouvoir traiter les sujets plus sensibles de sécurité, mais qui ne doivent pas empêcher de développer des plans de mobilité choisis pour nos artistes, nos sportifs, nos entrepreneurs, nos universitaires, nos scientifiques, nos responsables politiques d'une rive à l'autre de la Méditerranée, de bâtir davantage de projets communs », a annoncé Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat français a annoncé la création d'un fonds spécifique de soutien de 100 millions d'euros et souhaite bâtir des initiatives communes sur le plan scientifique et diplomatique. « Je souhaite que ce fonds puisse accompagner nos diasporas et nos binationaux sur les projets qu'ils auront à conduire dans ce secteur », a dit Emmanuel Macron.
La Déclaration d'Alger : un partenariat privilégié
« Soixante ans après l'indépendance de l'Algérie, et dans l'esprit des Déclarations d'Alger de 2003 et de 2012, la France et l'Algérie, fortes des liens humains exceptionnels qui les unissent et résolument déterminées à promouvoir leur amitié et à consolider leurs acquis en matière de coopération et de partenariat, renouvellent leur engagement à inscrire leurs relations dans une dynamique de progression irréversible à la mesure de la profondeur de leurs liens historiques et de la densité de leur coopération. (...) La France et l'Algérie décident d'inaugurer une nouvelle ère de leurs relations d'ensemble en jetant les bases d'un partenariat renouvelé. Ce nouveau partenariat privilégié, devenu une exigence dictée par la montée des incertitudes et l'exacerbation des tensions régionales et internationales, fournit un cadre pour concevoir une vision commune et une démarche étroitement concertée pour faire face aux nouveaux défis globaux (crises globales et régionales, changement climatique, préservation de la biodiversité, dans le respect du droit international et dans l'esprit du multilatéralisme ».
« La France et l'Algérie décident de rehausser leurs concertations politiques traditionnelles par l'institution du « haut conseil de coopération » au niveau des chefs d'Etat. Le haut conseil de coopération supervisera les activités des différents mécanismes de la coopération bilatérale et donnera les grandes orientations sur les principaux axes de coopération. « S'agissant du dossier histoire et mémoire, les deux parties entreprennent d'assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la mémoire. Elles conviennent d'établir une commission conjointe d'historiens français et algériens chargée de travailler sur l'ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre d'indépendance. Ce travail scientifique a vocation à aborder toutes les questions, y compris celles concernant l'ouverture et la restitution des archives, des biens et des restes mortuaires des résistants algériens, ainsi que celles des essais nucléaires et des disparus, dans le respect de toutes les mémoires. Ses travaux feront l'objet d'évaluations régulières sur une base semestrielle ». « En ce qui concerne la dimension humaine et la mobilité, conscientes que les liens humains constituent le vecteur, par excellence, de la redynamisation effective du partenariat bilatéral, les deux parties conviennent d'engager une réflexion pour que la circulation des personnes entre les deux pays soit organisée et encadrée pour être pleinement respectueuse des lois, intérêts et contraintes du pays d'accueil, tout en favorisant des échanges humains liés aux dynamiques économique, sociale, académique et touristique entre deux pays et deux sociétés partageant des liens multiples, avec pour objectif d'encourager la mobilité entre les deux pays, notamment pour les étudiants, entrepreneurs, scientifiques, universitaires, artistes, responsables d'associations et sportifs, permettant de conduire davantage de projets communs. Elles s'engagent, par ailleurs, à valoriser le potentiel que représentent la communauté algérienne en France et les citoyens binationaux dans le développement de la relation bilatérale et à appuyer les projets que ces acteurs portent en ce sens en France comme en Algérie. L'appui à des projets d'investissement d'avenir en France et en Méditerranée, initiés notamment par les PME, à travers le fonds de 100 millions d'euros pour les entrepreneurs issus de la diaspora maghrébine qui sera implanté à Marseille ».
