Petite bourgade en son temps, Boumerdès a vaillamment planté ses griffes sur la carte géographique pour devenir une wilaya distinguée. Nombre d'instituts scientifiques ont poussé comme des champignons obligeant les autorités à classer Boumerdès grande ville universitaire. Tantôt habitée par des Russes, tantôt par des universitaires, la ville, comme la wilaya ont su composer entre agriculture et savoir, allouant des parcelles de terrain à l'installation confortable de chercheurs et d'étudiants. Les remparts de Boumerdès ont réussi à la préserver des actes terroristes. Ils n'auront été d'aucune utilité face au séisme du 21 mai 2003. La cité des 1200 logements, qui fut en son temps l'une des plus prisées de la région, a grandement souffert de la catastrophe naturelle. « Elle qui autrefois regorgeait de jardins clôturés, de plantes... », déclarent ses habitants. Plus de 600 personnes ont péri dans cette seule cité, lorsque la terre a tremblé. Presque deux années se sont écoulées depuis, et le calvaire ne fait que commencer ou se poursuivre, selon les témoins. Deux années durant lesquelles, les habitants de cette cité ont transité entre tentes de fortune et chalets. En attendant des jours meilleurs. Les jours où ils réintégreront leur logement de la cité des 1200 Logements. Car, leur avait-on assuré, du moins à certains d'entre eux, la plupart des immeubles ne nécessitaient que des travaux de confortement. A la suite de quoi, ils pourront retrouver leur habitat avec l'assurance d'être protégés d'une nouvelle secousse mortelle. Deux années à peine se sont écoulées, et déjà certains propriétaires de la cité des 1200 Logements ont reçu l'ordre de quitter le chalet qu'ils occupent avant fin juin. Quels travaux les immeubles ont-ils subis ? Dans quel état les habitants vont-ils réintégrer leur domicile ? Quel visage offre la cité des 1200 Logements deux ans après le séisme ? Pourquoi les travaux ont-ils duré aussi longtemps ? Main chapardeuse « Là, juste en face, il y avait le bâtiment 57 », explique une dame du bâtiment 56 en désignant du doigt un parterre de gravier, de bois et de détritus en tous genres. Le bâtiment effondré a laissé des traces au sol témoignant d'une existence ancienne mais révolue. Cette même dame est l'une des rares habitantes à avoir réintégré son domicile. Il y a à peine deux mois. Le linge à son balcon et les rideaux à ses fenêtres redonnent vie à cet immeuble, survivant à un désastre, et voisin du 57 qui a disparu. Le numéro 56 est chanceux, mais à un seul titre : il a survécu au séisme. Mais pas à la main de l'homme. Une main qu'un autre habitant qualifiera de chapardeuse et indignement voleuse. L'appartement de la dame est chaleureux rehaussé de couleurs vives comme pour accueillir des invités. Son carrelage saumon, ses placards en bois foncé instaurent un cadre mitigé entre campagne et ville. Ses enfants sont à l'école et son mari au travail. Elle ouvre la porte et n'hésite pas à nous faire faire le tour du propriétaire, à condition que son nom ne soit pas mentionné. « Nous avons eu tellement de problèmes avec les entrepreneurs qui se sont succédé », lance-t-elle. Car, selon elle, si la maison est habitable, c'est grâce à eux (elle et son mari) et à eux seuls. « Quand nous avons voulu réaménager, on s'est aperçu que rien n'était fait. L'entrepreneur qui était là nous a proposé d'acheter ce dont nous avions besoin, comme le carrelage, et qu'il le poserait. A charge pour nous ensuite de donner les factures pour nous faire rembourser », ajoute-t-elle. Les factures n'ont jamais été remboursées faute d'avoir trouvé l'entrepreneur sur place. Il n' y avait que les ouvriers. Dans un autre immeuble « achevé », le numéro 59, un homme à la retraite décide de se faire porte-parole de l'ensemble des habitants. Comme un guide, il s'arrête à chaque fois pour montrer du doigt les dégâts occasionnés par les ouvriers. « Les entrepreneurs se sont succédé et à chaque fois sans aucun résultat. Lorsqu'un travail