La Nouvelle République :Votre nouveau livre vient de paraître en France. Voulez-vous nous éclairer sur son contenu ? Youssef Zirem : Mon nouveau roman, intitulé «Le Chemin de l'éternité», raconte l'histoire difficile d'une femme algérienne ; c'est, d'ailleurs, elle qui prend la parole pour dire son parcours chaotique et donner sa vision du monde et de la vie. Amina a été violée par son père, émir islamiste ; elle accouche de son enfant, qu'elle aime par dessus tout, elle va à l'université, sur les hauteurs d'Alger et, pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses deux frères, elle est obligée de devenir prostituée de luxe. Amina passe par des moments insoutenables, avant de rencontrer Michel, un diplomate en poste à Alger, dont elle tombe amoureuse. Amina va, ensuite, enseigner la langue française dans un collège de Bab El Oued ; un collège qui porte le nom d'Albert Camus... Derrière l'histoire, mouvementée, de cette jeune fille, on voit défiler tout ce que les Algériens ont vécu ces derniers vingt ans ; on voit leurs déceptions et aussi leurs espoirs. Dans ce roman, il y a également des plongées historiques dans Alger ; certains épisodes importants de l'histoire de l'Afrique du Nord sont rappelés : c'est le cas de l'époque, florissante, des Hammadites qui ont donné, pour la première fois, les chiffres arabes aux Européens ; c'est à partir de Béjaia que les Européens ont amorcé leur réveil scientifique... Depuis longtemps, vous êtes établi en France, mais tous vos livres parlent de l'Algérie. Verrons- nous un jour Youssef Zirem traiter de l'émigration puisque, désormais, vous en faites partie? Je vis, effectivement, depuis un moment à Paris, mais je ne suis pas un émigré «traditionnel» ; je suis parti pour des raisons personnelles, pas pour des raisons économiques. J'ai, aujourd'hui, l'avantage de prendre du recul sur mon parcours algérien, sur le monde, sur la vie...Aujourd'hui, je me considère plutôt comme un citoyen du monde, même si l'Algérie est la terre qui m'a vu naître, même si l'Algérie demeure mon soleil quotidien...Je termine d'écrire un autre roman, dont l'histoire se passe à Paris, mais qui n'est pas en rapport avec l'émigration... Je crois que le «Chemin de l'éternité», comme mes autres écrits de fiction, peuvent être lus par des lecteurs des quatre coins du monde : au delà de l'histoire, mon écriture pose les questions déroutantes de la douleur de vivre, de la justice sociale, de l'humanisme qui s'en va, de l'amitié qui ne résiste pas au déferlement du matérialisme, à l'amour qui s'abîme dans les spirales, infiniment renouvelées, du temps assassin... Alors que vos premières nouvelles intitulées «l'âme de Sabrina» ont été éditées à Alger, le reste de vos livres ont paru en France. Quelles en sont les causes et est-ce-que «Le chemin de l'éternité» sera commercialisé en Algérie ? Si c'est oui, quand ? J'ai publié en Algérie trois livres : un recueil de nouvelles, «L'âme de Sabrina», en 2000, un recueil de poésies, « je garderai ça dans ma tête», en 2003, et un roman «La Vie est un grand mensonge», en 2005. En 2003, j'ai publié un essai, «Algérie, la Guerre des ombres», en Belgique. Mon roman, «le Chemin de l'éternité», est sorti en France pour plusieurs raisons ; entre autres, des commodités éditoriales plus intéressantes ; il sera probablement commercialisé en Algérie, mais je ne sais pas quand, cela concerne plutôt mon éditeur, Sefraber (www.sefraber.com Dans votre nouveau roman, vous parlez de la décennie noire. Quel message voulez-vous transmettre dans un sujet aussi épineux ? Dans «le Chemin de l'éternité», il est question de ces violences multiples qui emprisonnent l'Algérie, qui freinent le développement d'un pays merveilleux, qui peut faire cent fois mieux, à tous les niveaux. Je ne suis pas un donneur de leçons ; je suis juste quelqu'un qui essaie d'écrire des choses pour témoigner, pour poser des interrogations, pour partager des amours et des quêtes qui peuvent nous rendre plus forts que nous mêmes. L'Algérie peut surprendre le reste du monde, si on donne de la place, du respect, de la dignité, du rêve, à chaque Algérien, quelques soient ses convictions et ses aspirations. Aux quatre coins du monde, les Algériens font aujourd'hui des merveilles, dans tous les domaines. Tous ces Algériens, qui sont partis ailleurs, aiment profondément leur pays d'origine, mais, chez eux, il leur est difficile de trouver leur place. Qu'arrive-t-il à l'héroïne de votre roman ? Amina, le personnage principal du «Chemin de l'éternité», décide, après la lecture d'un poème de Fernando Pessoa, le plus grand poète du Portugal, d'arrêter de se prostituer. Elle cherche un travail décent, elle devient enseignante, elle élève son fils et attend le retour de son amoureux, parti sous d'autres latitudes. Le roman est ouvert, comme la vie, qui nous offre toujours une infinité de possibilités. Mais ces possibilités, il faut les saisir, avant que ce ne soit trop tard, avant que le rideau ne se referme car, sur cette belle terre, nous ne sommes que des passagers... Entretien réalisé