Les Abbassides furent de fameux gastronomes et Bagdad, le melting-pot -au sens propre- des savoir-faire culinaires hérités du monde antique. Témoin l'anthologie composée au Xe siècle par certains lettrés dont les recettes feront école dans toute l'Europe médiévale et au-delà. Kitâb al-Tabkh signifie simplement « livre de cuisine ». Entre le VIIIe et le Xe siècle plusieurs de ses Kitâb al-Tabkh ont été écrits à Bagdad, la capitale des califes Abbassides. Mais celui d'Abu Mohammed al-Muzaffar ibn Nasr ibn Sayyâr al-Warrâq est le premier ouvrage traitant de la cuisine arabe à être parvenu dans son intégralité jusqu'à nous. Pour le rédiger, l'auteur a compilé de très nombreuses recettes tirées de livres antérieurs qu'il cite ont celui d'Ibn El Mahdi, le frère du calife des Mille et une nuits, Hârûn al-Rashîd. Al-Warrâq, qui signifie « copiste » en arabe, était un lettré gastronome, peut-être libraire, et qui connaissait aussi bien la poésie que la cuisine et la diététique de son époque. On ignore l'identité de son commanditaire mais il est manifeste que l'auteur, avec cette anthologie de l'art culinaire entend glorifier la gastronomie Abbasside de Bagdad tout en s'efforçant à la pédagogie dans sa présentation. Bonne chair à la mode abbasside Le Kitâb al-Tabkh, dont trois manuscrits sont conservés respectivement à Oxford, Helsinki et Istanbul est un gros livre de 132 chapitres d'importance inégale. Les 30 premiers sont une introduction à la cuisine et à la diététique, les 73 suivants présentent 420 recettes de viandes, laitages, légumes, céréales et desserts. 5 proposent des recettes diététiques pour malades, les chapitres 110 à 126 concernent les boissons. Enfin, les 6 derniers renferment des recettes de cosmétiques et pour l'hygiène des mains et de la bouche ainsi que des règles de politesse à table. Le Kitâb al-Tabkh d'Al-Warrâq n'est certes pas un ouvrage innovant puisqu'il compile des recettes antérieures. Mais c'est le premier livre de cuisine connu où apparaissent pour la première fois des plats réputés de la gastronomie méditerranéenne : recette de Laban (le yaourt arabe), de concombre au yaourt, de chawarma et de kebab, de pâtes, de nougat. Même le café (bunk) y figure, non encore sous forme de boisson, mais comme grain utilisé pour confectionner un parfum. Une fameuse postérité La cuisine Abbasside y apparaît comme une vraie gastronomie, héritière de celle de Perse, de Mésopotamie, de la Péninsule arabique, des steppes turcophones, de la Rome antique voire de la cuisine indienne. Herbes aromatiques et épices et occupent une place de choix, les viandes sont généralement grasses et très cuites, souvent assaisonnées d'une saumure de poisson ou de céréales appelées murrî, qui remplace le garum romain. L'aubergine est un légume roi et les plats sucrés salés ainsi que les desserts sont très présents. De nombreuses recettes de Kitâb al-Tabkh d'Al-Warrâq seront reprises dans des livres de cuisine arabe, au XIIIe siècle à Bagdad et en Andalousie au XIVe siècle en Egypte mais son influence dépasse largement le monde arabe puisque plusieurs recettes Abbassides apparaissent en Italie vers 1300 dans le Liber de Coquina et dans des livres de cuisine postérieurs. Elles seront aussi diffusées en Angleterre en 1390 (Forme of Cury), en Languedoc au XVe siècle (Modus). Et au XVe siècle encor,e la cuisine abbasside arrive jusqu'en Inde. Quant à la cuisine arabe actuelle, l'influence des recettes Abbassides y est toujours manifeste.