était fait par l'un d'eux, il était détruit par le suivant pour être à nouveau refait », explique-t-il. L'entrée de l'immeuble, qui jadis était entièrement en marbre, est carrelée. Avec deux motifs de carrelage différents. « Ils n'avaient pas besoin de retirer le marbre partout », s'exclame-t-il. Dans la cage d'escalier, les marches sont en marbre à certains étages et pas à d'autres. Une odeur nauséabonde s'en dégage. « Elle provient de la cave », lance un jeune d'une trentaine d'années qui s'est joint à l'homme à la retraite. « Avant, nous avions une cave, et chaque résident avait son box. Actuellement, la porte de la cave est cadenassée sans que nous puissions y accomplir les travaux nécessaires pour nettoyer », se plaint-il. Cela sent mauvais. Mauvais dans le sens pas sain. Porteur de maladies et de microbes. Des fils électriques pendouillent à l'entrée de l'immeuble. De gros câbles reliés directement à la centrale située à 20 m de l'immeuble. « Avant le séisme, les câbles étaient sous l'immeuble pour rejoindre cette armoire qui alimente toutes les habitations », soulève l'homme à la retraite. « Ils ont dû trouver cela meilleur de laisser paraître des câbles de cette façon », commente le jeune homme. Même topo pour les tuyaux de gaz et d'eau. Sans aucune précaution, ces deux tuyaux sont enchevêtrés. « Lorsque des tuyaux de gaz passent le mur comme cela, ils doivent être protégés par une gaine pour éviter la corrosion du plâtre et du ciment sur le tuyau », explique l'homme à la retraite. Ce qui n'est pas le cas. Après une inspection détaillée de l'immeuble, le jeune homme ouvre la porte de son appartement et entreprend la visite. D'emblée, la moisissure est visible sur toute une partie basse d'un mur. « Ils viennent soi-disant de finir les travaux. Mais nous avons tous des problèmes de dégâts des eaux. L'eau s'infiltre partout et est visible au niveau des plafonds des appartements », dit-il. Dans la demeure de l'homme à la retraite, sa femme se plaint d'avoir des gouttes d'eau qui lui tombent dessus dès qu'elle est devant les fourneaux. De grosses cloques sont visibles sur le plafond de la cuisine. Chez le jeune homme, une anomalie troublante : le salon carrelé est gondolé au milieu. Comme une minivague, le milieu du salon étant en hauteur par rapport aux extrémités. « Quand on lave le sol, l'eau glisse directement dans les coins, car il y a des creux », raconte-t-il. Les balcons également laissent à désirer, quel que soit l'appartement visité. La balustrade censée retenir d'une chute du deuxième ou du troisième étage est branlante et ne tient qu'à l'aide d'une vis qui ne semble n'avoir aucune prise dans le mur. Un mur déjà fragilisé par les secousses du 21 mai 2003. Des travaux sont en cours dans d'autres immeubles. « Depuis quatre jours », répond un ouvrier. Le chef des travaux sur place est sur la défensive. Interdiction de prendre des photos, de parler d'eux. « Il y a eu d'autres entrepreneurs avant nous, et je n'ai en charge que cinq appartements sur 10 », justifie-t-il. Des ouvriers s'affairent ici et l'un d'eux tient une perceuse. L'autre travaille avec des colorants pour peinture. Une chambre est peinte en rose fushia. Les lavabos sont cassés. Les toilettes : juste un gros trou au milieu qui doit servir de temps en temps, vu les odeurs. L'appartement n'a rien à voir avec ceux terminés. Impossible de distinguer s'il s'agit d'un F2 ou d'un F3. Des travaux de confortement ? « Nous avons bien été obligés de réintégrer notre appartement, mais ma fille aînée ne veut pas en entendre parler. Elle est retournée au chalet », dira un retraité. Les chalets, à vendre ou à louer ! 