Sur les lieux du crime colonial, dans le village de Beni-Wegag, à 70 km du chef-lieu de la wilaya de Bordj Bou-Arreridj, Claude Vinci se rappelle de ces moments de sauvagerie et de barbarie sans limite des paras. Les images défilent mais les paroles manquent et ne peuvent décrire la réalité. «Des paras débarquaient des hélicoptères et tiraient sur la population. Ils ont utilisé des lance-flammes, j'ai vu des personnes brûler telles des torches vivantes», témoignait avec beaucoup d'émotion l'homme au grand cœur. «Il faut toujours témoigner de ces horreurs», a-t-il ajouté. La projection dans la soirée du film documentaire très touchant et captivant réalisé par M'Barek Menad a été une occasion pour les jeunes Bordjiens de découvrir cet artiste hors norme. Un homme toujours en mouvement dans l'espace, le temps, les idées et les pensées. «Chanteur, écrivain, humaniste, résistant, militant communiste, syndicaliste, déserteur en Algérie…», la liste est longue, dira le présentateur. Cet homme aura été à l'âge de 11 ans résistant dans son Berry natal, puis un footballeur prometteur qui a atteint le niveau de l'équipe de France juniors, étudiant à l'école des Arts et métiers qui fera de lui un ingénieur. Et parce que, adolescent, il a vu autour de lui, ses parents recherchés par la Gestapo, Claude Vinci a su dans quelle direction orienter ses pas : celle de la justice et de la solidarité avec les causes justes. Le train de soldats pour l'Algérie, de Versailles à Marseille, mit une semaine, immobilisé à chaque fois quand les tuyaux reliant les wagons étaient coupés. Les soldats étaient réembarqués à coup de matraque des CRS. Quand le bateau «Ville d'Alger» accoste enfin, les nouveaux débarqués sont reçus par des infirmières de la Croix-Rouge qui leur donnent des boîtes de jus de fruits avec recommandation de les écraser après consommation «afin qu'elles ne servent pas à la fabrication de bombes pour les fellaghas». Claude commence à s'interroger sur ses positions. Après une mise en adaptation dans une ferme coloniale au Fondouk, aujourd'hui Khemis El-Khechna, Vinci et ses compagnons sont dirigés vers les Bibans, aux Portes de Fer comme s'intitule son livre, dans la wilaya de Bordj Bou-Arreridj. Mais ce 8 août 1956, va tout basculer dans la vie du révolutionnaire «brave homme». Vinci et ses compagnons vont se ravitailler comme d'habitude en ville. Ils sont arrêtés par un barrage militaire et reçoivent un nouvel ordre : protéger les arrières des paras et légionnaires qui attaquaient au lance-flamme les douars. «La plupart des copains se sont exclamés : enfin, on va manger du fellouze !», se souvient Claude. Il ne peut oublier ce jour où sa vie a basculé. Il a vu des femmes et des enfants (parce qu'il n'y avait pas d'hommes) transformés en torches vivantes. Sa mitraillette à la main, il a essayé de tirer sur les porteurs de lance-flammes. Immédiatement après, la guerre était finie pour lui. Il abandonne tout, rentre à pied à Bordj Bou-Arréridj et prend le premier train pour Alger, oubliant même qu'il portait l'uniforme. Mais cet homme ne faisant rien comme tout le monde, sa désertion du bled se fera naturellement, sans que l'armée, frappée pour une fois de bonne cécité, s'en aperçoive au point où, quelque temps plus tard, il bénéficie d'un arriéré de soldes. Une fois à Alger, il contacte des amis communistes. «Puisque je suis en Algérie, je veux combattre du côté des opprimés. Trouvez-moi un contact pour monter au maquis ALN.» On lui demande de bien réfléchir. S'il était normal pour lui de rallier l'ALN, il serait mieux peut-être à Tunis ou en France. Quelques jours après, il retourne en France avec une fausse identité, en compagnie de Mohamed Boudia. D'abord, Claude Vinci, revenu à Paris plus aguerri que jamais, continue de soutenir le FLN avec une détermination surmultipliée par la clandestinité et la conscience de n'avoir plus rien à perdre. Il démissionne du PCF et attend le signal du FLN. Quelques semaines plus tard, on l'appelle. C'était Jean Lhote, réalisateur à la télévision qui le présente à un libraire de la rue Claude-Bernard qui, à son tour, le met en contact avec Salah Louanchi de la Fédération de France du FLN. Avec un billet de 500 FF coupé en deux, il va voir un vendeur de journaux à Melun. Ce dernier lui montre l'autre moitié du billet et lui remet une valise pleine d'autres billets. Les fameux 500 millions mensuels cotisés par les émigrés algériens. Par la suite, le réseau Jeanson est démantelé et Vinci se voit confier une nouvelle mission par l'avocat Mourad Oussedik : la fameuse évasion de la prison de Fresnes par creusement d'un tunnel. Un scénario de film hollywoodien qui a eu pourtant lieu. Le plus dur, après l'évasion, était de trouver des planques et de nourrir les 13 évadés. Le contact avec le FLN était coupé et surtout il fallait les empêcher de sortir, ce qui n'était pas toujours aisé… Pendant ce temps, Vinci se rappelle de son art, la chanson, les poèmes et l'écriture, quand il va se planquer à son tour chez le couple Montand- Signoret. C'est donc un artiste trempé dans la douleur et un combattant rodé qui allait monter au front, et à plusieurs fronts. Il sera aux côtés de Mohammed Boudia, militant pour la cause palestinienne (l'OLP), montera en premières lignes dans les luttes syndicales en faveur de tous les travailleurs dont les droits sont bafoués. Et il continue son mouvement, fidèle à ses engagements de jeunesse et à ses idées luisantes, à être disponible partout où ses idéaux le sollicitent, où des opprimés ont besoin de lui, de ses paroles, de son soutien et de son exérience. A la fin de la projection, Claude Vinci a pris la parole pour témoigner sur la guerre et a tenu aussi à interpréter une de ses chansons.