Déroulement de la bataille Dès le départ les Perses font une fausse manœuvre décrite ainsi par Diodore de Sicile : «Les navires perses gardèrent leur rang tant qu'ils voguaient au large, mais en s'engageant dans le chenal ils furent obligés de faire sortir de la ligne quelques-uns de leurs navires, ce qui entraîna une grande confusion.» Les Perses font une erreur par excès de confiance et sont désorganisés dès le début de la bataille. C'est alors que la flotte grecque apparaît et, sans rompre ses lignes, fond sur les navires perses. Il reste un point sur lequel les historiens sont encore en désaccord, c'est de savoir quel était l'axe des deux lignes de navires au moment de l'impact. Pour certains, il est acquis que la flotte grecque est adossée à l'île de Salamine et que la flotte perse est alignée plus ou moins parallèlement au rivage de l'Attique. Pour d'autres au contraire la flotte grecque barre entièrement le détroit ce qui donne alors un axe de bataille perpendiculaire à l'axe du détroit. Cette deuxième hypothèse semble à l'heure actuelle la plus communément admise. De toute façon, quel qu'ait été l'alignement des flottes au début de la bataille, l'action principale se déroule dans l'étranglement du détroit de Salamine et dans les deux chenaux ménagés par l'îlot de Psyttalie entre Salamine et l'Attique. L'aile droite grecque, dirigée par Eurybiade, et constituée des navires lacédémoniens, corinthiens et éginètes, flanche au départ et recule provisoirement, sous les probables huées des civils massés sur les rivages de l'île de Salamine. Thémistocle dirige, lui, tout le reste de la flotte, à savoir au centre les flottes de Mégare, Chalcis et des navires athéniens, et surtout sur l'aile gauche une flotte homogène d'environ 120 trières athéniennes. Face à eux se tiennent leurs vieux adversaires, les Phéniciens. Hérodote, célèbre historien grec du Ve siècle av. J.-C., raconte ainsi le déroulement de cette bataille : «…L'Athénien Aminias de Pallène, voguant en dehors de la ligne, heurta un vaisseau perse et ne put se dégager; le reste de la flotte se portant à son secours, la mêlée commença. Mais, d'autre part, les Eginètes prétendent que ce fut le vaisseau envoyé à Égine qui engagea la lutte.» Cette rivalité de gloire est la traduction d'un conflit ancien entre les deux cités mais aussi la traduction d'un fait avéré : Athéniens et Éginètes furent les plus ardents adversaires des Perses lors de la bataille. Il ne faut pas croire d'ailleurs que la bravoure est du seul côté des Athéniens et de leurs alliés. La présence de Xerxès Ier qui surveille la bataille, sa sévérité dans la répression des lâches ou des incapables, les rivalités entre Grecs, font que les Grecs d'Ionie servent très loyalement les Perses et se battent avec acharnement. Des marins de Samos comme Théomestor ou comme Phylacos, le fils d'Histiée, coulent des navires grecs et recevront plus tard de nombreuses récompenses de Xerxès. Il faut toute l'habileté des marins d'Égine pour contenir l'assaut des navires d'Ariabignès. Cependant, la combativité des Grecs d'Ionie, ou des Phéniciens face à Thémistocle sur l'aile gauche, ne suffit pas à contrebalancer l'erreur initiale qu'avait été le désordre introduit dans leurs lignes dès avant l'attaque. La bousculade, la panique conduisent bien des navires perses à présenter le flanc au lieu de la proue ce qui dans un combat à l'éperon est rédhibitoire surtout face à des Grecs qui réussissent à tenir leur alignement. Les Athéniens appliquent une manœuvre de sciage particulièrement efficace — un coup de boutoir en avant puis recul pour prendre de l'élan et repartir vers l'avant sans dévier de l'axe d'attaque — qui sème la dévastation dans les rangs phéniciens. La bataille est déjà engagée quand une brise marine se lève — selon Plutarque — qui ne gène pas les navires grecs dont les superstructures sont peu élevées mais désavantage nettement les bateaux en particulier phéniciens dont la poupe est haute et le tillac surélevé. S'il est peu plausible que Thémistocle ait attendu cette brise pour aborder la flotte perse, d'autant qu'il n'eut pas le choix de l'heure de l'engagement, il est par contre fort possible qu'il ait attendu ce moment propice pour engager ses réserves qui, la brise aidant, achèvent de semer le désarroi dans les rangs adverses. Le désastre s'avère irrémédiable quand au cours du combat la flotte de Xerxès perd l'un de ses commandants amiraux : Ariabignès, le frère du Grand Roi, est tué par un javelot en montant à l'abordage d'une trière grecque. Son corps est repêché par la reine Artémise d'Halicarnasse qui le portera à Xerxès. Cette femme, qui avait déconseillé la bataille, se rend compte que tout est perdu. Mais elle est pleine de ressources, à défaut de scrupules, et