En effet, cette place immense vient d'être rénovée, des travaux qui ont coûté une somme faramineuse mais voir le résultat époustouflant, vous rassure. Des lampadaires installés çà et là redonnent vie et gaieté à cet endroit mythique. Mais ce qui fait la particularité de cette place, c'est son animation, si durant la journée, les habitants longtemps lancés par les dards brûlants de cette boule de feu et se réfugient comme ils peuvent à la recherche d'espaces ombragés, le soir, à la tombée de la nuit, juste au moment ou les derniers rayons rébarbatifs ambulants viennent monopoliser les meilleurs endroits. Des tapis en osier ou en tissu sont étalés à même le sol. La préparation de brasero (majmer) qui accueillera la théière objet incontournable pour tout le rituel qui va suivre, prend un peu de temps, le temps d'allumer les braises pour prétendre démarrer. Il faudrait faire vite car les revendeurs sont nombreux et chacun doit d'attirer des clients potentiels vers lui. La charrette montée sur des roulettes ou sur des roues s'avère être un outil de travail à acquérir pour transporter tout ce dont on a besoin. Un travail minutieux ou de guêpe afin de ne rien oublier ou laisser les choses au hasard. Des œufs, du sel, du cumin, du thé, du sucre de la menthe, des cacahuètes. Tout est embarqué. Sans plus attendre Ahmed, personnage lunatique et proline m'apprend que ce métier occasionnel mais régulier lui permet de gagner sa vie et de subvenir aux besoins de sa famille. Vaut mieux cela que penser à autre chose. Vous voyez ce que je veux dire. Je trouve que Ahmed a raison et acquiesce du regard pour affirmer mon approbation. «J'ai pris du retard, rétorque Ahmed, je dois mettre la théière sur le feu car il faut préciser que la différence qui existe entre Adrar et le Nord au niveau de la préparation se résume dans la technique. Si au Nord, on se contente d'utiliser une seule théière dans laquelle on rajoute du thé vert, de l'eau bouillie et on laisse prendre : puis du sucre et de la menthe sont mélangés au contenu, c'est purement et simplement une infusion. En Adrar, la procédure diffère totalement, d'abord, deux théières sont utilisées au lieu d'une, la première sert uniquement à faire bouillir du thé et de l'eau à petit feu, sur des braises de préférence. C'est une décoction ! Puis, le liquide est transvasé dans le deuxième récipient prévu à cet effet auquel en mélange du sucre mais pas la menthe car la tradition veut que le premier verre de thé se déguste sans : il est amer comme la vie. La menthe n'est introduite que dans la deuxième phase pour obtenir un breuvage doux comme l'amour et enfin le troisième pas très fort : léger comme l'air.» Puis par petit groupes, des clients potentiels arrivent et s'installent. Ahmed connaît ses habitués et leur sert comme d'habitude thé et cacahuètes locales qui sont très appréciées dans la région. D'autres préfèrent les œufs bouillis parfumés de cumin, un vrai délice pour les narines et la panse. Tout ce beau monde allongé, affalé, passe des heures à flâner, à discuter de tout et de rien, dans un climat serein où l'accalmie est reine sous un ciel étoilé où il faut bon vivre. La place grouille et foisonne, certains ne rentrent que tard dans la nuit pour échapper aux grosses chaleurs.