L'expression : «éléments in Saudi Arabia» suggère qu'il y a quelque chose qui pourrait être désignée comme un «Parti de la guerre», dans la structure, très complexe, du pouvoir en Arabie, donc qu'il y a un affrontement en cours au coeur du pouvoir saoudien entre ce parti et les partisans d'une approche plus modérée. La suggestion rejoint l'interprétation que donne Kaletsky du limogeage de l'ambassadeur d'Arabie Saoudite à Washington. Elle rejoint, également, des rumeurs sur une bataille de succession en cours actuellement à Riyad. L'affaire inquiète tant Washington que Bush a confié, unilatéralement (sans que le sujet ait été à l'ordre du jour), l'inquiétude de l'administration US à ce propos à deux de ses récents visiteurs européens, en janvier, le président de la Commission Barroso, et la chancelière allemande Merkel. D'un côté, ces indications ne font que compliquer encore l'appréciation qu'on peut avoir de la situation ; d'un autre côté, au contraire, elles permettent de se trouver plus à l'aise pour évoquer le coup d'audace des Saoudiens entrant dans l'alliance qu'évoque Kaletsky, dans la mesure où elles offrent une image de l'Arabie plongée dans une circonstance exceptionnelle, où certaines décisions inhabituelles sont possibles. Objectif : Iran ? Curieusement, il existe un élément paradoxal qui rapproche les trois acteurs possibles (quatre, si l'on ajoute Blair) : ils sont tous trois, d'une façon ou l'autre, dans une position délicate, voire en position de vaincu potentiel, dans des affrontements stratégiques exceptionnels, sinon vitaux, pour eux. D'une certaine façon, cela nourrit la thèse de la nécessité d'une action. Peu ou prou, ces acteurs, — essentiellement Israël, l'Arabie et les USA (GW Bush) — sont le dos au mur. C'est dans ces circonstances que des décisions brutales peuvent être prises, que des rapprochements, inédits et considérés en temps normal comme impossibles, peuvent être envisagés. Il est certain que le dernier événement en date dans la région a accru les possibilités d'affrontement dans le sens que nous envisageons, avec l'Arabie comme partie prenante. La décision de renforcement des forces US en Irak, annoncée le 10 janvier par Bush, est, surtout, importante comme on le sait par le champ qu'elle a ouvert avec l'une des conditions nouvelles qui l'accompagne : l'annonce, par Bush, que les forces US frapperont des «objectifs» iraniens (et syriens) considérés comme un soutien objectif de la résistance en Irak. Bien entendu, l'essentiel de la polémique réside dans l'interprétation : des «objectifs iraniens» seulement en Irak ou en Iran ? En même temps, Bush annonce que ses porte-avions sont là et qu'il va livrer des missiles sol-air aux «amis» de la région du Golfe, donc à l'Arabie. Le propos s'élargit, et la perspective avec lui. Plus que jamais, existe la possibilité d'un conflit avec l'Iran et s'y ajoute, désormais, la possibilité d'une dimension terrestre directement connectée à la situation irakienne. Géographiquement, et opérationnellement, cela rend encore plus acceptable l'hypothèse d'une implication saoudienne. Et l'appel à l'aide que Bush lance, pour l'occasion, aux pays arabes modérés de la région, — dont l'Arabie, bien sûr, — conforte la perspective. Rien, dans les plus récents développements, ne vient contredire la thèse de Kaletsky, et tout la renforce. Cela ne signifie pas qu'on annonce que l'hypothèse de Kaletsky se réalisera. Cela signifie que tous les facteurs en évolution vont dans le sens de conforter la possibilité d'un engagement actif de l'Arabie, tandis que la dégradation constante de la situation, en Irak, conduit à renouveler et à renforcer les accusations US lancées contre l'Iran, à renforcer l'antagonisme du parti, rassemblé autour des USA, contre l'Iran, parti dont l'Arabie est, naturellement, un des nouveaux membres les plus éminents et les plus évidents. Certains experts sont encore plus précis ; John Pike, de GlobalSecurity.com, écrivait le 8 janvier: «I think the month of February is certainly a time of heightened probability. [...F]or sometime now we've been saying that 2007 is probably the time, if there's going to be military action, it's probably going to come this year. Possible as soon as next month. Probably no later that August of this year.» L'audace de la décadence Mais laissons les spéculations trop précises. Ce qui distingue, puissamment, la situation au Moyen-Orient est bien son caractère, insaisissable, et sa très grande fluidité, où plus rien ne peut être tenu pour acquis. Il n'empêche que ces divers éléments insaisissables, qui nourrissent une réelle confusion, ne nous empêchent, nullement, d'observer une circonstance inédite. Il existe, effectivement, des pressions puissantes qui poussent l'Arabie à se départir de sa prudence et de sa passivité habituelles avec, comme seules «actions» réelles, le financement secret de groupes et de pays choisis, pour un rôle plus actif, et affirmé, d'acteur stratégique central dans la région. Le paradoxe de cette situation est que cette possible audace nouvelle est le fruit d'une situation de décadence, de décrépitude d'un système qui ne cesse de subir des chocs et d'être exposé à des pressions très contraignantes. C'est bien la caractéristique de la situation politique et stratégique actuelle. L'offensive affichée n'est plus le lot des ambitions habituelles, impérialistes et conquérantes, mais le fait du phénomène de «fuite en avant». Il s'agit de ce phénomène stratégique qui fait que des puissances affirmées, qui se sont heurtées à des obstacles inattendus, et très dangereux, qui ont essuyé des revers, ou qui vivent sous la menace, ne trouvent plus d'autres tactiques, pour briser ce carcan de pressions, que d'envisager des actions offensives. Il est évident qu'on ne peut se départir de la forte impression que ces possibilités caractérisent, surtout, un système à bout de souffle, une architecture géopolitique dont les jours sont comptés. C'est, d'ailleurs, l'affirmation implicite de Kaletsky lorsque, présentant son hypothèse, il la caractérise en s'adressant à ceux qui croient que l'invasion de l'Irak est la pire catastrophe qu'ait déclenchée Bush (avec Blair en sautoir) : «They should think again. With the dawning of a new year, the Bush-Blair partnership is working on an even more horrendous foreign policy disaster.» (Suite et fin)