, Il fut un temps où les aînés éduquaient les jeunes à coups de légendes anciennes, sortes d'histoires tirées du vécu collectif et comportant toujours une leçon de morale à retenir pour la vie. Nos ancêtres, sûrement en avance sur nous sur le plan de la moralité, étaient persuadés que l'enseignement des bonnes manières ou des règles de conduite en société et à l'école devait commencer dès la plus tendre enfance. Ceux qui ont fréquenté les vraies écoles coraniques d'antan en ont fait l'expérience. La légende que nous vous rapportons rappelle le parricide qui ne dit pas son nom chez nous, même s'il est devenu un phénomène un phénomène courant, par l'absence totale des repères et d'une éducation digne de ce nom. Il s'agit d'un vieillard qui tremblait et qui, dès qu'il se mettait à table, bavait involontairement et faisait tomber les assiettes. Il était le père de l'époux d'une méchante femme qui avait fini par ne plus supporter le croulant, avec la complicité de son mari trop bon pour crier au scandale. Chaque jour, elle lui répète sur un ton de mépris : «Débrouille-toi, éloigne ton père d'ici, il nous salit la table avec sa bave. Fais lui une écuelle en bois et porte-lui à manger dans sa chambre. C'est un impotent que je n'arrive plus à supporter.» Le mari fit ce qu'on lui avait dicté. Il essaya de convaincre son vieux père d'aller manger seul pour ne plus gêner mais en vain. «Jamais, dit-il à son fils, et je continuerai à manger à la même table même si cela déplaît à ta femme.» Cette dernière devenait de plus en plus arrogante au point de faire sentir à son beau père croulant qu'il ne faisait plus partie de la famille. Et l'époux, non conscient de ses devoirs vis-à-vis de son vieux père finit par céder. Il alla vers son atelier pour lui tailler une écuelle en bois comme cela avait été exigé par son épouse. Il était ébéniste de métier comme le furent son père et son grand-père. Ce dernier avait presque fini lorsqu'il se rendit compte que son fils travaillait aussi dans un coin de l'atelier : «Que fais-tu mon enfant ?», lui dit-il. «D'habitude, tu es avec tes camarades et je trouve anormal que tu sois là depuis des heures, concentré sur un travail.» «Moi aussi, lui répondit le fils, je suis en train de te préparer pour ta vieillesse une écuelle dans laquelle je te donnerai à manger.» C'était à ce moment qu'«il se rendit compte de la gravité de son acte. Sans hésiter et sous les yeux écarquillés de son héritier, il cassa l'écuelle et se rendit auprès de sa femme. «On n'a qu'un seul père et une seule mère dans la vie, lui dit-il sur un ton ferme qu'on ne lui connaissait pas. Il me reste mon père et mon devoir sacré : c'est de le respecter et de lui faire tout le bien auquel il a droit jusqu'à son dernier souffle. Si cela te déplaît, tu n'as qu'à partir.» Quant à la virulente épouse, elle finit par comprendre qu'elle avait failli faire porter à la famille tout le poids d'un sacrifice et d'un remord à vie.