Disparue en août 2020 à l'âge de 99 ans, Nouria a marqué de son empreinte l'histoire du théâtre, du cinéma et de la télévision en Algérie. Pour beaucoup, son nom évoque immédiatement la figure de la mère algérienne : simple, forte, profondément attachée à ses traditions et pilier du foyer. Derrière ces rôles récurrents se cachait une artiste passionnée qui a consacré plus de soixante années de sa vie à la scène et aux écrans. Nouria, de son vrai nom Khadidja Benaïda est née en 1921 dans la commune d'Ammi Moussa, dans la wilaya de Tiaret. Son destin a basculé en 1945, presque par hasard. Cette année-là, une actrice a manqué une représentation et son mari, Mustapha Kazderli, lui-même comédien et figure emblématique du théâtre national, lui a proposé de monter sur scène pour la remplacer. Ce moment a marqué le début d'une longue aventure artistique qui a fait d'elle une référence incontournable du 4e art. Après ces premiers pas, elle a connu une période d'interruption, mais son retour a été magistral. En 1963, encouragée par le réalisateur Mustapha Badie, elle a intégré de nouveau le Théâtre national algérien. Elle a rejoint alors une troupe dirigée par Mahieddine Bachtarzi, aux côtés de grands noms de l'époque comme Keltoum et Habib Reda. C'est à ce moment que sa carrière a pris véritablement son envol. Pendant plus d'un demi-siècle, elle a multiplié les apparitions, jouant aux côtés d'acteurs et d'actrices devenus eux-mêmes des légendes du patrimoine culturel algérien, tels que Farida Saboundji, Chafia Boudraa, Rouiched ou encore Hassan El Hassani. Elle a collaboré avec de nombreux réalisateurs de renom dans la radio, le cinéma et la télévision, parmi lesquels Omar Bakhti, Moussa Haddad ou Hadj Rahim, en plus de ses multiples projets avec Mustapha Badie. Son parcours impressionne par sa richesse et son intensité : plus de 200 pièces de théâtre, environ 160 téléfilms et quatre longs métrages. Cette productivité exceptionnelle témoigne non seulement de son talent, mais aussi de son engagement sans faille pour l'art dramatique. Au cinéma, elle a brillé dans des films qui comptent parmi les classiques du 7e art algérien. On la retrouve notamment dans Les enfants de la Casbah (1963), La nuit a peur du soleil (1964) ou encore Khoudh maatak Allah (Prends ce que Dieu te donne, 1981). À la télévision, son nom reste associé à des feuilletons et sketchs devenus cultes, tels que Al Massir (Le destin), La bru et la belle-mère, Elle et lui ou encore Khalti H'nifa, qui ont mis en valeur son humour et sa capacité à incarner des personnages ancrés dans le quotidien des Algériens. Mais c'est sans doute sur les planches qu'elle s'est révélée pleinement. Elle y a interprété une grande variété de rôles, allant de classiques du répertoire universel comme La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca à des œuvres locales emblématiques telles que Les fusils de la mère Kerrar ou L'ogresse. Son jeu, à la fois naturel et puissant, a su toucher plusieurs générations de spectateurs. Son adhésion au Théâtre national en 1963 a constitué également un tournant dans l'histoire du théâtre féminin en Algérie. Jusqu'alors, la présence des femmes sur scène était encore parfois perçue avec réticence. Avec d'autres comédiennes comme Keltoum, elle a contribué à bouleverser ce regard, ouvrant la voie à une participation féminine plus affirmée et respectée. Cette audace lui a valu le surnom poétique de « Fleur du théâtre algérien », symbole d'une féminité rayonnante mais déterminée, qui a fait évoluer les mentalités. Au fil des années, son talent et sa fidélité à l'art dramatique ont été salués à maintes reprises. Elle a reçu plusieurs distinctions décernées par des associations culturelles et par le ministère de la Culture. En 2017, elle a été honorée de la médaille de l'Ordre du mérite national au rang « Ahid », une distinction prestigieuse qui a couronné plus de soixante ans de carrière et d'engagement au service de la culture algérienne. Nouria laisse derrière elle une œuvre colossale et une influence durable. Pour le public, elle reste cette figure familière qui savait donner vie à des personnages profondément humains, tantôt drôles, tantôt émouvants, mais toujours vrais. Pour le monde artistique, elle demeure une pionnière, une femme qui a su imposer sa voix dans un univers longtemps dominé par les hommes. Son héritage va bien au-delà des pièces, films ou feuilletons dans lesquels elle a joué. Il réside dans l'exemple qu'elle a donné : celui d'une femme artiste qui, par sa persévérance, son talent et sa sincérité, a réussi à inscrire son nom au panthéon culturel de l'Algérie.