Ces combats ouvriers et le patrimoine culturel, spécifique, des travailleurs immigrés donnèrent une identité singulière au mouvement de libération nationale algérien, qui alliait radicalité révolutionnaire et héritage culturel arabo-islamique. Comme le note Mahfoud Kaddache, l'Etoile Nord Africaine puisa «sa source idéologique dans les deux courants, prolétaire et spirituel. Les travailleurs émigrés, formés au dur combat de la réalité ouvrière, restaient sensibles au message qui venait de ce qui représentait leur passé et leur attachement à la civilisation arabo-islamique. Ce qui évoquait Damas, Bagdad et le Caire, restait pour eux sacré». Au cours d'une réunion tenue le 7 décembre 1924, 150 délégués des travailleurs maghrébins de la région parisienne discutèrent de questions économiques et syndicales, mais aussi de problématiques directement politiques, telles que la lutte contre le Code de l'Indigénat, l'absence de libertés publiques et de la répression coloniale. Sur ce terrain, selon Henri Lozeray, membre de la Commission Coloniale Centrale, ce Congrès devait permettre «de faire une grande agitation, parmi les nombreux indigènes de la région parisienne, qui répondent chaque fois plus nombreux à nos réunions où ils acclamaient nos orateurs». Politiquement, ce Congrès témoignait de l'émergence publique, et donc politique, de la figure de l'immigré maghrébin en tant qu'acteur des luttes sociales en France. En ce sens, ce Congrès marquait une évolution importante : c'était le premier Congrès de travailleurs maghrébins, qui faisaient irruption, en tant que tels, sur la scène politique de l'hexagone. Au cours de ce premier Congrès, les 150 délégués adoptèrent les «Thèses sur l'indigénat» dans lesquelles ils exposaient leurs revendications. Celles-ci dépassaient le simple cadre de revendications syndicales classiques, pour prendre une tournure nettement politique. Par la répression qu'il mettait en place, le système colonial transformait toute revendication sociale en contestation politique, comme l'avaient compris les délégués maghrébins de la CGTU. Les «Thèses sur l'indigénat» dénonçaient le joug sous lequel vivait la population algérienne : «si, jusqu'à aujourd'hui, l'organisation politique et économique des masses nord-africaines n'a pu s'établir, c'est qu'elle se heurte à une nuée de lois d'exception ; dont les textes plus ou moins précis dénotent tout l'arbitraire appliqué par l'impérialisme, afin d'empêcher l'émancipation des indigènes des colonies». Toutefois, face à la mobilisation des Algériens, dans l'immigration et en Algérie, le Congrès expliquait les craintes des colonialistes : «l'impérialisme français en est si effrayé, qu'il multiplie ses efforts pour enrayer ce mouvement par d'autres mesures de répression, ou pour le canaliser en se servant de la bourgeoisie indigène servile, qu'il oriente uniquement vers l'obtention de la représentation parlementaire». Celle-ci était considérée comme «une duperie pour les masses», en créant des élus qui «ne seront autres que les créatures du gouvernement général, capables de toutes les trahisons». Dans sa critique, le Congrès ciblait, particulièrement, le Code de l'Indigénat, qui avait été imposé au Algériens en 1874 : «Ce code de terreur, qui s'étend aussi bien dans le domaine criminel que civil, et qui, au dire des gouvernants, devait s'éteindre progressivement pour laisser la place au droit commun, devient, au contraire, de plus en plus écrasant». Le Congrès dénonçait le caractère raciste de ce Code instituant une justice d'exception pour les Algériens : «pour les mêmes délits, un indigène se voit octroyer par des tribunaux spéciaux (tribunaux répressifs, cours criminelles) des peines plus élevées que celles dont on aurait frappé le délinquant européen. Bien plus, certains actes permis à des Européens sont délictueux pour les Musulmans». Le Code de l'Indigénat instituait des peines particulières pour les Algériens : «Parmi les peines spéciales de l'indigénat, l'amende collective (responsabilité collective), le séquestre et l'internement, sont des peines qui démontrent la barbarie du colonialisme français. L'internat est un droit que s'arroge le gouverneur général sans qu'aucun texte légal ne l'autorise. Cette peine de prison, il l'applique généralement, pour délit d'opinion, délit politique, pour toute tentative d'organisation, même d'ordre économique, ou pour tout mouvement de revendication, toujours considérée comme dirigée contre la suzeraineté de la France, et ce pour une durée indéterminée, sans que l'accusé soit appelé à se défendre, et sans instruction contradictoire». Pour le Congrès, «la suppression de l'indigénat» était «la principale revendication» devant être mise en avant. Face à l'argument de «l'incompatibilité du statut personnel [musulman] avec la loi française», le Congrès rétorquait que c'était un «prétexte pour priver l'indigène des droits dont jouit le citoyen français». Il ajoutait, «le gouvernement sait, pertinemment, que ce statut personnel du Musulman a été largement rogné, diminué, et que sa valeur a été hypocritement surfaite pour servir d'entrave à l'accession des droits que réclame l'indigène». Montrant le soutien qu'apportaient les immigrés algériens à la suppression du Code de l'Indigénat, le Congrès assurait : «l'Emir Khaled, lors de son passage à Paris, attira plusieurs milliers d'ouvriers musulmans aux conférences qu'il donnait, et dans lesquelles la suppression de l'indigénat était un des points principaux». En conséquence, le Congrès des Travailleurs Nord-Africains affirmait : «à la tribune de la Chambre, par la presse, dans toutes les réunions politiques et syndicales, partout devra s'élever le mot d'ordre qui réalisera l'égalité de droits entre le prolétariat révolutionnaire métropolitain et celui des colonies. Ce mot d'ordre sera : à bas l'indigénat ! ». (A suivre)