La dimension sécuritaire : un paramètre important dans une région aussi fragile
Pour la première fois, les présidents et les services de sécurité des deux côtés, y compris l'armée, « pour la première fois depuis l'indépendance » de l'Algérie en 1962, annoncent des actions communes « dans l'intérêt de notre environnement géopolitique ». Pour Alger, la visite d'Emmanuel Macron consacre son rôle stratégique en Afrique du Nord, sachant que l'Algérie partage 1400 kilomètres de frontières avec le Mali, d'où la France a dû se retirer récemment, et près de 1000 kilomètres avec la Libye, plongée dans le chaos depuis la chute de Kadhafi, et qui a connu ce samedi 27 août un regain de violence inquiétant.Ayant perdu pied au Mali, il était, en effet, important pour la France de retrouver des rapports de pleine confiance avec l'Algérie, dont la profondeur géographique et l'influence au Mali ne sont pas négligées. Pour « rehausser » le niveau de « leurs concertations », Paris et Alger vont instaurer un « haut conseil de coopération » au niveau des chefs d'Etat, qui se réunira « tous les deux ans », alternativement à Alger et à Paris, pour examiner les questions bilatérales, régionales et internationales d'intérêt commun.
Production du système éducatif algérien pendant 132 ans Pour avoir une idée du gap scientifique de l'Algérie à l'indépendance et pour lancer une possible de réflexion sur ce que pourrait être la voie de la réconciliation – après naturellement la reconnaissance de l'atrocité de la colonisation d'une façon franche – il est important de faire un état des lieux de l'éducation en 132 ans d'occupation sans concession. L'un des grands problèmes que connaît l'Algérie est le retard dans l'éducation et les disciplines scientifiques. Pour avoir une idée du désastre, la citation de Tocqueville « autour de nous les lumières sont éteintes » résume mieux que 1000 discours la condition du système éducatif. Il sera encore plus tragique au bout de 132 ans de colonisation.
Ainsi à s'en tenir aux statistiques officielles, en 1889, par exemple, 10.757 enfants musulmans étaient scolarisés, soit 1,9% des 535.389 enfants en âge d'être scolarisés. Devant le Sénat le 26 juin 1891, Jules Ferry dénonça avec raison « l'état d'esprit particulier qui sévit en Algérie, cette secrète malveillance quand il s'agit de l'école arabe ». En 1908, il y avait 33.347 enfants musulmans scolarisés, soit 4,3% des enfants scolarisables. En 1914, on ne comptait que 47.263 écoliers sur 850.000 enfants d'âge scolaire, soit 5,7%. En 1954 à la veille du déclenchement de la Révolution, à peine 12,55% des 2,4 millions d'élèves en âge d'être scolarisés contre une scolarisation pratiquement totale des enfants européens.
Le nombre des étudiants musulmans de l'Université d'Alger était dérisoire avant 1914 (6 étudiants en 1884 sur un total de 585 en 1914), En 1920, ils étaient 47 pour l'ensemble des facultés, soit 3,4% des effectifs, et en 1936, 94 sur 2 258 (4,16%). En 1938, il y aurait eu 112 musulmans sur 2211 (5%), en 1939, 94 sur 2246 (4,18%).
À la rentrée scolaire de 1954, on comptait 528 étudiants (dont 51 étudiantes). Sur les 528 étudiants (12%) à l'Université d'Alger créée en 1909, 179 sont inscrits en droit, 165 en lettres, 66 en médecine et seulement 118 en sciences.
Aucun Algérien en technologie. L'Institut national agronomique, créé en 1909, ne formait que des ingénieurs européens d'Algérie. Il en est de même de l'Ecole d'ingénieur créée en 1923.
On comprend que dans ces conditions, un système éducatif parallèle se met en place. « En 1931, l'Association des Ouléma d'Algérie à Alger met en place, entre 1931 et 1947, un réseau national de 174 médersas (écoles) en langue arabe employant 274 maîtres. En 1955, 193 écoles, dont 58 médersas dispensant un enseignement plus élevé à 11.000 élèves sur 35 150. Le nombre d'élèves à l'Institut Ben Badis s'élevait à environ 700. »
A Suivre…


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