Le raccordement électrique en Algérie sous l'ère coloniale constitue l'une des facettes les plus marquantes de la politique discriminatoire menée par la colonisation française. Bien au-delà de la simple gestion des infrastructures, l'accès à l'électricité était un instrument de domination, renforçant l'exclusion des Algériens et perpétuant leur marginalisation économique et sociale. En plus des politiques de répression et de spoliation des terres, le colonialisme français a délibérément réservé les bienfaits du développement aux colons européens. La société « Electricité et Gaz d'Algérie » (EGA) en est l'illustration parfaite. En 1962, les colons représentaient 87 % du total des abonnés à l'électricité (soit environ 573.000 abonnés), contre seulement 13 % pour les Algériens, alors que ces derniers constituaient l'écrasante majorité de la population. Le taux de raccordement des Européens était ainsi six fois supérieur à celui des autochtones. L'administration coloniale justifiait cette disparité en avançant l'argument fallacieux d'un «niveau de civilisation plus élevé» des Européens, expliquant ainsi leur plus forte consommation d'électricité. En réalité, il s'agissait d'une stratégie systématique visant à maintenir les Algériens dans l'obscurité, aussi bien au sens propre que figuré, en les privant d'un accès aux infrastructures essentielles pour leur développement. Les chiffres illustrent parfaitement cette politique d'exclusion. En 1938, la consommation annuelle d'électricité par habitant en Algérie était de 35 kWh, contre 365 kWh en France, soit une différence de dix fois plus. Derrière ces statistiques se cache une réalité bien plus dure : l'électricité était un luxe inaccessible pour la majorité des Algériens, freinant ainsi l'industrialisation et l'amélioration des conditions de vie. Par ailleurs, cette discrimination s'étendait au domaine de l'emploi. En 1959, EGA comptait plus de 5.000 employés, majoritairement européens. Les Algériens, quant à eux, n'étaient embauchés qu'à des postes subalternes et précaires, loin des responsabilités techniques et décisionnelles. À l'indépendance, l'Algérie hérita d'un secteur énergétique sous-développé, incapable de répondre aux besoins de sa population. La fuite des colons européens laissa derrière elle une entreprise en crise, avec un personnel non formé et des archives en grande partie détruites. Face à cette situation, un effort colossal de formation et de restructuration fut entrepris. En juillet 1969, l'Etat algérien dissout EGA et créa Sonelgaz, entreprise publique chargée du développement de l'électrification et de la distribution du gaz à travers tout le pays. Avec seulement 6.000 employés pour gérer environ 700.000 abonnés, Sonelgaz dut relever le défi d'un raccordement généralisé et d'une montée en puissance industrielle. Aujourd'hui, 55 ans après la création de Sonelgaz, le taux de couverture électrique en Algérie atteint 99 %, avec près de 11,87 millions d'abonnés. De même, le raccordement au gaz naturel a atteint un taux de 70 %, bénéficiant à 7,7 millions d'abonnés.