500 000 DA (prix d'ami) pour la vente ou 50 000 DA pour les trois mois d'été. La plupart des habitants des 1200 Logements sont actuellement dans les chalets des Figuiers vers les Sablières à Boumerdès. Si à l'origine, les chalets ont été attribués à titre provisoire, les installations ont l'air de durer. De vouloir durer. Des ouvriers dans un campement de chalets sur la côte de Boumerdès s'attellent à construire des murs séparant les différents chalets. Une sorte de clôture avec briques et ciment. « Qui vous a demandé de construire des clôtures ? » « Je ne sais pas. Moi je fais mon travail et je ne cherche pas trop à comprendre », répond l'un des ouvriers. Un autre, plus prolixe, raconte que la décision émane des autorités. Certains chalets ont déjà leur clôture en brique. Des pots de fleurs sont disposés çà et là. Un petit jardin est confectionné avec géraniums et marguerites, une chaise longue et un petit lampadaire à l'entrée. Le chalet s'est cristallisé en une jolie petite maison. Une femme voilée en sort. « Etes-vous de la cité des 1200 Logements ? » Visiblement, la dame ne comprend pas. Elle appelle sa fille qui répond qu'en fait elles habitaient la baraque située à quelques mètres au-dessus. Le chalet leur aurait été attribué. Pourtant à l'APC de Boumerdès, aucune décision d'attribution dans un cadre social n'a été décidée à leur niveau. « Nous sommes en train de réfléchir sur la façon dont nous pourrions exploiter ces chalets une fois les sinistrés recasés », explique le secrétaire général. Quant au fait que certains chalets sont loués pour l'été, voire vendus, ce responsable reconnaît avoir déjà entendu parler de cela. « Mais nous n'avons aucun moyen de contrôle. Il faut savoir que des émigrés étaient propriétaires de logements à Boumerdès qui ont été détruits lors du séisme. Il est normal qu'ils aient bénéficié d'un chalet, mais comme ils ne vivent pas ici... », dit-il. C'est, peut-être, ce qui explique que certaines personnes qui occupent les chalets soient originaires de M'sila ou de Médéa. Actuellement, l'APC effectue le recensement des sinistrés. « Par la suite, une commission se réunira pour convenir de ce qu'il faut faire des chalets. » Cauchemar aux œufs d'or Concernant les plaintes de propriétaires par rapport aux travaux de confortement de la cité des 1200 Logements, ils n'en sont pas étonnés. « Il faut savoir que les gens sont très exigeants. Il y a des travaux que l'Etat n'était pas censé prendre en charge. Par exemple, la faïence qui doit être posée est celle à bon marché, la blanche. Certains n'en voulaient pas et s'entendaient avec l'entrepreneur pour faire poser une faïence à leur goût mais à condition que cela soit à leurs frais », explique le secrétaire général de l'APC de Boumerdès. « Il y avait comme une espèce de deal entre les propriétaires et les entrepreneurs. Ces derniers, magnanimes, n'auraient pas hésité à rendre service aux victimes en leur octroyant l'occasion de refaire leur appartement à leur goût. Mais tous ne sont pas décriés par l'ensemble des habitants des 1200 Logements. » « La première entreprise étatique qui était venue pour faire les travaux de confortement proprement dits a fait du bon travail, et ils étaient très humains avec nous », raconte le retraité. Il semble que les problèmes aient surgi avec les autres entrepreneurs dépêchés pour des travaux de finition. « Malgré la catastrophe, malgré les pertes humaines, Boumerdès a été pour certains la poule aux œufs d'or. L'occasion de s'enrichir sur le dos de l'Etat et du contribuable », commente l'homme à la retraite. Et de continuer : « Dans l'affolement des premiers instants, voire des premiers mois, nous n'avons rien constaté. On s'est laissé manœuvrer sans rien voir. » Cet affolement a également été de mise au niveau des instances étatiques de la région. « Il s'agissait de recaser rapidement les personnes victimes du tremblement de terre. L'attribution des tentes puis des chalets s'est faite au départ sans aucun contrôle », avoue le secrétaire général de l'APC. Chose à laquelle ils essaient de remédier par un système de recensement. Mais côté cité des 1200 Logements, une commission d'enquête est exigée pour faire la lumière sur ces dépenses qui n'avaient pas lieu d'être. « Pour savoir où est passé l'argent de l'Etat », s'indignent ses habitants.