n'hésite pas pour se dégager à couler le navire de Damasithymos, roi de Calynda (en Lycie). Le plus surprenant est qu'elle reçut des éloges de Xerxès pour ce fait d'armes car dans la confusion il apparut qu'elle venait de couler un navire ennemi. Il est peu probable que beaucoup de Calydiens aient survécu pour l'accuser. C'est à propos de cet épisode que l'on prête à Xerxès la fameuse phrase : «Mes hommes sont devenus des femmes et mes femmes des hommes.» Au soir de la bataille Le sauve-qui-peut devient général mais le problème est de pouvoir sortir de la nasse que constitue l'enchevêtrement de navires dans l'étroit goulet de Salamine pour rejoindre le mouillage de Phalère. Le reflux des bateaux perses s'effectue dans le désordre le plus complet à la fin de la journée, la bataille ayant duré environ douze heures. Aristide, à la tête d'un détachement d'hoplites, débarque sur l'îlot de Psyttalie et y anéantit les troupes que Xerxès avait fait installer la nuit précédente. Quant à Xerxès lui-même il dut quitter sans doute de façon assez rapide son observatoire car les Athéniens s'emparèrent dans la soirée de son trône, que bien des années plus tard on montrait avec fierté aux pèlerins dans le Parthénon. Cependant, Thémistocle ne souhaite pas poursuivre la flotte perse en haute mer car malgré le désastre elle conserve probablement sa supériorité numérique. Il semble que les Grecs ne comprennent pas tout de suite la portée de leur victoire et qu'ils s'attendent à un nouvel assaut le lendemain. La flotte perse en est bien incapable, démoralisée par ce désastre. Les équipages se réfugient à Phalère sous la protection de l'armée de terre tandis que les navires égyptiens qui avaient contourné l'île de Salamine par le sud pour bloquer l'entrée ouest du détroit rentrent eux-aussi sans être inquiétés. Le soir venu le silence revient sur le lieu de cette bataille comme l'écrit Eschyle dans les Perses : «…Une plainte mêlée de sanglots règne seule sur la mer au large jusqu'à l'heure où la nuit au sombre visage vient tout arrêter.» Lors de cette bataille, les Perses ont perdu au moins 200 trières, sans compter celles tombées aux mains des vainqueurs, et les Grecs une quarantaine... Au lendemain de la bataille La situation après la défaite cuisante de Salamine n'est pas pour autant désespérée pour les Perses. Leur armée de terre est intacte si l'on excepte les troupes, peu importantes, massacrées sur l'îlot de Psyttalie par les hoplites d'Aristide. La flotte perse reste, en dépit de ses pertes, supérieure en tonnage et les immenses ressources de l'empire peuvent permettre la construction de nombreux navires alors que pour les Grecs, la destruction des chantiers de l'Attique est une perte irremplaçable. C'est pourquoi l'attitude de Xerxès Ier après la bataille pose de nombreuses interrogations et cela dès l'Antiquité où l'on parle de la pusillanimité du Grand Roi. En effet, laissant le commandement de son armée à Mardonios, son beau-frère, celui qui dirigeait déjà l'expédition de 492, Xerxès abandonne ses troupes pour retourner vers ses capitales Suse et Persépolis. Il suit en cela le conseil de Mardonios et de la reine Artémise Ier d'Halicarnasse, à savoir laisser en Grèce une armée importante, Hérodote parle de 300 000 hommes ce qui est sans doute excessif, qui hivernera en Grèce continentale, puis attaquer le Péloponnèse au printemps. Quant à Xerxès sa présence n'est plus utile, puisque son principal objectif est atteint, à savoir la destruction d'Athènes. Cette présentation des faits permet au roi perse de sauver les apparences et de ne pas retourner dans son empire en vaincu. Xerxès passe l'Hellespont dans les derniers jours de l'année 480 non sans difficulté car les Thraces, rendus furieux par les réquisitions de l'été, lancent de nombreux raids sur les troupes perses. Les vainqueurs sont surpris par l'inaction des Perses et ne semblent pas comprendre dans un premier temps l'ampleur de leur succès. Quand il apparaît que les Perses font retraite, Thémistocle dans l'euphorie de la victoire propose de couper la route de l'Asie à Xerxès en traversant l'Égée. Mais Aristide et Eurybiade objectent la prudence. De plus, les Grecs ont perdu à Salamine plus de 40 navires et ne peuvent les remplacer aussi rapidement que leurs adversaires. Enfin, envoyer toute la flotte aussi loin de la Grèce alors que les réfugiés d'Athènes sont encore sur l'île de Salamine et que les côtes grecques sont non protégées est assez hasardeux. La saison enfin devient dangereuse pour la navigation. Pour Aristide une éventuelle défaite d'Athènes ferait le jeu de Sparte, d'autant que Sparte est en train de finir le mur qui barre l'isthme du Péloponnèse et donc ne ressent plus la menace perse avec la même acuité. (Suite et fin)